Les trous noirs pourraient-ils avoir des cheveux?
Cet article a initialement été rédigé et soumis pour faire partie du recueil de récits d’innovation du projet Canada 150 visant à réunir des témoignages sur l’innovation canadienne en collaboration avec des partenaires de partout au pays. Il a maintenant été intégré au Réseau Ingenium, un portail numérique qui met en vedette du contenu en lien avec les sciences, la technologie et l’innovation.
Des chercheurs de l’Institut Périmètre essaient de savoir jusqu’à quel point on peut modifier la relativité générale tout en continuant d’aboutir à l’univers que nous observons. Comment font-ils? Ils ajoutent des « cheveux » aux trous noirs.
Les trous noirs n’ont pas de cheveux.
Le « théorème de calvitie » est un truisme en physique. En résumé, il signifie que, selon la relativité générale, on peut définir tout ce qu’il y a à savoir sur un trou noir astrophysique à l’aide de seulement deux nombres : sa masse et son moment angulaire (c’est-à-dire la vitesse à laquelle il tourne sur lui-même)
Tous les trous noirs ayant la même masse et le même moment angulaire sont identiques, nous assure la relativité générale. C’est vrai même s’ils sont formés de manières très diverses, ou composés de matériaux entièrement différents. Si, pour trouver le trou noir qui a volé à un nuage de poussière voisin la moitié de sa masse, vous aligniez plusieurs trous noirs ayant la même masse et le même état de rotation, et que vous en preniez des photos, il n’y aurait aucun moyen de trouver le coupable parmi eux.
Il n’y a rien qui sort d’un trou noir, rien qui permette de le distinguer d’un autre, mis à part la masse et l’état de rotation. Bref, les trous noirs n’ont pas de cheveux – en supposant que la relativité générale soit exacte.
Avery Broderick, professeur associé à l’Institut Périmètre, le postdoctorant associé Tim Johannsen et leurs collaborateurs retournent cet argument dans un nouvel article : la relativité générale prouve que les trous noirs n’ont pas de cheveux; donc, si l’on trouvait des trous noirs chevelus, il faudrait modifier la relativité générale.
M. Broderick travaille avec le téléscope Event Horizon, qui observe depuis une décennie l’horizon des événements1 d’un trou noir et commence à produire des images obsédantes de la silhouette sombre du trou noir face à la luminosité de son propre disque d’accrétion2. Il s’agit d’une étape majeure dans l’étude des trous noirs : alors qu’il y a eu beaucoup de travaux théoriques sur ce que devrait être la structure de l’horizon des événements autour des trous noirs, c’est la première fois que les physiciens disposent de données réelles pour mettre à l’épreuve leurs modèles.
« Mais, dit M. Broderick, tous ces travaux ont fait appel à des modèles postulant que la relativité générale est exacte. Dans cet article, nous avons franchi les premières étapes vers l’abandon de cette hypothèse, mettant donc la relativité générale elle-même à l’épreuve.
« Plus précisément, nous avons nié le théorème de la calvitie. Nous avons ajouté des cheveux à nos trous noirs. » [traduction]
À l’aide d’un processus qu’Avery Broderick qualifie de « mathématiquement désagréable et pénible », les chercheurs de l’équipe ont altéré leur modèle de l’espace-temps pour donner aux trous noirs un léger renflement. C’est une caractéristique subtile, mais elle permet de qualifier de « chevelus » les trous noirs du nouveau modèle.
Les chercheurs ont fait appel à des modèles informatiques complexes pour produire des images de ce à quoi ressembleraient de tels trous noirs, s’ils existaient. Ils ont ensuite examiné ces images, à la recherche de caractéristiques dues à leurs modifications de la relativité générale, et non à d’autres facteurs – tels que la taille, l’état de rotation, ou encore le processus exact par lequel la matière est tombée dans les trous noirs.
Ils ont trouvé que la modification de la relativité générale altérerait la forme de l’ombre projetée par l’horizon des événements. « Selon la relativité générale, des trous noirs non chevelus devraient projeter des ombres presque circulaires. Mais si l’on ajoute un renflement aux trous noirs, ces ombres deviennent allongées ou aplaties – elles commencent à ressembler à des cigares ou à des crêpes, ajoute M. Broderick. Il s’agit d’une signature observationnelle claire – quelque chose que nous pouvons réellement chercher à voir. » [traduction]
C’est ce qu’ils se sont donc mis à chercher. Les chercheurs ont pris leurs portraits-robots de trous noirs chevelus et chauves puis ont regardé lesquels correspondaient le mieux à l’observation réelle de Sagittaire A*, le trou noir supermassif situé au centre de notre galaxie. « Nous avons de très bonnes images de Sag A*, dit M. Broderick. La principale caractéristique de ces images est l’ombre du trou noir. » [traduction] C’est bien sûr exactement ce qui intéresse les chercheurs dans ces images.
Les chercheurs ont comparé les données sur l’ombre du trou noir dans les images réelles avec les portraits-robots produits par les modèles. Cela leur permet de fixer une limite quant à l’ampleur de la modification à la relativité générale qu’autoriseraient les données – jusqu’à quel point les trous noirs pourraient être chevelus.
Jusqu’à maintenant, les chercheurs peuvent exclure les effets importants – des trous noirs qui auraient une crinière comme celle d’Einstein –, mais non les plus faibles. De fait, un rapide coup d’œil aux premières données laisse entendre que le portrait-robot d’un trou noir ayant un peu de cheveux pourrait être celui qui correspond le mieux à l’image réelle. Mais cet effet est si faible qu’il pourrait facilement s’expliquer par l’imprécision des images.
L’importance réelle de ces travaux réside dans le fait qu’ils constituent une démonstration de faisabilité : ils prouvent que les physiciens peuvent se servir des trous noirs comme de laboratoires naturels pour tester des idées à propos de l’espace-temps. « Ce sont les premiers efforts pour voir ce que l’espace-temps fait réellement au voisinage d’un trou noir, affirme M. Broderick. Cela prouve que l’on peut progresser sur le problème de la gravité.
« La bonne nouvelle dans cette histoire, c’est que les données auxquelles nous avons comparé notre modèle datent de 2009, ajoute-t-il. Nous sommes maintenant en 2014. Le télescope Event Horizon a continué d’accumuler des données année après année. Il y en a donc beaucoup d’autres que nous pouvons examiner. » [traduction] Avery Broderick espère que l’équipe pourra bientôt dire exactement jusqu’à quel point la relativité générale peut être modifiée, et même éventuellement tester si elle est exacte.
Le nouvel article est à paraître dans The Astrophysical Journal.
- Qu’est-ce qu’un horizon des événements? L’horizon des événements – ou tout simplement horizon – d’un trou noir est son point de non-retour. À l’intérieur de l’horizon d’un trou noir, la gravité est si forte que rien – pas même la lumière – ne va assez vite pour pouvoir s’en échapper.
- Qu’est-ce qu’un disque d’accrétion? Les trous noirs sont souvent entourés de nuages de poussière – de la matière qui a été attirée au voisinage des trous noirs et qui se dirige en spirale vers l’intérieur. À mesure qu’elle tombe, cette matière brille. Au moment où un objet traverse l’horizon des événements, il a émis une bonne fraction de sa masse au repos sous forme de rayonnement. Ce disque brillant et tournoyant de matière s’appelle disque d’accrétion.