Shearwater 100 : commémoration du centenaire d’une base aérienne canadienne
Par Don MacNeil
Dans la vie, nous avons parfois la chance de retourner à un endroit qui nous tient à cœur. Tel en a été le cas pour moi en août dernier, quand j’ai visité l’aérodrome militaire canadien historique où j’ai passé quatre merveilleuses années de ma jeunesse.
Shearwater circa 1947
En 1953, j’avais dix ans et j’étais le fils d’un ancien pilote d’aéronef à voilure fixe de l’Aviation royale canadienne (ARC), nouvel officier de la Marine royale canadienne (MRC) et futur pilote d’hélicoptère, quand ma famille appelée MacNeil s’est installée à la base NCSM Shearwater, qui était alors la principale base de la MRC. Acquise comme base terrestre principale de la division aérienne de la MRC à sa création en 1947 et équipée d’une flotte d’aéronefs excédentaires d’après-guerre de la Marine royale, cette base a été aménagée sur une ancienne station de l’Aviation royale du Canada, qui servait aussi d’aéroport d’aviation civile pour les villes de Dartmouth et de Halifax, en Nouvelle-Écosse.
Shearwater était essentielle à la formation des équipages des avions de l’aéronavale et à l’entretien de ces aéronefs. À l’époque, le Canada exploitait le porte-avions NCSM Magnificent pour contribuer à la lutte anti-sous-marine menée par l’OTAN pour se défendre contre la menace croissante des sous-marins du bloc soviétique qui rôdaient dans l’océan Atlantique et le long de la côte nord-américaine.
RCN Sea Furys in formation
Le jour de notre arrivée à Shearwater en 1953, l’excitation était à son comble; c’est le jour où j’ai non seulement déballé pour la première fois mes bandes dessinées et autres trésors personnels dans ma propre chambre, mais aussi découvert l’aéronavale canadienne. Le calme de ma chambre en ce bel après-midi ensoleillé a été troublé par le rugissement sourd de non pas un, mais de plusieurs moteurs à cylindres en étoile Bristol Centaurus massifs et puissants dont étaient équipés, comme je l’apprendrais plus tard, les avions de chasse Sea Fury de la MRC, construits par Hawker. En m’élançant vers la fenêtre de ma chambre, j’ai aperçu plusieurs avions Sea Fury sillonner le ciel et survoler la base au niveau des toits. Le NCSM Magnificent — ou le Maggie comme on le surnommait affectueusement — rentrait d’une campagne et avait déployé ses aéronefs à l’approche du port de Halifax, où il serait soumis à un entretien terrestre. Il était d’usage pour les pilotes de survoler la base à basse altitude pour informer leurs épouses et leurs familles qu’ils étaient de retour. Moi qui, enfant, adorais déjà les avions, je me sentais comme au paradis de l’aviation... et cette impression ne s’est que confirmée au fil des quatre années qui ont suivi!
Plus tôt cette année, en apprenant que deux événements historiques importants étaient prévus à Shearwater, j’ai rapidement fait des plans pour y retourner.
L to R: Pratt & Whitney Canada test pilot John A. MacNeil, and Sikorsky’s assistant chief test pilot Robert Stewart Decker.
Ces célébrations de trois jours, organisées par les hommes et les femmes de la 12e Escadre de l’ARC, ainsi que par le personnel et les bénévoles du Musée de l’aviation de Shearwater, a ont été appelées Shearwater 100. Elles visaient à commémorer le centenaire de la base en plus de souligner l’entrée d’un hélicoptère Sea King de l’ARC, à savoir l’hélicoptère de lutte anti-sous-marine 4001 construit par Sikorsky[1], au petit mais excellent musée de Shearwater consacré à l’aviation. Premier des quatre Sea King construits sur la chaîne de production des hélicoptères Sikorsky à Stratford (Connecticut) pour la MRC, le 4001 a effectué son premier vol le 30 avril 1963, et c’est nul autre que mon propre père qui était aux commandes. Quand il quitterait la marine en 1957 pour aller travailler à Pratt & Whitney Canada qui représentait alors les hélicoptères Sikorsky au Canada, mon père, en tant que pilote d’essai en chef, et son personnel testeraient tous les autres Sea King construits pour la MRC dans les usines de Longueuil et de Saint-Hubert, au Québec.
J’ai vécu de nombreux moments mémorables durant l’événement Shearwater 100, qui s’est déroulé du 1er au 3 août 2018. Le premier jour, j’ai visité le Musée de l’aviation de Shearwater, où j’ai photographié l’hélicoptère 4001 pour les archives de la famille et rencontré des amis du Musée. Le volontaire du Musée et colonel à la retraite John Orr, qui est également un ancien commandant de l’escadron de Sea King, m’a invité à prendre une collation en compagnie des conférenciers invités et à rencontrer Lee Byrd, petite-fille de l’amiral Richard E. Byrd de la United States Navy (USN) qui a fondé, en 1918, la première base militaire sur le site actuel de Shearwater, à savoir une base pour les hydravions Curtiss de la USN utilisés pour chasser les sous-marins allemands.
Dans l’après-midi, un atelier sur l’histoire s’est ouvert sur un mot de son président, le lieutenant-général à la retraite Larry Ashley. Ancien commandant d’escadre et de la base de Shearwater, M. Ashley est une légende de l’aviation navale canadienne. Le colonel à la retraite John Orr, CD, a fourni le contexte historique pour les conférenciers qui l’ont suivi grâce à son exposé intitulé « Sept drapeaux flottant au-dessus de Shearwater », lequel faisait un survol des 100 ans d’histoire de la station sous sept pavillons militaires différents.
Curtisss HS-2L Flying Boat
Parmi les grands moments de l’après-midi figure l’exposé de Christopher Terry, ancien directeur général du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. Il a retracé l’histoire fascinante de l’hydravion HS-2L de Curtiss utilisé par l’escadre de l’amiral Byrd, le premier aéronef à s’envoler depuis Shearwater. Les vestiges d’un Curtiss ayant servi à l’escadre de l’amiral Byrd, et retrouvés quelques années plus tard par le Musée, ont été utilisés pour construire une réplique de ce célèbre aéronef qui fait encore partie de la collection aujourd’hui.
D’autres conférenciers ont présenté une série d’exposés intéressants. Parmi les sujets abordés, mentionnons les hydravions Catalina/Canso (qui décollaient autrefois de la base), les aéronefs des années 1950 à 1960 et l’histoire du service aéronaval de la MRC, de sa formation aux premiers jours de la Guerre froide.
Col. John Orr and speakers
Pilote de Grumman Tracker et colonel à la retraite, CD, Ted Gibbon a fait une présentation intéressante sur ce robuste aéronef de patrouille anti-sous-marine à voilure fixe, qui a servi sur le NCSM Bonaventure et sur terre des années 1960 aux années 1980. Très résistants, ces aéronefs bimoteurs de Grumman étaient souvent déployés dans la nuit sombre et orageuse de l’Atlantique Nord à la recherche de sous-marins soviétiques; une fois leur mission terminée, ils ramenaient à bord leurs équipages en toute sécurité, même dans les pires conditions de vol.
Après l’atelier, le Sea King 4001 — dans sa livrée bicolore d’origine gris et orange fluorescent « DayGlo » de la MRC des années 1960 — a officiellement été intégré à la collection du Musée de l’aviation de Shearwater. Dans un bref discours, le colonel Sid Connor, commandant actuel de la 12e Escadre, a décrit la contribution, pendant plus de 55 ans, de cet aéronef polyvalent, performant et fiable.
Sikorsky Cyclone
Le programme des deux journées suivantes était chargé d’activités officielles et d’autres axées sur la famille. L’un des moments forts a été le défilé d’honneur lors de l’inauguration du parc de l’aviation de Shearwater, lequel rend hommage aux membres du personnel de la MRC tombés au champ d’honneur et présente des aéronefs qui ont joué un rôle crucial dans l’histoire de Shearwater.
Le 2 août, un dîner de gala a été donné pour célébrer la longue histoire de l’aviation de Shearwater. Eleanor « Lee » Byrd, petite-fille de l’amiral Byrd de la USN, a parlé des liens de sa famille avec Shearwater. De plus, deux anciens commandants de la 12e Escadre Shearwater, les lieutenant-général et colonel à la retraite Larry Ashley et John M. Cody, ont donné un aperçu du siècle d’aviation qui s’est écoulé à Shearwater. On a ensuite ouvert la piste de danse pour la soirée, et l’orchestre de jazz des Forces canadiennes, le Stadacona, a offert la musique.
Pour le dernier jour de l’événement, on avait prévu un pique-nique et des visites du Musée de l’aviation de Shearwater, du parc dédié à l’aviation récemment inauguré et du nouvel hélicoptère Cyclone de Sikorsky. Un tournoi de golf d’anniversaire a également été organisé dans l’après-midi sur le magnifique terrain de golf Hartlen Point, en bordure de l’océan Atlantique à Eastern Passage.
En soirée, un concert a couronné cet événement historique de trois jours. Le chef Daniel Bartholomew-Poyser et l’orchestre symphonique de la Nouvelle-Écosse ont présenté un concert multimédia entraînant et émouvant pour souligner le centenaire de la 12e Escadre Shearwater. Cette musique, accompagnée par mes précieux souvenirs d’enfance, s’est avérée parfaite pour conclure l’incroyable expérience que j’ai vécue durant Shearwater 100.
[1] Les Sea King de la MRC ont d’abord été numérotés à partir de 4001, puis renumérotés par les Forces armées canadiennes à partir de 12401; à titre d’exemple, le 4001 est devenu le 12401.