Portons un toast à la collection : l’histoire des grille-pain au Canada
« Peut-être que la majorité de l’activité humaine peut se résumer à la poursuite de nouveaux modes de confort : pour être un peu moins fatigué, pour s’ennuyer un peu moins… ou simplement pour obtenir une tranche de pain uniformément grillée. » (p. 34)
- Thomas Thwaites, Toaster Project: Or a Heroic Attempt to Build a Simple Electric Appliance from Scratch (traduction libre)
Combien de fois vous arrêtez-vous pour admirer cet appareil en plastique bon marché que vous utilisez au déjeuner? Bien qu’il s’agisse d’un objet banal et sans prétention de votre quotidien, le grille-pain renferme une histoire d’énergie, d’innovation et de changement sociétal au Canada. En tant qu’étudiante à la maîtrise en design industriel et candidate à un diplôme en conservation à l’Université Carleton, j’ai eu la chance de travailler avec le Musée des sciences et de la technologie du Canada à titre de stagiaire participant à la documentation d’artefacts, plus précisément des 34 grille-pain de la collection. Ce projet de quatre mois m’a permis d’examiner les grille-pain de la collection d’Ingenium sous l’angle de la recherche et de la conception. Ces appareils que je considérais au départ comme des objets ordinaires ont toutefois révélé la riche histoire d’un passé tissé de récits décisifs de l’histoire canadienne.
Avant d’en venir à l’éjection
Le design du grille-pain a souvent changé au cours du siècle dernier. Le grille-pain « éjecteur » que nous connaissons aujourd’hui n’est qu’un des nombreux modèles mis au point au fil des ans. Avant l’invention des grille-pain, on préparait les rôties en tenant des tranches de pain au-dessus d’un feu (Smith, 2020). En 1905, Albert Marsh a inventé le nichrome, un matériau capable de chauffer rapidement et à répétitions. Cette matière était idéale pour les éléments chauffants des appareils électriques, et a été largement utilisée, notamment dans la conception des grille-pain (National American Museum of History, sans date). L’année 1909 a marqué la sortie du premier grille-pain à succès commercial, par la société General Electric (Gross, 2017). Le modèle D-12 n’était guère plus qu’une série d’éléments chauffants entourée de grilles métalliques sur lesquelles déposer le pain. Il fallait faire griller un côté de la tranche à la fois, en surveillant le degré de grillage puis en retournant la tranche manuellement pour faire griller l’autre côté. Les autres grille-pain qui ont commencé à faire leur apparition sur le marché étaient dotés de portes rabattables pour maintenir le pain, de boutons pour retourner le pain ou de plaques coulissantes qui permettaient de griller le pain des deux côtés en même temps.
Même avant l’arrivée du pain tranché
Malgré la myriade de façons de griller le pain, tout le monde continuait de se retrouver avec des rôties brûlées, faute d’un chronométrage adéquat et d’un habile maniement du pain. En 1921, Charles Strite, un ouvrier d’usine du Minnesota qui en avait assez des rôties noircies à la cafétéria, a breveté le mécanisme d’éjection du pain dont sont dotés nos grille-pain d’aujourd’hui (Gross, 2017). Le Toastmaster, le premier grille-pain éjecteur, utilisait un mécanisme à ressort minuté pour garantir l’éjection des rôties et l’arrêt automatique de l’élément. Le pain prétranché est apparu à la fin des années 1920, et sa popularité croissante a entraîné une augmentation des ventes de grille-pain (Gross, 2017).
Des grille-pain canadiens
À l’époque, la plupart des appareils électroménagers étaient expédiés des États-Unis vers le Canada, puis quelques fabricants canadiens ont fabriqué des grille-pain et ont réussi à tirer leur épingle du jeu en raison des tarifs douaniers imposés aux importations américaines (Crookell, 2006). Renfrew Electric Company Limited était une entreprise canadienne qui fabriquait des produits électriques à Renfrew, en Ontario. Elle a créé une gamme de produits commerciaux sous le nom de « Canadian Beauty » (beautés canadiennes) qui comprenait notamment des grille-pain. Chaque grille-pain était estampillé d’une feuille d’érable en tant qu’image de marque (A Rapidly Developing Business, 1915).
Compte tenu du coût élevé des importations, de nombreuses entreprises américaines ont choisi d’ouvrir des divisions canadiennes, General Electric et Westinghouse, p. ex., qui ont ouvert des sièges sociaux en Ontario, respectivement à Peterborough et à Hamilton (Jones, 2017; Westinghouse, sans date).
L’arrivée de l’électricité dans les chaumières du Canada
Lorsque les grille-pain ont été inventés, l’électricité n’était pas courante dans tous les foyers canadiens. Au début, les grille-pain étaient généralement utilisés dans des établissements commerciaux comme les restaurants. Le système de prises électriques pour fiches à deux broches a été normalisé en Amérique du Nord en 1917 et, dans les années 1920, il est devenu plus abordable de faire entrer l’électricité dans les maisons (Smith, 2020). De 1941 à 1951, la proportion de foyers ayant l’électricité a augmenté de façon considérable, passant de 69,1 % à 87,8 %, avec des taux plus élevés dans les régions urbaines du pays (Gucciardo, 2011).
Les compagnies d’électricité canadiennes ont élargi leurs activités de production d’électricité, et disposaient ainsi d’un surplus d’énergie pendant les heures creuses. Pour promouvoir l’utilisation de l’électricité entre les périodes de pointe, les producteurs d’électricité au Canada ont commencé à encourager l’utilisation d’appareils électriques (Gucciardo, 2011). Les activités de marketing ciblaient les femmes, faisant valoir les avantages des appareils électroménagers pour réduire la charge de travail des « ménagères ». Des salles d’exposition ont été aménagées partout au Canada par les producteurs d’électricité, invitant les femmes à venir découvrir toute une variété d’appareils électriques (Gucciardo, 2011). Les petits appareils électriques, comme les grille-pain et les fers à repasser, ont d’abord été privilégiés par rapport aux gros appareils, demandant des investissements moins importants. Ainsi, en 1931, 40 % des foyers canadiens possédaient un grille-pain (Gucciardo, 2011). De 1952 à 1960, le nombre total de grille-pain fabriqués au Canada est passé de 198 200 à 278 567, soit une valeur totale de 1,2 million à 2,6 millions de dollars (Bureau fédéral de la statistique, 1962).
Une tranche de l’histoire du design
La forme et l’esthétique des grille-pain au 20e siècle étaient aussi variées que les façons de griller le pain. De nombreux grille-pain ont adopté un look art déco qui donnait à chaque appareil une apparence et un style distincts. Des découpes florales ornaient les portes de certains grille-pain, tandis que d’autres arboraient des motifs géométriques épurés. Certains grille-pain étaient très minimalistes, comme ce Westinghouse, ci-dessous, avec son boîtier en métal chromé et ses lignes horizontales sur les extrémités qui évoquent le style d’architecture art déco (Goss, 2004).
Le style des nouveaux grille-pain devenait de plus en plus élégant puisque les appareils étaient commercialisés comme éléments dignes d’être exposés, utilisés à la fois pour impressionner les invités et pour aider l’hôtesse dans ses préparations culinaires. Cela se reflète dans le design du grille-pain Sweetheart, un grille-pain en métal d’une forme unique, avec de délicates « corbeilles » à pain, des ornements floraux et des garnitures en plastique pâle (Orr, 2015).
Le grille-pain a évolué depuis ses modestes débuts, étant passé d’un élément chauffant fixé à une base en porcelaine à un appareil orné de magnifiques motifs. Toutefois, après plus d’un siècle de recherche de style, de forme et de fonction, la popularité du grille-pain éjecteur ne s’est jamais démentie, et celui-ci reste aujourd’hui le modèle le plus populaire.
Ce projet de recherche a été une occasion spéciale de mieux comprendre notre banal grille-pain et la place qu’il occupe dans l’histoire du Canada. En tant que conceptrice, c’était un plaisir pour moi de découvrir les histoires qui se cachent derrière un dispositif classique mais souvent pris pour acquis. Prendre le temps de reconnaître les récits cachés dans ces artefacts m’a permis de mieux apprécier cet appareil tout simple.
…ces appareils qui font de nos rôties les reines du déjeuner!
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