Crédit photo : Ministère de la Défense nationale
Description du projet
C’est pendant la Seconde Guerre mondiale que les femmes ont été autorisées à intégrer l’Aviation royale canadienne (ARC) pour la première fois. Elles ont servi tout au long du conflit au sein de ce qu’on appelait la division féminine (ou le service féminin), une unité distincte réservée aux femmes. La devise de l’unité était « We Serve That Men May Fly » (nous servons pour que les hommes puissent voler), ce qui est indicateur du rôle de soutien qu’avaient les femmes militaires pendant cette période. Près de 17 000 femmes ont servi de 1941 à 1946, puis la division féminine a été dissoute et les femmes ont été libérées. Il faudra attendre près de 40 ans pour que les femmes puissent devenir pilotes, et près de 50 ans pour que toutes les professions dans l’armée de l’air, dont celle de pilote de chasse, soient ouvertes aux femmes.
Mais comment les femmes ont-elles fait tout ce chemin? Quels changements sont-ils survenus, et quand? Et cette intégration s’est-elle vraiment traduite en inclusion?
L’inclusion, un chemin semé d’embûches (Along the Rocky Road to Inclusion) explore l’histoire des femmes dans l’armée de l’air au cours de la période relativement peu étudiée qui s’étend de la dissolution de la division féminine, en 1946, jusqu’à aujourd’hui. Ce travail vise d’abord et avant tout à documenter les expériences vécues par les femmes dans l’ARC. Les objectifs secondaires sont de situer et de contextualiser ces expériences, de les préserver pour les générations à venir et de les raconter à une grande variété d’auditoires.
Résultats du projet
Blogue
DOCUMENT DE RECHERCHE
- Gender Integration in the Canadian Armed Forces: Locating the RCAF Experience (l’intégration des femmes dans les Forces armées canadiennes : l’expérience de l’ARC)
Document PDF : 461 Ko
Ce document est disponible en anglais seulement.
DOCUMENTAIRES AUDIO
À noter : Les documentaires audio sont disponibles en anglais seulement avec des transcriptions en français ci-dessous.
Le point de bascule : les femmes et l’essai SWINTER des forces aériennes
[Introduction]
Avez-vous déjà entendu parler de l’essai SWINTER?
L’essai SWINTER (Service Women in Non-traditional Environments and Roles) a été un des quatre essais militaires réalisés de 1979 à 1985 pour tester l’emploi de femmes dans des rôles auparavant réservés aux hommes. C’était la première fois dans l’histoire du Canada que les femmes étaient autorisées à être formées et à servir en tant que pilotes, navigatrices aériennes et mécaniciennes de bord dans cinq escadrons opérationnels de l’Aviation royale canadienne. Toutefois, ces emplois étaient temporaires – l’essai avait pour but de déterminer si les femmes avaient un avenir dans ces rôles non traditionnels de l’armée de l’air.
Le point de bascule raconte en cinq épisodes ce moment oublié de l’histoire canadienne. En s’appuyant sur des archives et des récits oraux, Le point de bascule place la voix des femmes au centre de l’histoire pour explorer l’impact de l’essai SWINTER sur les femmes qui y ont participé et sa signification plus de 40 ans plus tard.
Transcriptions en français disponibles ci-dessous.
Épisode 1 : « Ce n’était qu’un essai »
*Le thème musical commence, soit un rythme régulier au violoncelle, en pizzicato, dans une tonalité mineure.*
De 1979 à 1985, les Forces canadiennes ont mené une expérience visant l’emploi de femmes militaires dans des environnements et des rôles non traditionnels connue sous le nom des « essais SWINTER » (pour Service Women in Non-traditional Environments and Roles), soit quatre essais réalisés dans l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air pour tester l’emploi de femmes dans des rôles militaires auparavant réservés aux hommes. Quoique méconnus ou non reconnus par le public, les essais SWINTER ont été un élément décisif dans l’intégration des femmes dans les Forces canadiennes.
Je m’appelle Camas Clowater-Eriksson et je vous présente Le point de bascule, un documentaire audio du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada en cinq parties qui explore un des essais SWINTER, soit celui qui a visé le personnel de navigation aérienne. Pour la première fois dans l’histoire du Canada, les femmes ont été autorisées à servir en tant que pilotes, navigatrices aériennes et mécaniciennes de bord dans cinq escadrons opérationnels de l’Aviation canadienne. Toutefois, ces emplois étaient temporaires; l’essai servait à déterminer si les femmes avaient un avenir dans ces rôles non traditionnels de l’armée de l’air.
Le point de bascule raconte cette histoire grâce à des documents d’archives mais surtout grâce à la voix des femmes qui y étaient. L’essai SWINTER des forces aériennes ne figure peut-être pas dans nos livres d’histoire, mais il est bien vivant dans la mémoire de celles qui y ont participé.
Mais tous les autres comme nous avons besoin de mieux comprendre : qu’étaient vraiment les essais SWINTER, et pourquoi ont-ils eu lieu?
Épisode 1 : « Ce n’était qu’un essai »
Première partie : une exigence professionnelle justifiée
*La musique s’estompe.*
Eh bien, en fait... après avoir obtenu ma deuxième affectation, sur mon deuxième avion. J’ai appris plus tard que, oh, vous savez, après deux ans, on ne savait plus quoi faire de vous et il y avait une possibilité que vous soyez essentiellement virée de l’armée... ou libérée de l’armée, parce que vous ne pouviez pas retourner à votre ancien poste. C’était un peu... comme un choc. Peut-être que je n’avais pas bien prêté attention. Mais, je le répète, l’information était plutôt rare. C’était comme un grand secret.
C’est la voix de l’adjudante-maître à la retraite Christine Krueger. Et le « grand secret » dont elle parle? Il s’agit des conditions d’emploi de l’essai SWINTER des forces aériennes, un des quatre essais militaires réalisés de 1979 à 1985 pour évaluer l’impact des femmes militaires dans des rôles et secteurs auparavant exclusivement masculins. Ces essais menés dans les forces terrestres, navales et aériennes et en postes isolés ont comparé les performances professionnelles de femmes à celles d’hommes, et ont évalué l’efficacité de groupes mixtes, les répercussions de l’intégration de femmes militaires sur les ressources et l’incidence sociologique des femmes sur la cohésion des unités, sur les hommes militaires et sur les familles militaires.
Au cours de cette période, 280 femmes militaires ont servi « en guise d’essai » dans des postes opérationnels de non-combattantes ou de para-combattantes. Pour l’essai sur terre, des femmes ont servi dans deux unités de service de campagne à la base des Forces canadiennes – ou BFC – de Lahr, en Allemagne; pour l’essai en mer, des femmes ont été affectées à un navire non combattant appelé le NCSM Cormorant; pour l’essai en postes isolés, des femmes ont été envoyées à la base d’Alert, une station de communications située au-dessus du cercle polaire arctique; et pour l’essai des forces aériennes, des femmes ont rempli les fonctions de pilotes, de navigatrices aériennes et de mécaniciennes de bord dans cinq escadrons de vol opérationnels non combattants en territoire canadien, et agi comme instructrices de pilotes et de navigateurs aériens dans trois écoles de formation des Forces canadiennes.
Christine Krueger a participé à l’essai des forces aériennes. Elle a intégré l’armée en 1978 et est devenue technicienne de cellules, soit la personne qui entretient les avions.
Bon, je suis l’adjudante-maître à la retraite Christine Krueger. Ma date de naissance est le 29 avril 1960, et je suis née à Peterborough, en Ontario. C’est là que j’ai grandi.
Je dirais qu’entrer dans l’armée a toujours été un de mes rêves. J’avais une bonne amie quand j’étais petite, dont les parents étaient dans l’armée et n’avaient que de bonnes choses à dire des forces armées. Et ce qu’il faut savoir, aussi, c’est que Peterborough, à cette époque, était une ville de manufactures. Il y avait la General Electric, Outboard Marine, DeLaval, Quaker Oats, et je ne voulais pas passer toute ma vie au même endroit. C’est là que j’ai compris qu’en m’engageant dans l’armée, je pourrais sortir d’ici et voir bien plus que Peterborough.
Lorsque j’ai commencé dans l’armée, on m’a proposé d’être un opérateur de matériel roulant, c’est-à-dire un chauffeur. Je ne voulais pas faire ça. Alors ils ont dit : « Bon, d’accord, on peut vous faire suivre une formation en électronique. » J’ai donc suivi la formation « POET » à Kingston. Après avoir essayé ça, je ne voulais pas quitter l’armée. Je venais juste d’y arriver. Ils m’ont donc réaffectée comme technicienne de cellules, et j’ai appris le métier à Borden.
Être technicienne de cellules est en fait très plaisant parce qu’on s’occupe de tout l’avion, sauf l’électronique et les moteurs. On s’occupe donc des ailes, des pneus, des freins, de l’hydraulique, des portes, de tout.
Mais malheureusement pour Christine, le fait d’être une femme technicienne de cellules ne lui permettait pas de voyager très souvent.
À cette époque, c’était encore pas mal sexiste en ce qui concernait les voyages. Ils ne voulaient envoyer que les hommes en déplacements, pas les femmes. Et s’ils nous envoyaient, il fallait être accompagnées par un homme... Nous, on le savait qu’on était capable... mais, non, ils devaient toujours envoyer un homme.
Lorsqu’elle a appris que l’armée organisait un essai pour les femmes mécaniciennes de bord, elle a sauté sur l’occasion.
J’ai commencé ma formation de mécanicienne de base à Trenton, en avril 1983.
Encore une fois, comme c’était un essai, j’étais la seule femme dans le cours, sur environ dix hommes je dirais.
Et c’était certainement différent parce que, quand on est la seule femme, c’est, euh *rires*, c’est très amusant! Et on a toujours quelque chose à prouver, pas vrai?
*Une musique de clavier électrique monte tranquillement, en une progression d’accords délicate et rythmée.*
La formation qu’on nous donnait était générale, du genre « voilà ce que fait un mécanicien de bord ». Il s’agit d’un examen plus approfondi, l’entretien d’un avion (…) [C’est le mécanicien] qui, en plus d’enlever tous les bouchons et les couvercles, s’assure qu’il n’y a pas de fuites et que tout est en ordre. Ce n’est pas comme si le pilote montait à bord et que vous restiez au sol. Non, vous faites maintenant partie intégrante de l’équipage. C’est donc votre derrière qui est sur la ligne. Il faut vraiment s’assurer que tout fonctionne bien, que tout est prêt.
Les essais SWINTER ont été une période importante pour l’armée de l’air canadienne : c’était la première fois que des femmes militaires comme Christine étaient autorisées à faire partie d’un équipage d’avion, même si c’était seulement à titre d’essai.
Mais la participation des femmes en aviation militaire au Canada remonte à bien plus loin.
Pendant la Première Guerre mondiale, des femmes civiles ont participé à l’effort de guerre en travaillant dans des usines de construction d’avions ou comme mécaniciennes d’avion. Et pendant la Seconde Guerre mondiale, plus de 17 000 femmes ont rempli des rôles traditionnellement masculins au sein du Service féminin de l’Aviation royale du Canada. Puis, dans les années 1950, des milliers de femmes ont été recrutées pour travailler dans un nouveau réseau de défense radar.
Pourtant, dans tous ces cas, les femmes étaient embauchées de façon temporaire pour aider les forces aériennes à répondre à une demande exceptionnelle en personnel. Lorsque les besoins se sont calmés, les postes pour femmes ont disparu.
*La musique s’estompe.*
La lieutenante-commandante à la retraite Rosemary Park, une des chercheuses principales des Forces canadiennes pour les essais SWINTER, a appelé cela « la théorie de l’étagère ».
...Et ce que j’ai vu, c’est que lorsqu’ils avaient besoin de femmes, ils en prenaient sur l’étagère, et quand ils n’en avaient plus besoin, ils les remettaient sur l’étagère. Elles étaient toujours en marge.
Mais même lorsqu’il y avait des postes à pourvoir, les femmes étaient reléguées à des tâches administratives, médicales ou de soutien. Les postes opérationnels, comme ceux du personnel navigant, étaient hors d’atteinte pour les femmes, et l’armée voulait qu’ils le restent. Par exemple, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Aviation royale canadienne a rejeté les candidatures de femmes pilotes qualifiées malgré une pénurie d’hommes expérimentés. Ces femmes ont plutôt dû se rendre en Grande-Bretagne pour piloter en tant que civiles au sein du British Air Transport Auxiliary.
Les postes d’aviateurs étaient considérés comme des métiers d’hommes.
Mais si c’était le cas depuis si longtemps, pourquoi l’armée a-t-elle choisi, en 1979, de tester les femmes dans des rôles réservés aux hommes?
Voici –
*de la musique de guitare acoustique commence, et devient plus intense avec la mélodie*
– un peu de contexte :
Au cours des trente-quatre années qui se sont écoulées entre la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945, et le début des essais SWINTER, en 1979, beaucoup de choses ont changé pour les femmes dans l’armée canadienne. Dans les années 1950 et 1960, la perception générale des femmes au travail a changé et un nombre croissant de femmes ont rejoint la population active, ce qui a eu un impact profond sur les politiques militaires. Lorsque l’armée, la marine et l’aviation se sont unifiées en 1968, les femmes ont obtenu le droit de servir en tant que membres permanentes des Forces canadiennes nouvellement créées, quoique le nombre des postes qui leur étaient offerts était plutôt limité.
*La musique s’estompe.*
Les grands changements suivants sont survenus au début des années 1970, après que la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada ait identifié un certain nombre de moyens par lesquels les Forces canadiennes pourraient donner aux femmes des chances égales à celles des hommes. D’abord et avant tout, la Commission a recommandé que tous les postes soient ouverts aux femmes. L’armée a alors annoncé une nouvelle politique d’emploi selon laquelle il n’y aurait aucune limite à l’emploi des femmes... sauf dans certains domaines. La nouvelle politique permettait aux femmes mariées ou ayant des enfants de servir, et ouvrait un certain nombre de nouveaux postes aux femmes. Toutefois, un tiers des postes demeuraient réservés aux hommes, et les femmes étaient exclues des milieux de travail plus « dangereux », comme les postes opérationnels de non-combattants ou de para-combattants ou en mer, dans des postes isolés ou au sein d’équipages d’aéronefs.
L’armée disait que ces restrictions étaient nécessaires à son bon fonctionnement. Pourtant, cette politique a eu des conséquences majeures pour les femmes militaires.
*La musique reprend doucement.*
Le fait d’être exclues des postes plus actifs, comme les équipages d’aéronefs, limitait considérablement la capacité des femmes d’acquérir de l’expérience opérationnelle. Sans une telle expérience, il était impossible pour elles d’obtenir des promotions à des postes de niveau supérieur. Prenons l’exemple du poste le plus élevé de l’armée de l’air, celui de commandant (aujourd’hui appelé chef d’état-major de la Force aérienne et commandant). Depuis la création de ce poste, en 1975, et jusqu’à aujourd’hui, les dix-neuf hommes qui l’ont occupé, sauf un, ont commencé leur carrière en tant que pilote. Celui qui fait exception a suivi une formation de navigateur aérien, qui est également un rôle de personnel navigant.
Toutes les femmes qui ont rejoint l’armée à cette époque n’avaient probablement pas l’ambition d’occuper un poste de direction, pas plus que tous les hommes. Mais refuser aux femmes l’accès à ces postes, c’était leur refuser les possibilités qu’avaient pourtant leurs collègues masculins au sein de l’organisation. Cela limitait la progression de leur carrière. Peu importe l’intention, la politique assurait en fait que les Forces canadiennes restent dominées par les hommes.
Mais à la fin de la décennie, toutefois, les militaires ont été contraints de réévaluer cette politique.
*La musique s’estompe.*
En 1978, la Loi canadienne sur les droits de la personne est entrée en vigueur. La discrimination en matière d’emploi pour divers motifs était désormais interdite, y compris le sexe. La nouvelle loi exigeait que toute politique discriminatoire soit éliminée, à moins qu’une raison valable soit invoquée.
[Selon la loi, il s’agissait alors d’une « exigence professionnelle justifiée ».]
Ainsi, si l’armée voulait continuer d’exclure les femmes des rôles de combat et de quasi-combat dans les navires, les avions et les postes isolés, selon la loi, elle devait prouver que les femmes ne pouvaient pas faire le travail « de manière sécuritaire, efficace et fiable ».
Les Forces canadiennes ont d’abord réagi en amorçant une évaluation de l’emploi réel et potentiel de femmes dans ses rangs. L’étude de 1978 a pris la forme de rapports de hauts dirigeants de l’armée, de la marine et de l’aviation. On pouvait y lire que l’emploi de femmes militaires était un fardeau pour le système militaire, et que les femmes coûtaient cher à employer : elles tombaient enceintes et partaient en congé après qu’on ait investi du temps et de l’argent dans leur formation, elles limitaient la souplesse d’emploi parce qu’elles épousaient des militaires et voulaient ensuite être affectées avec leur mari, et elles ne restaient pas dans les forces aussi longtemps que les hommes.
Les hauts dirigeants ont émis l’hypothèse que si les femmes étaient admises dans des rôles opérationnels actifs, ces problèmes seraient amplifiés, et ont indiqué qu’il fallait restreindre l’emploi des femmes pour maintenir l’efficacité opérationnelle. Ils ont fait un lien entre l’efficacité opérationnelle et la préservation d’unités de combat et de quasi-combat exclusivement masculines. Si des femmes étaient intégrées dans ces unités, les hauts dirigeants craignaient que cela ait des effets sociologiques négatifs, perturbant la cohésion et le moral des troupes et nuisant ainsi à la capacité de réagir aux situations opérationnelles. Ils ont en outre avancé que la présence de femmes dans des rôles opérationnels minerait l’efficacité perçue des Forces canadiennes aux yeux des alliés et d’ennemis potentiels.
Mais malgré leurs nombreuses préoccupations, les dirigeants ont également reconnu qu’il pourrait être dans l’intérêt de l’armée d’explorer l’idée d’élargir l’embauche de femmes. Des sondages d’opinion menés en 1977 et 1978 ont montré qu’une majorité croissante de Canadiens et de membres des forces armées étaient favorables à ce que les femmes occupent certains rôles opérationnels, notamment en tant que membres d’équipage d’aéronefs.
*De la musique jouée au piano et au violon commence, intense et rythmée.*
Chaque année, le nombre de femmes qui s’enrôlaient dans l’armée augmentait, et les projections démographiques indiquaient qu’il fallait augmenter l’embauche de femmes pour assurer que l’armée puisse répondre aux besoins en personnel dans les années 1980.
En janvier 1979, le chef d’état-major de la défense (ou CEMD) – le poste le plus élevé de l’armée canadienne – a fait une annonce à tous les membres des Forces canadiennes :
À la suite de l’étude récemment achevée sur l’emploi des femmes (...), il a été déterminé qu’il y avait une obligation ainsi qu’une exigence d’accroître les possibilités d’emploi pour les femmes dans les Forces canadiennes. Toutefois, il était tout aussi évident qu’il y avait de nombreuses incertitudes et une réelle cause d’inquiétude si ces changements étaient introduits autrement que de façon graduelle et contrôlée.
Pour explorer ces préoccupations, le CEMD a annoncé une nouvelle étude, une expérience en fait :
Un nombre limité de femmes militaires, sélectionnées au sein des Forces, seront affectées à titre d’essai dans certaines unités considérées de quasi-combat en milieu terrestre, et dans un ou plusieurs navires non combattants. De plus, quelques femmes, également sélectionnées au sein des forces, suivront une formation d’équipage aérien.
C’est ainsi que sont nés les essais SWINTER.
Les détails allaient être précisés au cours de l’année suivante, et les recherches issues des essais allaient déterminer comment l’armée devrait se conformer à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les professions non traditionnelles devaient-elles être ouvertes aux femmes? Ou les essais allaient-ils prouver que limiter l’emploi des femmes dans les forces armées est effectivement une « exigence professionnelle justifiée »?
L’avenir des femmes dans les Forces canadiennes dépendait des résultats.
*De la musique monte puis s’arrête brusquement.*
Deuxième partie : les débuts
« Trois pilotes d’avion en formation : des gars comme les autres », proclamait le Leader-Post de Regina, en Saskatchewan, le 15 mars 1980. Mais ces futurs pilotes n’étaient pas des garçons du tout. Il s’agissait de la capitaine Leah Mosher, de la capitaine Nora Bottomley et de la capitaine Deanna Brasseur, ainsi que de l’élève-officière Kris Hummel. Quatre mois plus tôt, en novembre 1979, ces femmes avaient commencé la première étape de la formation de pilote dans les Forces canadiennes, soit l’entraînement au vol de base à l’École de pilotage no 3 des Forces canadiennes à Portage la Prairie, au Manitoba. Cela marquait le début de l’essai SWINTER dans les forces aériennes.
*De la musique « funky » et chaleureuse jouée au piano commence.*
En mars 1980, trois des quatre femmes passaient à l’étape suivante de leur entraînement – la formation au pilotage de base – à la base militaire de Moose Jaw, en Saskatchewan. Et en février 1981, les capitaines Mosher, Brasseur et Bottomley devenaient les premières femmes de l’histoire du Canada à être formées pour le service opérationnel en tant que pilotes militaires.
*La musique s’estompe.*
La major à la retraite Robin Camken se souvient de l’impact que cela a eu sur elle :
Je suis la major Robin Camken, je suis née le 12 mars 1957, à Bellville, en Ontario.
En 1980, j’ai lu un article dans le journal sur le fait que les Forces canadiennes avaient ouvert la formation de pilote aux femmes et que les trois premières femmes officières avaient réussi la formation de base. Il s’agissait de Leah Mosher, Dee Brasseur et Nora Bottomley. Après avoir lu que ces femmes avaient commencé leur formation de pilote, je me suis rendue au bureau de recrutement en février 1980.
Robin était une civile à l’époque, et elle s’intéressait à l’aviation. Après avoir obtenu son baccalauréat ès arts en sciences humaines à l’Université de Toronto en 1979, elle a pris des leçons de vol privées – qu’elle dit avoir été très coûteuses – à l’aéroport de Buttonville et a obtenu un emploi de répartitrice d’avions à l’école de pilotage Toronto Airways. Elle voulait être pilote et a été déçue lorsqu’on lui a dit, au bureau de recrutement, qu’elle ne pouvait pas s’inscrire à une formation en tant que civile.
On m’a dit que ce n’était ouvert qu’aux femmes déjà engagées dans l’armée, mais que je pouvais postuler pour un autre poste puis être transférée en aviation lorsqu’un poste s’ouvrirait.
Les postes qu’on me proposait, pour lesquels ils acceptaient les candidatures, n’étaient pas vraiment ce qui m’intéressait. J’ai rempli les formulaires pour devenir contrôleuse aérienne, mais j’espérais que ça n’arriverait pas *rires*!
Heureusement pour Robin, ce n’est pas ce qui est arrivé. À l’époque, l’armée de l’air avait du mal à trouver dans ses rangs des candidates pour l’essai du personnel navigant. Au début de l’année 1980, l’armée de l’air n’avait pas réussi à recruter d’autres femmes que les quatre premières, et l’essai a donc été ouvert aux candidates civiles.
Ainsi, à la fin du mois de février, ils m’ont appelée et m’ont dit que j’étais maintenant candidate pour un poste de personnel navigant. Tout s’est donc passé très vite. Ils ont changé la politique dans les deux semaines suivant mon passage au bureau de recrutement.
La major à la retraite Micky Colton se souvient d’être entrée dans un bureau de recrutement à Kitchener, en Ontario, au début de mars 1980, et d’avoir déclaré son intention de devenir pilote. Elle n’avait aucune idée que cette option était offerte aux femmes civiles depuis moins d’un mois.
Je m’appelle Micky Colton. Je suis née le 30 mai 1958 et j’ai grandi à Kitchener, en Ontario. Lorsque j’ai terminé mes études secondaires, je ne savais pas ce que je voulais faire dans la vie. Ce n’est pas comme si j’avais voulu être pilote depuis mon enfance. Je voulais être vétérinaire, c’était mon but.
Fait intéressant *rires*, j’avais reçu une leçon de vol gratuite dans un carnet de coupons – c’était comme ça à l’époque! Et j’avais dit à mon copain de l’époque, « Hé, je vais faire ça, je vais prendre cette leçon de vol, je pense que c’est vraiment cool ». Et il a dit, « Tu ne peux pas faire ça, tu es une fille. » Je ne sais pas ce qui lui est arrivé à lui *rires*, mais j’ai suivi ce cours gratuit et je suis devenue accro!
Micky a travaillé comme messagère pour financer sa dépendance au vol, mais comme l’explique Robin, c’était un passe-temps coûteux. Une solution s’est présentée lorsque sa colocataire lui a suggéré de s’engager dans l’armée de l’air afin d’être payée pour piloter.
J’ai dit, « C’est une très bonne idée. » Alors *rires*, je suis allée au centre de recrutement! J’ai franchi la porte – c’était à Kitchener, une grande ville –, j’ai dit au recruteur, qui s’est avéré être un pilote, je ne le savais pas à l’époque, et il a dit : « Je peux vous aider? ». Et j’ai dit, « Oui, je veux être un pilote. » Et il a dit : « Oh, vous êtes ma première! »
Pour être acceptées comme pilotes candidates, Robin et Micky ont d’abord dû passer la première sélection au centre de recrutement. Pour être acceptée, il fallait mesurer au moins 1,5 mètre et peser au moins 130 livres, avoir une vision de 20/20 et ne pas être daltonienne, ne pas avoir d’antécédents criminels et posséder un diplôme d’études secondaires avec une moyenne d’au moins 65 % en anglais, en physique et en mathématiques.
Les candidates retenues étaient ensuite envoyées au Centre de sélection du personnel navigant des Forces canadiennes à Toronto pour y subir une série de tests et un examen médical afin de se qualifier pour une formation de pilote ou de navigateur aérien, deux classifications d’officier.
Robin :
Oh, la sélection du personnel navigant. Oui, c’était... c’était intéressant. C’est quatre jours de tests, toute la journée vous faites tous ces tests. Ils vous mettent dans le simulateur et vous faites semblant de voler. Et il y a tout un tas d’autres tests pour vérifier, par exemple, la reconnaissance spatiale de l’orientation de l’avion. Et, oui, c’est assez difficile. Je ne sais pas quel est le pourcentage de personnes qui se qualifient. Ce n’est pas très élevé. C’est très difficile. Et il y avait beaucoup d’exigences physiques à l’époque, vous deviez avoir une certaine taille, les jambes d’une certaine longueur, ce qui éliminait plusieurs des femmes, seulement pour des raisons physiologiques.
Sur les douze femmes de sa cohorte, seules Robin et une autre femme ont réussi.
Micky se souvient aussi d’être allée à Toronto pour sa sélection en tant que personnel navigant. Un test en particulier est resté gravé dans sa mémoire.
C’était un test d’addition sérielle. Vous avez déjà entendu parler de l’addition sérielle? Eh bien, vous entrez et il y a une personne, vous savez, un militaire, assis derrière un bureau. Vous vous assoyez et il vous dit : « On va vous faire écouter un enregistrement qui va vous donner une série de chiffres que vous devrez additionner, en vous souvenant du deuxième chiffre. » Par exemple, ça dit, « Un, trois. » Vous dites « quatre », mais vous devez vous souvenir du trois, et le chiffre suivant est un deux, alors vous devez dire « cinq ». Il faut bien suivre *pause*… Et j’étais, je pense, peut-être la sixième à passer. Il y avait quatre autres femmes cette semaine-là, et certaines d’entre elles sont passées avant moi. Et elles en sont toutes ressorties démolies. Elles étaient vraiment secouées. Leurs globes oculaires faisaient 14 pieds de large et certaines étaient presque en larmes et toutes stressées... J’ai pensé, « Oh mon dieu, mais qu’est-ce qu’ils font aux gens là-dedans? ». Quoi qu’il en soit, je suis entrée, je me suis assise et il m’a expliqué d’une voix vraiment raisonnable, vous savez, bien rythmée. Et puis l’enregistrement a commencé, et c’était, « Un! Trois! Quatre! Cinq! Un! Deux! » *Rires* Et bien sûr, j’ai presque immédiatement raté! Mais je reprenais là où je m’étais arrêtée. Et puis il a arrêté l’enregistrement et a dit : « Savez-vous ce que vous devez faire? » J’ai dit « Oui, mais c’est impossible à suivre, tout ce qu’on peut faire c’est continuer d’essayer. » C’est ce qu’ils cherchaient. Ils recherchaient la capacité de faire des erreurs, parce qu’en tant que pilote, on fait des erreurs, l’avion fait des erreurs, l’équipage fait des erreurs. Ils voulaient quelqu’un capable de s’en remettre, vous savez? Relevez-vous, sortez de l’épave en feu et poursuivez *rires*, vous voyez?
Robin et Micky ont toutes deux été sélectionnées pour suivre la formation de pilote. Robin a été la première femme civile à se qualifier pour la formation de pilote dans les Forces canadiennes. Micky a été la deuxième.
Robin décrit ce qui s’est passé ensuite :
Le 2 avril 1980, j’ai prêté serment en tant qu’officière militaire. Et le 11 avril, je suis allée à Chilliwack, en Colombie-Britannique, pour suivre la formation de base des officiers, soit 13 semaines de formation militaire, de maniement d’armes, de lecture de cartes, etc.
Ainsi, deux mois après avoir mis les pieds dans le centre de recrutement, j’avais passé tous les tests et commencé la formation de base, un parcours extrêmement rapide pour quiconque s’engage dans l’armée. C’est follement rapide pour passer tous ces tests et remplir toute la paperasse. Mais la raison pour laquelle tout s’est passé si rapidement est qu’aucune participante aux essais SWINTER n’avait commencé le cours depuis plus d’un an, à part les quatre premières femmes.
Et dans ma formation de base, il n’y avait que quatre femmes, et deux ont terminé. Deux ont été éliminées pour des raisons différentes – une, pour une blessure et l’autre, pour son évaluation par les pairs. Donc, après ma formation, j’ai été affectée à la base des Forces canadiennes de Portage la Prairie où était donné l’entraînement au pilotage de base.
Robin a commencé sa formation élémentaire en septembre 1980. C’est là qu’elle a rencontré une autre participante à l’essai : Wendy Sewell.
Contrairement à Micky et Robin, Wendy était déjà membre de l’armée lorsqu’elle s’est portée volontaire pour devenir pilote.
La capitaine à la retraite Wendy Sewell :
Oui, je m’appelle Wendy Elizabeth Sewell. Je suis née le 27 juillet 1959. Mon père était un pilote de l’aviation canadienne pendant la guerre, et je suis née à Saint-Jean, au Québec. Puis nous avons été affectés à Goose Bay et, enfin, à Clinton, en Ontario, où mon père a pris sa retraite après trente-six ans dans l’armée.
Donc, oui, j’ai grandi dans l’armée, une gamine de base militaire […], j’avais ça dans le sang. Mon frère aussi est entré dans l’armée et je voulais être comme lui. Alors oui *rires*, c’était une de mes motivations, et mon père étant pilote, c’était quelque chose de normal dans la famille!
Wendy s’est enrôlée dans l’armée dès la fin de ses études secondaires, en 1979. Sans diplôme universitaire, elle s’attendait à s’engager comme personnel non officier, mais ses bonnes notes lui ont permis d’entrer directement dans le programme de formation des officiers de la Force régulière.
À l’époque, c’était en 1979, ils n’acceptaient pas encore de pilotes, alors j’ai choisi d’aller en contrôle d’armes aériennes. Un contrôleur d’armes aériennes, c’est comme un contrôleur de circulation aérienne, mais pour les avions de combat.
Wendy a commencé la formation de base en janvier 1980, l’a terminée en mai et a été affectée à la base de North Bay, en Ontario, pour commencer sa formation de contrôle d’armes aériennes.
Mais une heureuse tournure des événements l’a fait changer de cap peu après...
Au cours de l’été 1980, ils cherchaient des femmes pour participer à l’essai SWINTER et j’ai été recrutée pour aller à Toronto subir les tests de sélection de pilotes. Et ça s’est très bien passé. Ainsi, en septembre, on m’envoyait déjà à Portage pour commencer l’entraînement de base.
*Une musique joyeuse commence doucement : d’abord des maracas et du clavier électrique, puis du trombone.*
Oui, nous sommes arrivés à Portage et l’histoire a commencé *rires*!
Le début des années 1980 a été une période passionnante pour les femmes dans les forces aériennes canadiennes. La première cohorte de femmes pilotes a terminé sa formation, suivie du deuxième groupe non loin derrière. En 1981, Cheryl Tardif, ancienne technicienne de cellules, a terminé sa formation et est devenue la première femme mécanicienne de bord des Forces canadiennes. La même année, les deux premières navigatrices aériennes, Lynn Paddick et Karen McCrimmon, ont obtenu leur diplôme de l’École de navigation aérienne des Forces canadiennes.
La lieutenante-colonelle à la retraite Karen McCrimmon.
*La musique s’estompe.*
Je suis entrée dans l’armée en 1975 – mon frère m’avait mise au défi de le faire.
Karen s’est d’abord engagée dans l’armée en tant que réserviste et a passé cinq ans avec le Windsor Regiment, tout en étudiant le russe et la linguistique à l’université.
C’est ce qui m’a permis de payer mes études universitaires, être réserviste. Et j’y ai aussi appris beaucoup de choses sur le leadership.
Mais je pense que lorsque je suis arrivée en 1975, j’ai eu le sentiment que je pouvais faire ma place ici. Que je pourrais m’épanouir ici. C’est... un milieu... pas toujours facile, très éprouvant, mais aussi, j’ai compris assez rapidement comment les choses fonctionnent, vous comprenez?
Son plan était de devenir agente du service extérieur.
Je voulais travailler dans des ambassades, et je me suis dit : « J’ai étudié le russe, l’allemand, le français », et c’est vers là que je me dirigeais. Mais à la fin des années 1970, le service extérieur canadien venait d’être réduit. Par conséquent, il n’y aurait pas d’ouvertures pour les personnes souhaitant rejoindre le service extérieur pendant deux ou trois ans.
C’était un peu décevant, mais quand ils ont lancé SWINTER, comme je l’ai dit, mon père travaillait pour Air Canada ou Trans Canada Airlines à l’époque. J’ai donc toujours été entourée d’avions, j’ai toujours aimé les avions et j’ai toujours adoré voyager. Alors quand cette occasion s’est présentée, j’ai pensé, « je pourrais faire ça ». Et ça me permettrait de faire les voyages que je voulais vraiment faire de toute façon. Quand j’ai postulé, je pouvais choisir pilote ou navigatrice, et je n’avais aucune idée de ce que faisait une navigatrice. Alors je me suis dit, « Pourquoi pas? Je vais essayer. »
Karen a commencé la formation de base des officiers en septembre 1980, et en octobre 1981, elle et Lynn Paddick obtenaient leur diplôme de l’école de navigation aérienne.
*Une musique de piano intense commence, puis se renforce avec l’ajout de violon.*
Une porte qui s’ouvre, vous savez? Mais je ne pense pas être passée à l’étape suivante, de m’être dit, « Oh, je pourrais être la première. » Non, je ne pense pas que ça m’ait traversé l’esprit. C’est drôle, hein?
Troisième partie : un grand secret
*La musique se termine brusquement avec du violon.*
Je n’avais jamais entendu le terme « SWINTER » jusqu’à ce que quelqu’un m’envoie ce petit truc promotionnel disant que vous cherchiez des gens à qui parler. C’était la première fois que j’en entendais parler.
La caporale-chef à la retraite Bev Beale :
Je suis née à Ottawa, en Ontario, le 8 mai 1955. Mon père était dans l’armée, alors nous étions une famille militaire. Et j’ai trois frères et deux sœurs. J’étais au milieu des garçons, ce qui peut expliquer certaines choses *rires*!
Quand j’ai fini mon secondaire, je ne savais pas ce que je voulais faire. Ma mère et mon père m’ont dit, « Oh, apprends la sténographie et la dactylographie. Tu pourras être secrétaire. » C’est donc ce que j’ai fait, et j’ai travaillé un an comme secrétaire, mais ça me rendait folle. Si ennuyeux. Et je voulais faire quelque chose de différent. J’étais secrétaire sur la base, dans un des hangars. Et tous les jours, je regardais ce qui se passait en bas et ça avait l’air plutôt intéressant. Alors, j’ai décidé de m’enrôler dans l’armée.
Quand vous allez au bureau de recrutement, vous passez un tas de tests et ensuite ils vous disent ce que vous pouvez essayer. Ils m’ont dit : « Vous pouvez aller en administration, ou devenir technicienne en photographie. » Et puis ils ont dit : « Cellules d’avion. » Et je savais ce qu’était une cellule. Dans le temps, ils appelaient ça « rigger » en anglais. Mon père a été monteur, il travaillait sur les moteurs après la guerre, quand il est entré dans l’armée. Je savais donc un peu ce que c’était et j’avais toujours aidé mon père et mes frères à travailler sur les voitures et autres trucs. Alors, j’ai dit : « Je vais essayer ce truc de cellules. » Et le recruteur a dit : « Oh, vous ne pouvez pas faire ça. Vous êtes trop petite. Vous n’y arriveriez pas. » Eh bien, ne me dites jamais que je ne peux pas faire quelque chose, d’accord? Alors j’ai dit, « Regardez-moi bien aller. Inscrivez-moi dans ça » *rires*!
Mon père n’était pas content que j’aie choisi les cellules parce qu’il savait que c’était un métier d’homme. Et je ne mesure qu’un mètre cinquante, alors *rires*, il pensait que ce ne serait pas bon pour moi, surtout avec tous ces hommes autour, et tout ça. Et ma taille. Mais je lui ai dit que je voulais faire quelque chose de différent. Il m’a répondu : « Eh bien, je vais te dire ma fille, ce ne sera différent que pendant un petit moment et puis ce sera toujours la même chose. » *Rires* Et il avait raison *rires*!
Bev est entrée dans l’armée en 1974 et a été une des premières femmes à suivre une formation de technicienne de cellules d’avion. Malgré les inquiétudes de son père, elle a trouvé sa place dans le métier et y est restée pendant six ans, avant de poser sa candidature pour devenir mécanicienne de bord en 1981.
Je savais que c’était ouvert aux femmes parce qu’il y en avait une autre avant moi. Et, en fait, je me suis enrôlée parce que mon père était mécanicien de bord. Après la guerre, il a piloté un Lancaster pour la Royal Air Force, puis il est revenu ici et a rejoint l’Aviation royale canadienne en tant que monteur, puis il est redevenu mécanicien de bord. Alors, je me suis dit, bah, pourquoi pas, je vais tenter le coup. Et tous mes patrons et les gens avec qui je travaillais m’ont dit, « Oui, vas-y, vas-y. » Vous savez? Alors, je l’ai fait.
En tant que métier de personnel non officier, les mécaniciennes de bord de l’essai ont été recrutées un peu différemment que les pilotes et les navigatrices aériennes. Trois groupes « d’exécution » se sont vus offrir la possibilité de devenir mécaniciennes de bord : des techniciennes en électricité des instruments, des techniciennes en moteurs d’aéronef et des techniciennes en cellules d’avion. Ces postes avaient été ouverts aux femmes seulement six ans avant le début de l’essai, en 1974.
La sergente retraitée Cheryl Tardif :
Je m’appelle Cheryl Tardif et je suis née le 5 février 1954 à Trenton, en Ontario. Mon père était dans l’armée, alors nous sommes allés à Ottawa. Puis nous sommes allés en France. Ensuite, nous sommes allés en périphérie de Montréal pendant un an, puis un endroit plus au nord appelé Moosonee pendant deux ans, et enfin à Toronto. Mais à Moosonee, il y avait beaucoup de pilotes de brousse. Je me souviens d’être allongée dans mon lit, le matin ou le soir, à écouter ces avions passer au-dessus de moi. Et j’ai toujours été très intéressée par ce qu’ils faisaient et où ils allaient.
Comme Bev, Cheryl a rejoint l’armée en 1974 en tant que technicienne de cellules. Cheryl a été la première femme à être reclassée au poste de mécanicienne de bord. C’était elle, la femme avant Bev, lorsqu’elle est allée s’enrôler.
En 1974, quand je me suis engagée, je suis devenue technicienne d’aéronefs, ou plus précisément, technicienne de cellules. Et quand j’ai entendu dire qu’ils commençaient à ouvrir des postes de pilotes aux femmes, j’ai postulé pour devenir mécanicienne de bord parce que j’avais toutes les qualifications pour ce poste. Et comme je portais des lunettes, je ne pouvais pas être pilote, et le poste de navigatrice ne m’intéressait pas à l’époque.
Lorsque les femmes s’inscrivaient à l’essai des forces aériennes, elles s’engageaient à effectuer deux ou cinq ans de service obligatoire à l’issue de leur formation – cinq ans si elles se destinaient à devenir pilote ou navigatrice aérienne et deux ans si elles voulaient devenir mécanicienne de bord.
La caporale à la retraite Mary Lou Ellan a été une des dernières femmes militaires à être reclassée au poste de mécanicienne de bord pendant l’essai. Elle s’est engagée dans l’armée en 1977 en tant que technicienne en moteurs d’aéronef. Elle avait déjà travaillé avec les premières femmes pilotes à la base militaire de Portage la Prairie en 1979, au début de l’essai.
OK, alors mon nom de jeune fille était Gfroerer, et c’était mon nom quand j’étais dans l’armée. C’était donc G F R O E R E R, et ils se sont vraiment amusés avec ça *rires*, parce que personne ne pouvait prononcer ça! Ils ont fini par m’appeler « Smith » *rires*!
Je ne savais pas à l’époque que l’essai s’appelait SWINTER, mais nous avons entendu dire que des femmes allaient suivre une formation pour devenir pilotes. Et nous étions toutes vraiment emballées par cette nouvelle.
Mary Lou aimait être mécanicienne, mais le travail de l’équipe au sol la laissait sur sa faim.
Eh bien, j’ai été à Portage pendant deux ans. Puis j’ai été affectée à Trenton, en Ontario, où j’ai travaillé aux anomalies sur les Boeing 707 et les Hercules. Et, vous savez, j’ai voyagé un peu parce que je faisais partie d’une équipe mobile de réparation, et nous devions nous rendre à différents endroits pour réparer des avions, mais je voulais toujours voyager encore plus. Et je trouvais mon travail, je ne sais pas, un peu ennuyant parce que souvent, on attendant essentiellement qu’un avion tombe en panne pour pouvoir le réparer *rires*! Parfois, nous étions très occupés, et d’autres fois, c’était plutôt calme.
En 1984, Mary Lou a donc décidé de changer d’orientation et est devenue mécanicienne de bord.
Ils ne nous ont pas vraiment donné d’information à ce que je me souvienne. J’ai entendu dire qu’ils acceptaient des femmes comme mécaniciennes de bord et je me suis dit que j’aimerais bien faire ça. J’allais voyager, apprendre de nouvelles choses. J’étais emballée.
Quelle que soit la date à laquelle elles ont intégré l’essai, que ce soit en 1980 ou en 1984, toutes les anciennes mécaniciennes de bord que nous avons interrogées ont parlé du peu d’information qu’elles ont reçue sur le déroulement de l’essai. Comme Christine l’a dit au début de l’épisode : c’était comme si c’était « un grand secret ».
Cheryl :
À cette époque, je n’avais aucune idée qu’il s’agissait d’un essai, et je ne l’ai appris que quelques années plus tard, lorsque j’étais à Comox. Je n’avais pas l’intention de participer à un essai, je voulais simplement voler dans des avions.
Bev n’a jamais su qu’elle faisait partie d’un essai. Elle avait présumé que l’armée avait décidé d’ouvrir ces postes aux femmes.
Quand je suis devenue technicienne de cellules, ils venaient tout juste d’ouvrir ce poste aux femmes. Je me suis dit, « Eh bien, c’est ouvert aux femmes maintenant. » C’est tout ce que j’ai pensé, mais je n’ai jamais su que c’était seulement un essai.
Les femmes pilotes et navigatrices aériennes ont également fait remarquer qu’elles n’avaient pas reçu suffisamment d’information. En fait, l’ordre général des Forces canadiennes de 1979 invitant les femmes à devenir pilotes n’utilise jamais le mot « essai ». Dans un rapport rédigé par des participantes plus tard dans l’essai, des femmes ont déclaré qu’elles n’avaient jamais été informées des objectifs de l’essai, de leurs responsabilités dans l’essai et de leurs perspectives d’emploi.
Les dirigeants de l’armée n’ont jamais émis de déclaration claire sur ce qu’il adviendrait des femmes une fois leur période de service obligatoire terminée. Et si l’essai était considéré comme un échec, seraient-elles autorisées à reprendre leur ancien poste? Ou seraient-elles renvoyées de l’armée? Leur carrière dépendait-elle de la réussite de l’essai?
Ce manque d’information a entraîné chez les femmes un sentiment d’insécurité quant à leur avenir dans l’armée.
Wendy :
Je n’avais rien entendu avant d’être recrutée. Je ne savais même pas que les premières femmes suivaient la formation des pilotes. Mais après avoir été sélectionnée, alors oui, on m’a expliqué que ce n’était qu’un essai. Il y avait, dans leur esprit, une bonne chance que nous soyons renvoyées, à la fin de l’essai, à nos postes antérieurs de contrôleuses d’armes aériennes ou autres. Oui, c’était... Je me souviens qu’ils ont beaucoup insisté sur le fait que ce n’était qu’une période d’essai, ce n’était pas pour de bon. Mais cette chance d’essayer quand même était quelque chose qui m’attirait vraiment. Mais je me souviens avoir pensé, vous savez…
*De la guitare acoustique commence à jouer de façon délicate.*
... pourquoi ne réussirions-nous pas? Et pourquoi l’accent est-il mis à ce point sur un essai? En raison de la carrière de pilote de mon père pendant la guerre, je connaissais beaucoup de femmes qui avaient été pilotes de convoi et qui avaient piloté tous les chasseurs et bombardiers des usines aux escadrons, pendant la guerre. Ils savaient que les femmes pouvaient piloter. Alors, pourquoi insistait-on tant sur ce point au début?
Wendy a soulevé un bon point. Au cours des trente années qui ont précédé l’essai dans les forces aériennes, il y a eu plusieurs exemples de femmes canadiennes en aviation. Pendant la Seconde Guerre mondiale, comme le mentionne Wendy, il y a eu les femmes pilotes canadiennes au British Air Transport Auxiliary : Helen Harrison, Marion Orr, Elspeth Russel Burnett, Violet Milstead et Gloria Large. En 1971, Maureen Routledge a été la première femme au Canada à obtenir une licence de technicienne d’entretien d’aéronefs du ministère des Transports. Et deux ans plus tard, la compagnie aérienne canadienne Transair embauchait Rosella Bjornson, faisant d’elle la première femme pilote d’aviation commerciale en Amérique du Nord.
On trouve également des exemples dans le domaine militaire.
Au milieu des années 1970, l’armée de l’air canadienne avait permis à une femme médecin, la Dre Wendy Clay, de suivre une formation de pilote afin qu’elle puisse mieux comprendre les problèmes auxquels étaient confrontés les équipages qu’elle soignait. En 1974, Wendy devenait la première femme des Forces canadiennes à terminer sa formation de pilote et à recevoir son brevet, mais en sachant qu’elle ne pourrait jamais servir en tant que pilote.
Et du côté de l’Air Force, aux États-Unis, des postes non combattants de pilotes et de navigatrices aériennes sur vingt types d’avions différents ont été ouverts aux femmes à la fin des années 1970. Il s’agissait d’un programme d’essai de trois ans au cours duquel vingt-huit femmes ont terminé avec succès leur formation de pilote et de navigatrice aérienne.
Alors, si ces exemples existaient…
*La musique s’estompe.*
…pourquoi y avait-il un doute quand à la réussite de l’essai des forces aériennes?
Du point de vue des hauts dirigeants de l’armée de l’air, l’histoire de ces femmes pilotes était sans importance. Les femmes n’avaient jamais rempli les fonctions de pilotes, de navigatrices aériennes et de mécaniciennes de bord dans l’armée canadienne. L’armée se considérait comme une organisation unique, distincte de ses alliés et de la société civile. Si l’aptitude au pilotage était jugée nécessaire pour que le personnel navigant soit efficace sur le plan opérationnel, il en allait de même pour le moral et la cohésion de l’unité. La principale question à laquelle répondait l’essai des forces aériennes n’était donc pas de savoir si les femmes pouvaient piloter, mais plutôt, si les hommes accepteraient qu’elles pilotent.
*Le thème musical commence.*
Dans le prochain épisode, nous examinerons de plus près l’essai SWINTER en tant qu’étude de recherche ainsi que les premières impressions des femmes sur la formation et la vie dans un escadron. De quelle manière les femmes devaient-elles s’adapter à des conditions et des équipements conçus pour les hommes?
C’est dans l’épisode 2.
Cet épisode a été écrit et produit par moi-même, Camas Clowater-Eriksson.
Montage du scénario par Erin Gregory.
Narration par Camas Clowater-Eriksson.
Musique des Blue Dot Sessions.
Nous remercions la Direction de l’histoire et du patrimoine du ministère de la Défense nationale pour la numérisation et l’utilisation de son fonds sur les femmes militaires.
Et un merci tout particulier aux femmes qui ont offert leur voix et leurs témoignages pour cet épisode, Christine Krueger, Robin Camken, Wendy Sewell, Micky Colton, Karen McCrimmon, Bev Beale, Cheryl Tardif, Mary Lou Ellan, Rosemary Park et Wendy Clay, et à toutes les femmes qui ont contribué à la collection nationale du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada par leurs histoires orales sur l’essai SWINTER des forces aériennes.
Ce projet a été soutenu par l’Institut de recherche d’Ingenium.
Merci d’avoir écouté ce balado; nous espérons que vous écouterez également le deuxième épisode de Point de bascule.
*La musique s’estompe.*
FIN DE L’ÉPISODE 1
Épisode 2 : « Se résigner et foncer ».
*Le thème musical commence, soit un rythme régulier au violoncelle, en pizzicato, dans une tonalité mineure.*
L’expérience visant l’emploi de femmes militaires dans des environnements et des rôles non traditionnels connue sous le nom de « l’essai SWINTER » (pour Service Women in Non-traditional Environments and Roles) a été menée dans les Forces canadiennes de 1979 à 1985 pour tester l’emploi de femmes dans des rôles auparavant réservés aux hommes. Quatre essais ont été réalisés, soit dans l’armée de terre, la marine, l’armée de l’air et dans une station de communication isolée dans le nord du Canada.
Je m’appelle Camas Clowater-Eriksson et voici le deuxième épisode de Point de bascule, un documentaire audio en cinq parties du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada sur les femmes et un de ces essais : l’essai SWINTER des forces aériennes.
Le premier épisode explorait l’histoire derrière la décision des Forces canadiennes de lancer l’essai SWINTER en 1979, suite à la Loi canadienne sur les droits de la personne, et les souvenirs des femmes qui ont participé à l’essai – si elles savaient qu’elles participaient à un essai.
Dans cet épisode, nous verrons ce qu’examinait exactement cet essai et les premières impressions des femmes sur la formation et la vie dans un escadron.
Épisode 2 : « Se résigner et foncer ».
Première partie : mise en place de l’essai
*La musique s’estompe.*
En 1979, le sous-chef d’état-major de la défense a émis une directive décrivant les cinq objectifs de recherche des essais SWINTER :
- Comparer l’efficacité individuelle des hommes et des femmes pour un travail représentatif
- Comparer l’efficacité du travail et des opérations de groupes mixtes hommes-femmes et de groupes exclusivement masculins
- Évaluer l’impact comportemental et sociologique de la présence de femmes dans les unités, y compris l’impact sociologique, le cas échéant, sur les familles immédiates des militaires
- Évaluer le degré d’acceptation du public et des alliés des Forces canadiennes en ce qui concerne l’emploi de femmes militaires dans des milieux et des rôles non traditionnels
- Déterminer les répercussions sur les ressources de la participation accrue de femmes militaires dans les Forces canadiennes
Ces objectifs découlaient directement des préoccupations exprimées dans l’étude de 1978 évoquée dans le premier épisode. Les femmes pouvaient-elles faire le travail? Les unités mixtes fonctionneraient-elles aussi efficacement que les unités exclusivement masculines? Le public canadien, les alliés, les militaires et leurs épouses accepteraient-ils des femmes dans ces nouveaux rôles? Les résultats de cette recherche permettraient de déterminer si l’armée avait des raisons justifiées de continuer de restreindre l’emploi de femmes.
Deux évaluations ont été réalisées pour étudier ces questions. Une devait être menée par les commandants opérationnels des unités expérimentales, pour « évaluer l’impact global des femmes militaires sur l’efficacité opérationnelle de l’unité ». L’autre était une évaluation de sciences sociales et comportementales visant à déterminer « les conséquences humaines, le cas échéant, de l’introduction de femmes militaires dans des rôles et des milieux auparavant exclusivement masculins ». Cette évaluation allait être menée par l’Unité de recherche psychotechnique des Forces canadiennes – aussi appelée l’URPTFC – dont le but était de mener des recherches psychologiques et sociologiques afin d’éclairer les politiques des Forces canadiennes sur des sujets comme le recrutement, la sélection et l’emploi efficace du personnel militaire.
En 1981, la capitaine Rosemary Park a été affectée à l’URPTFC en tant qu’officière de sélection du personnel. Elle a été nommée chercheuse principale pour l’évaluation de sciences sociales et comportementales des quatre essais SWINTER. Cette affectation n’aurait pas pu être plus appropriée.
Rosemary s’est engagée dans l’armée en 1972 en tant que première femme à s’inscrire au programme de formation des officiers de la Force régulière. Ce programme lui a permis d’obtenir un diplôme de premier cycle en psychologie et une maîtrise en sciences de la santé appliquées, diplômes qui l’ont préparée d’une manière plutôt inattendue à évaluer les résultats des essais SWINTER.
La lieutenante-commandante Rosemary Park, maintenant à la retraite :
Ce que l’armée ne savait pas à l’époque, c’est que mes travaux de premier cycle et ma thèse de maîtrise étaient tous deux une enquête sur l’utilisation de stéréotypes masculins et féminins et sur la création d’attentes concernant le comportement des hommes et des femmes. Mais tout cela était lié aux choix de carrière, et si votre propre identification aux caractéristiques des rôles sexuels, aux caractéristiques de la personnalité, s’aligne aux choix de carrière.
Son parcours universitaire l’a initiée à une nouvelle façon de penser les rôles des hommes et des femmes – nouvelle pour les années 1970.
Un nouveau concept a émergé, qui, curieusement, est disparu des écrans radars, soit la notion qu’on n’a pas à être masculin si on est un homme et qu’on n’a pas à être féminine si on est une femme. L’attribution binaire de ces rôles, le rose et le bleu, est totalement déterminée par la société. On peut choisir dans un ou l’autre des deux camps, on s’en tire mieux comme ça. C’est ce qui m’a intéressée, le fait que les gens qui n’ont pas à se comporter en fonction des « écritures sociétales » s’en trouvent probablement mieux.
C’est ce qui m’a amenée à considérer les essais SWINTER comme quelque chose qui ne pouvait pas s’en tenir aux anciennes présomptions.
L’évaluation de sciences sociales et comportementales visait à mesurer le degré d’intégration sociale des femmes militaires dans l’unité. Le succès de l’intégration sociale était considéré par les militaires comme un élément clé du maintien de l’efficacité opérationnelle. Dans les forces aériennes, l’évaluation a porté sur « la mesure dans laquelle les femmes militaires ont été acceptées par leurs pairs masculins en tant que contributrices efficaces et égales au sein de l’escadron », ainsi que sur « l’évaluation par les femmes militaires de leurs capacités et contributions, et leur perception d’avoir été acceptées [ou non] ». Des enquêtes attitudinales et des entretiens de groupe avec les membres de l’escadron pendant la période d’essai ont permis de recueillir ces données.
Rosemary :
J’arrive donc avec mon chapeau de conception de recherche multiméthodes et multimesures, et je me dis, OK, nous avons une directive de l’état-major de la défense nationale qui est très ouverte, soit « évaluer l’impact des femmes militaires sur l’efficacité opérationnelle des unités concernées ». C’était très large.
Cette directive reposait sur le principe que l’efficacité opérationnelle dépend du maintien du statu quo masculin. Les cinq objectifs de recherche énoncés par le sous-chef d’état-major de la défense étaient clairs à ce sujet : les hommes étaient la norme à laquelle les femmes devaient se mesurer.
Lorsqu’ils ont conçu les essais SWINTER, [les paramètres] étaient si larges que s’ils pouvaient trouver n’importe quelle raison à utiliser, ce serait la preuve recherchée. Les épouses acceptaient-elles que leurs maris travaillent avec des femmes? Il y avait beaucoup de stéréotypes dans tout cela. Et il fallait faire face à tous ces stéréotypes. Mais ils devaient tous être traités d’une manière mesurable.
Dans son analyse des essais et de leurs résultats, l’historienne canadienne Karen Davis et lieutenante-colonelle à la retraite a écrit que « la seule façon de considérer les essais comme une réussite était que les femmes parviennent à minimiser toute perception de changement et à participer de manière identique aux hommes. Toute perception de différence serait interprétée comme un échec. »
Pourtant, l’essai ne permettait pas aux femmes de participer de manière identique aux hommes. Les dirigeants avaient limité la portée de l’essai, ne faisant participer que neuf unités et trois écoles de formation dans les quatre essais, ils avaient plafonné à 15 % le nombre de femmes autorisées dans chaque unité, et avaient restreint les femmes à des tâches de non-combat et de quasi-combat. Dans l’armée de l’air, les femmes étaient limitées à 10 % dans chaque escadron et ne pouvaient servir que dans des escadrons désignés comme non combattants.
Rosemary explique que l’approche des hauts dirigeants pour les essais SWINTER était profondément ancrée dans l’histoire de l’armée. Même si les femmes militaires ont obtenu le statut de membres permanents de l’armée après l’unification en 1968, l’attitude est restée la même : le but des femmes était de soutenir les opérations et non d’y participer.
Il était presque inconcevable que des femmes puissent faire ceci, ou qu’elles soient là, qu’elles fassent cela. Parce qu’à l’époque, les femmes étaient utilisées en cas d’urgence, de façon temporaire, elles étaient des auxiliaires. Jusque-là, les femmes avaient toujours été utilisées dans ces trois catégories. Seulement en cas de nécessité.
C’est ce que j’ai appelé « la théorie de l’étagère ».
En tant que chercheuse d’expérience, Rosemary a remarqué des failles dans la conception de l’essai dès les débuts.
Il y avait si peu de femmes. Quand je regarde les chiffres, le pourcentage de femmes dans les unités… on ne pouvait pas vraiment mesurer leur impact avec une présence aussi limitée. Mettre le fardeau de la preuve sur un si petit nombre de femmes était irréaliste. Elles ne pouvaient pas affecter l’efficacité opérationnelle. L’essai n’a pas permis que cela se produise. Ils ont dit : « Nous n’allons pas laisser les femmes avoir un impact négatif sur l’efficacité opérationnelle, même si nous pensons que ce sera le cas, parce que nous allons mettre un frein pour que ça ne se produise pas. »
...Ce n’est pas comme ça qu’on peut effectuer une mesure exacte. On ne commence pas avec une hypothèse ou une décision préétablie. Vous devez laisser les données vous dire quelle est la conclusion.
Mais la directive de 1979 était un ordre venu d’en haut. L’Unité de recherche psychotechnique, l’URPTFC, devait aller de l’avant avec l’évaluation de sciences sociales et comportementales malgré les limites. Rosemary et son équipe ont donc fait ce que font tous bons chercheurs.
Consciencieusement, j’ai entrepris de faire ce que la directive de 1979 nous dictait. Nous devions évaluer les cinq mesures, et nous devions le faire de façon rigoureuse.
*De la musique mystérieuse et curieuse commence; d’abord de la guitare acoustique, puis embarque le clavier électrique.*
Et donc, nous avons fait en sorte que les données puissent donner des résultats positifs ou négatifs. Nous n’avons rien prédéterminé.
Il ne restait plus qu’à voir comment se comporteraient les participantes à l’essai.
Deuxième partie : la formation commence
*La musique s’estompe.*
Quand nous sommes arrivés, c’était agréable de voir que je n’étais pas la seule femme.
La capitaine à la retraite Wendy Sewell décrit ses premières impressions de l’entraînement au vol de base à la base de Portage la Prairie, au Manitoba, en 1980.
Ce dont je me souviens, c’est que nous avions des locaux séparés. Nous avions un petit bâtiment séparé qui était beaucoup plus luxueux *rires* que celui des hommes! Ils avaient des casernes, et nous, nous avions des chambres individuelles avec notre propre salle de bain attenante, lambrissée, ça ressemblait bien plus à une suite qu’à une caserne. C’était donc déjà très différent. Et nous avons vraiment pris goût à la vie à la base. Nous devions tous aller au mess pour manger, à nos cours, ou dans la zone de vol.
Ils ont été très sélectifs dans le choix de nos instructeurs. Je pense que j’ai eu de la chance. J’ai eu de bons instructeurs. Je n’ai pas ressenti de réticence de leur part. Je n’ai pas eu l’impression qu’ils étaient fâchés de devoir enseigner à des femmes *rires*, je n’ai pas trouvé ça du tout! Je n’ai pas eu ce sentiment. Je pense qu’ils ont choisi des instructeurs plus expérimentés, beaucoup d’entre eux étaient comme une figure paternelle... Je me souviens que lorsque je suis partie en solo pour la première fois à Portage, quelqu’un a pris une photo de mon instructeur qui attendait au bureau des opérations, et il avait l’air d’un père nerveux, et je suis sûre que ce n’était pas comme ça pour les hommes. J’ai toujours cette photo, et c’est merveilleux. On le voit attendre que je revienne, vous savez *rires*, en un seul morceau!
Mais je me souviens que le temps passé à Portage était à la fois très amusant et très difficile. Je me souviens que le premier jour de classe, les instructeurs nous ont dit de regarder les autres dans notre rangée, à gauche puis à droite, et ensuite ils ont dit que sur nous trois, il n’en resterait qu’une à la fin.
*Le rythme de Another One Bites The Dust de Queen commence graduellement.*
Et notre chanson de cours était Another One Bites the Dust, et presque chaque semaine, des gens retournaient chez eux, [ayant échoué].
La formation au pilotage de base était un milieu compétitif dans le meilleur des cas, mais en tant qu’une des rares femmes, Wendy a senti cette pression amplifiée.
*Another One Bites The Dust s’estompe alors que les paroles commencent.*
Nous avons ressenti beaucoup d’opposition de la part de nos camarades de classe. Pour toutes sortes de raisons très étranges, nous pensions, mais en tout cas...
Nous avions aussi de très bons amis dans le cours. Mais beaucoup d’entre eux étaient très distants, et ils disaient des choses comme « J’ai voulu être pilote toute ma vie, et j’arrive ici et il y a des filles dans le cours », comme si nous rabaissions leur rêve ou quelque chose comme ça. Et d’autres disaient, « Oh, untel n’a pas été accepté parce que tu as pris sa place. Il attend toujours. » Vous savez, beaucoup d’opposition… beaucoup plus émotive que rationnelle.
La major à la retraite Robin Camken était une des autres femmes pilotes en formation dans le cours de Wendy.
Dans la formation de base, on apprend à décoller, à atterrir, à sortir d’une vrille, toutes sortes de choses liées au pilotage. Et aussi, on s’habitue au monde militaire.
Et la plupart des instructeurs nous traitaient de la même façon que les autres étudiants. Vous savez, j’étais contente de la formation.
Robin indique qu’une partie de la réticence qu’elle et Wendy ont ressentie était due au fait que l’armée les traitait différemment des hommes. L’endroit où elles restaient, par exemple.
Je pense qu’ils ont changé ça plus tard, parce que nous l’avions soulevé – vous savez, ils nous ont questionnées pour savoir ce qu’il y avait à améliorer. Les femmes logeaient séparément des hommes. Nous restions dans des chambres d’officiers, ce qui donnait l’impression que nous recevions un traitement spécial. Nous avions des chambres avec salle de bain privée, dans le même immeuble que les pilotes d’hélicoptères avancés. C’était donc perçu comme si on nous traitait différemment des étudiants masculins. Et c’était la même chose à Moose Jaw, ils auraient pu nous mettre dans les chambres d’étudiants parce que c’était des chambres individuelles avec une salle de bain attenante à deux chambres. Or, il y avait deux femmes. Nous aurions pu utiliser ces chambres.
Et, vous savez, lorsqu’on ne vous voit pas, les gens se mettent à penser, « Hum, qu’est-ce qu’elles font qui n’est pas comme nous? Est-ce qu’on leur donne les réponses aux tests? » Ou... *rires*, vous savez? Les gens imaginent des choses quand ils ne vous voient pas. Mais je pense qu’ils ont changé ça après notre départ, Wendy et moi. Je ne sais pas.
Et j’ai constaté qu’après avoir travaillé avec nous un certain temps, les étudiants masculins nous ont acceptées, et nous avons eu de bonnes relations de travail avec les autres étudiants du cours. Les remarques désobligeantes sur les femmes venaient généralement de personnes qui ne nous connaissaient pas. Et ça me surprenait toujours. C’était comme, « Pourquoi dites-vous ça? *Rires* Vous ne me connaissez même pas! »
*Une musique entraînante commence, maracas et clavier électrique, puis s’estompe quand la narration reprend.*
La trajectoire de la formation du personnel d’équipage – dans les grandes lignes – se déroulait comme suit :
Les pilotes se rendaient d’abord à la base de Portage la Prairie pour suivre une formation de base sur un CT-134 Musketeer, un avion monomoteur à hélice. Elles allaient ensuite à la base de Moose Jaw, en Saskatchewan, pour suivre une formation de base sur des Tutor, des avions à réaction. Les mécaniciennes de bord devaient suivre un cours de formation de base de six mois à la base de Trenton, en Ontario, et les navigatrices aériennes étaient envoyées à la base de Winnipeg, à l’École de navigation aérienne des Forces canadiennes.
Mon nom complet est Georgina Jones, mais au moment de l’essai, c’était Georgina Ferguson. C’était mon nom de jeune fille. Je suis née le 9 novembre 1958, et j’ai surtout grandi à North Vancouver, en Colombie-Britannique.
La lieutenante-colonelle à la retraite Georgie Jones, navigatrice aérienne, a intégré l’armée en 1980. Mais en raison d’une série de délais, elle n’a commencé sa formation à l’école de navigation aérienne qu’en 1982.
Il y avait six personnes dans mon cours, à l’école de navigation, et j’étais la seule femme. Et j’ai été la dernière des huit femmes formées en navigation. J’ai connu des délais dans ma formation parce que lorsque j’ai terminé mon cours d’officier de base, c’était à peu près au même moment de l’année que les hommes du collège militaire obtenaient leur diplôme, et ils avaient la priorité pour les cours. Il n’y avait rien d’autre pour moi, alors ils m’ont inscrite à un cours de français d’un an. Puis j’ai fini par commencer l’école de navigation.
Nous avons étudié les avions et les systèmes électroniques, la théorie céleste, parce qu’à l’époque, nous utilisions encore des sextants dans les avions pour déterminer la position des étoiles, des planètes et du soleil. Nous avons étudié la météorologie – le temps qu’il fait essentiellement. Il y avait aussi du perfectionnement des officiers, comme apprendre à parler en public, à écrire, vous savez, ce genre de choses, apprendre à faire des présentations orales et écrites. Nous avions un entraîneur électronique et des entraîneurs de vol.
Ensuite venait la formation avancée sur les avions qui allaient être pilotés par l’escadron. Les navigatrices aériennes étaient envoyées au 426e escadron d’entraînement à Trenton pour se qualifier pour le service opérationnel sur le Lockheed C-130 Hercules, un énorme avion de transport quadrimoteur, affectueusement appelé « trash hauler » (la remorque à déchets) par certains.
Vous est-il déjà arrivé d’entrer dans un cockpit, de lever le regard et de voir tous les interrupteurs et tout l’équipement, et de vous dire : « Comment est-ce que quelqu’un peut bien faire fonctionner tout ça? »
La lieutenante-colonelle à la retraite Karen McCrimmon, navigatrice aérienne, se remémore sa formation.
Alors ils vous préparent et vous enseignent, étape par étape, pour que vous ayez un endroit où mettre toute l’information dans votre cerveau. Mais il a fallu un certain temps pour que je me dise : « Pourquoi est-ce que je fais tout ça? » J’aime les « pourquoi », alors, « Pourquoi est-ce qu’on fait ça? Qu’est-ce qu’on essaie d’accomplir en faisant ça? » Au début, je pense que pendant les cinq ou six premiers mois, ils étaient inquiets parce que ça ne marchait pas pour moi... J’avais de bons résultats à l’écrit, bien sûr, j’étais tout en haut de l’échelle, mais dans l’avion, je me disais : « Pourquoi faut-il faire ça? Je ne comprends pas ça... » Alors, je faisais ce qu’on me disait de faire. Je le faisais, mais je ne pouvais pas relier tous les morceaux du casse-tête.
Et puis un jour, je ne me souviens même pas ce que c’était. C’était une mission qui a fini par changer, une mission d’entraînement. On avait fait toute la planification, on avait fait tout ça, et puis la mission a dû changer au dernier moment. Et alors, c’est à vous de diriger ce qui doit se passer ensuite. Et j’ai formidablement réussi parce que, finalement, je savais quoi faire. Tous les morceaux se sont placés. Tout s’est bien passé à partir de là.
Pour la formation avancée, les pilotes étaient répartis en deux groupes : la formation sur des aéronefs à voilure fixe, des avions, ou la formation sur des aéronefs à hélice, des hélicoptères. Mais les mécaniciennes de bord n’avaient qu’une seule option : elles étaient formées sur le Buffalo, un avion bimoteur à turbopropulseur et à décollage et atterrissage courts fabriqué par de Havilland Canada, qui était principalement utilisé à l’époque pour les opérations de recherche et sauvetage.
Nous sommes entrés dans la salle de cours et il y avait ces panneaux de formation, qui faisaient six ou huit pieds sur quatre pieds de haut, et il y avait un, deux, trois, quatre... Il y en avait cinq ou six, tout autour de la classe.
La caporale-chef à la retraite Bev Beale, mécanicienne de bord, se souvient de sa formation sur le Buffalo :
Nous sommes entrés et toutes les lumières sur ces tableaux étaient allumées. Et, c’était des fils… Ici, là, allant par ici, allant par là. Et j’ai pensé, « Je ne vais jamais apprendre ça. » Et voici ce qu’un bon instructeur peut faire pour vous : il a éteint toutes les lumières sur tous les panneaux et il a tourné un interrupteur et la pile s’est allumée. Il a dit, « On va commencer par ça. » Et c’était comme des spaghettis qu’il fallait suivre, à partir d’ici, tout autour de là, là-dedans, par là, par ici puis par là, et maintenant vers le moteur, et ça vers l’alimentation auxiliaire, puis vers là, OK... Et je ne me souviens plus combien de temps ça a pris, une semaine ou deux, mais à la fin, quand nous avons fini, nous savions comment faire. Nous connaissions tout le système électrique de l’avion. Mais je pense que c’est parce que nous avons reçu une très bonne instruction. Je suis sûre qu’ils ont de meilleurs – comment ça s’appelle déjà? – aides à l’instruction aujourd’hui qu’à l’époque. Ces panneaux étaient faits maison, j’en suis sûre *rires*!
Mais après cette partie du cours, qui, je pense, a duré quelques semaines – je ne me souviens plus de la durée du cours sur le Buffalo –, nous avons commencé à voler. Et c’était une toute autre...
*De la guitare acoustique commence à jouer de façon délicate.*
…paire de manches.
À mesure que les femmes avançaient dans leur formation, on leur rappelait de bien des façons qu’elles intégraient un milieu conçu pour les hommes.
Robin :
Les uniformes, comme l’équipement et les combinaisons de vol, étaient tous masculins. Conçus pour des hommes.
*La musique s’estompe.*
Et le problème c’était que *rires*, si vous arriviez à trouver quelque chose qui vous faisait aux hanches, les manches étaient toujours trop longues et ça pendait aux épaules! Parce que, vous savez, les uniformes étaient conçus pour des hommes aux hanches étroites. C’était donc le plus gros problème, les combinaisons de vol. Mais je n’ai eu aucun problème avec les avions comme tels, je fais un mètre soixante-dix.
*La musique reprend doucement.*
Ce n’était donc pas un problème. Mais ce l’était pour les femmes plus petites.
Karen :
Je n’ai pas pu trouver de bottes de vol assez petites pour moi, même si je n’ai pas des pieds si petits que ça. Je chausse du huit, du huit de dames. Ils n’ont pas pu trouver des bottes à ma pointure, alors, ils ont dû en fabriquer.
*La musique s’estompe.*
Vous savez, les combinaisons de vol n’étaient pas si mal. Je veux dire, elles avaient du… du velcro pour les ajuster. Elles n’étaient pas très belles, mais je n’étais pas là pour être belle. Les casques aussi ont pris un certain temps, pour trouver la bonne grandeur. Tant de choses étaient conçues pour les hommes, bien peu avaient été pensées pour les femmes. C’était une nouvelle idée. Je pense donc qu’ils ont fait de leur mieux. Je pense qu’ils ont essayé.
*La musique reprend doucement.*
L’armée a essayé d’améliorer les choses pour nous. Mais c’était un peu difficile.
Georgie :
Je mesure un mètre quatre-vingt, alors je n’ai pas vraiment eu de problèmes avec l’équipement. Le seul petit problème était évidemment, vous savez, les pauses toilettes.
*La musique s’estompe.*
C’est beaucoup plus facile pour les gars dans l’avion que pour les filles. Mais une fois qu’on s’est habitué au seau hygiénique à l’arrière du Hercules, on s’y fait ou on est... la dernière à monter dans l’avion et la première à en descendre *rires*!
*La musique reprend doucement, avec une mélodie.*
Les salles de bain des avions ne sont pas les plus confortables, même sur les avions commerciaux. Les salles de bain des avions militaires utilisés dans l’essai faisaient paraître celles des avions commerciaux comme des salles de grand luxe. D’une certaine manière, les toilettes étaient quelque chose que les hommes comme les femmes pouvaient détester ensemble. La salle de bain du Buffalo n’était pas trop mal, au moins elle avait une porte. Mais celle du Hercules était une autre affaire.
La major Micky Colton, pilote à la retraite, s’en souvient parfaitement.
*La musique s’estompe.*
Les installations sanitaires limitées à l’arrière du Hercules ne convenaient à personne.
C’était essentiellement un ensemble de rails qui repose sur une plateforme, avec un joli rideau vert en plastique qui en fait le tour pour vous donner un peu d’intimité. Et j’ai toujours eu cette vision que j’étais assise là, tout près de la rampe. Nous étions en plein vol, moi avec ma combinaison descendue autour de mes chevilles, et la rampe se relâche et je suis aspirée dans le ciel, le dos complètement nu. J’avais toujours cette vision.
Vous savez, je n’avais pas d’autre option, je ne pouvais pas utiliser l’urinoir. Je veux dire, j’aurais pu, mais ça aurait été plutôt laborieux. Et, de toute façon, ils ont fini par ne plus autoriser les urinoirs parce que l’urine s’écoulait le long du longeron en pente à l’arrière de l’avion et ça l’endommageait. Donc, ils ont arrêté *rires* de permettre aux gens de l’utiliser!
Il fallait s’y faire. Certains se retenaient, mais moi, je n’étais pas capable. J’aurais fait pipi sur le siège. Pas capable, impossible!
Alors, je me suis résignée et, vous savez, j’ai foncé.
*La musique reprend doucement, et le rythme devient plus prononcé*.
Les combinaisons de vol, bottes et casques mal ajustés et les toilettes peu invitantes ont été de bien petits obstacles à surmonter pour les femmes lorsqu’on considère le reste. Elles se sont adaptées.
Micky :
Ouais, alors il n’y avait rien, ils n’ont pas fait d’efforts particuliers pour nous faciliter la vie…
*La musique cesse.*
…mais ils n’ont pas nécessairement essayé de nous mettre des bâtons dans les roues ou quoi que ce soit. Vous savez, ils s’attendaient à ce qu’on s’arrange avec ce qu’on avait.
L’armée de l’air n’a peut-être pas fait activement obstacle aux femmes, mais son omission de leur fournir du matériel approprié a fait en sorte que les participantes aux essais ont dû surmonter des difficultés que les hommes n’avaient pas. L’armée ne voyait peut-être pas l’intérêt d’investir de l’argent dans de l’équipement qui ne servirait peut-être plus dans quelque temps.
*De la musique mystérieuse et curieuse commence; d’abord de la guitare acoustique, puis embarque le clavier électrique, et un rythme régulier s’installe.*
Il s’agissait d’un essai, après tout. Mais comme l’essai mesurait le rendement des femmes par rapport à celui des hommes, la question de l’équipement soulève une question d’équité. Les femmes ont-elles eu une chance équitable en tant que membres d’équipage si elles ne disposaient pas d’équipement qui leur était adapté?
Et il y avait des choses auxquelles il était un peu plus difficile de s’adapter, parce que dans certains cas, les iniquités faisaient partie des avions eux-mêmes.
Voici comment Bev a décrit son premier vol sur le Buffalo.
Alors nous allons voler. Donc, on se lève et on est tous attachés. C’est parti. Dans le Buffalo, il y a un pilote et un copilote. Et le mécanicien de bord s’assoit entre les deux, dans un siège escamotable qu’on retire du mur. La première fois que je me suis assise dans ce siège… Il y un harnais, je suppose que c’est le même que celui du pilote, il passe sur les épaules, et sur les hanches, et il y a quelque chose au centre, avec une grosse boucle au milieu.
*La musique s’estompe.*
Je me suis donc installée là, bien serrée et en sécurité. Et une des tâches d’un mécanicien de bord dans un Buffalo est de rentrer les volets. Alors on *bruit de vrombissement*, et on regarde les jauges et tout ça parce qu’on doit décider d’abandonner si tous les paramètres ne sont pas atteints avant – je crois qu’on appelle ça V1? – avant un certain point, il faut décider : on décolle ou on reste au sol? Quoi qu’il en soit *rires*, […] nous décollons et la première chose que le pilote dit est « Rentrez les volets ». Je me prépare à le faire, mais je suis incapable de les atteindre. Parce que je suis dans ce siège. Et je me dis, « Oh mon Dieu, je ne peux pas les atteindre. » Alors c’est lui qui les a rentrés. Et je me suis dit : « Ah, OK. » Alors, je me suis tortillée vers l’avant et j’ai desserré les sangles, desserré les sangles, desserré les sangles. Lorsque j’ai enfin pu atteindre les volets pour les rentrer, mon harnais était au maximum. Et la première chose qui m’est venue à l’esprit était, « Ouais, très sécuritaire » *rires*!
Le Buffalo avait été conçu en fonction d’un opérateur beaucoup plus grand que Bev. Mais cette particularité a placé cette dernière devant un dilemme : être en sécurité, avec son harnais correctement serré, mais être incapable de faire certaines parties de son travail, ou alors, compromettre sa sécurité?
Et c’était impossible de déplacer le siège. Je veux dire, il était attaché à l’avion, donc, rien à faire. Mais, j’arrivais à faire mon travail en relâchant le harnais le plus possible. J’ai pensé que c’était OK pour le moment. Mais rien n’allait changer…
*La musique recommence, avec un rythme soutenu.*
Troisième partie : dans l’escadron
*La musique s’estompe.*
Une fois leur formation terminée et leur qualification de personnel d’équipage acquise – en d’autres mots, après avoir gagné leurs « ailes » – les femmes militaires étaient affectées à un des cinq escadrons opérationnels qui jouaient un rôle soit de transport, soit de recherche et sauvetage, ou un mélange des deux. Il y avait donc le 413e escadron à la base militaire de Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard, le 435e escadron à la base d’Edmonton, en Alberta, le 442e escadron à la base de Comox, en Colombie-Britannique, et les 424e et 436e escadrons, tous deux à la base de Trenton, en Ontario. Des femmes ont également été affectées comme instructrices dans trois écoles d’entraînement des Forces canadiennes, mais ces écoles n’ont pas été incluses dans l’évaluation de l’Unité de recherche psychotechnique.
Pour les besoins de l’essai des forces aériennes, les hauts dirigeants de l’armée de l’air ont défini les escadrons participant à l’essai comme étant non combattants, c’est-à-dire : « dont le rôle principal n’implique pas de combat ni d’opérations en soutien direct au combat, ou de formation à de tels rôles. » De cette façon, l’essai permettait aux femmes d’être « opérationnelles », en ce sens qu’elles jouaient un rôle actif dans les opérations militaires, mais pas au sein d’escadrons jugés combattants ou quasi combattants, lesquels demeuraient entièrement masculins.
Ouais, vous savez, recherche et sauvetage, ça c’est la vie.
C’était la sergente à la retraite Cheryl Tardif. Après avoir suivi la formation de mécanicienne de bord et obtenu sa qualification sur le Buffalo en 1981, Cheryl a été affectée au 442e escadron de recherche et sauvetage à Comox, en Colombie-Britannique.
J’étais très, très heureuse de faire partie de l’escadron de recherche et sauvetage. J’ai probablement fait mon parcours de vol à l’envers. Je suis passée d’un très bon travail à d’autres un peu plus ennuyants après ça. Mais, à l’époque, c’est ce que je voulais faire, vous savez, aider les gens.
Au 442e escadron, ils pilotaient des C-115, bref, des Buffalo, mais aussi des Labrador, des hélicoptères. C’était un excellent avion, mais il devenait usé et il n’était pas pressurisé. Ce n’était pas un avion pressurisé. Alors si on montait à... à 10 000 pieds, il fallait utiliser de l’oxygène. Ce que, bien sûr, on détestait tous faire. Donc...
Lors de missions de recherches, si nous cherchions des avions disparus, je pourrais jurer avoir fait le tour de chaque montagne en Colombie-Britannique au moins dix fois. Donc, la beauté de tout ça, c’est que j’étais toujours entourée de beauté.
Au 442e escadron, Cheryl réalisait son rêve : voler et aider les gens. Et socialement, elle se sentait acceptée la majeure partie du temps.
La plupart des hommes étaient contents, je pense, d’avoir une femme dans l’escadron. Mais, bien sûr, il y avait toujours, vous savez, des gens qui ne veulent rien avoir à faire avec vous.
Vous savez, les gars avec qui je travaillais, ils étaient... ils pouvaient être vraiment taquins. Et en fait, je ne me souviens pas si... c’était lors d’une recherche… et, parfois, je me souviens d’avoir été loin de chez moi pendant trois semaines, c’était pendant une année de recherche et sauvetage vraiment intense… Et nous étions toujours en mission, une recherche n’attendait pas l’autre, alors on n’arrêtait pas. Et je me souviens être revenue et, ce n’était pas mon équipe, c’était les gars d’autres équipes, et ils disaient des choses comme, « Oh, tu rentres à la maison? ». Et on me regardait drôlement et tout. Et parce qu’ils jouent beaucoup de tours, je suis retournée à l’unité, et j’ai pris l’avion pour Comox, et j’ai fouillé dans ma valise parce que Dieu sait ce qu’ils auraient pu mettre dedans, vous savez? Ils étaient capables de tours pendables. En tout cas, je n’ai jamais rien trouvé. Même le personnel au sol, quand j’étais en service, me regardait bizarrement en ricanant. Ils ont monté ma petite Honda sur quatre blocs pour que je ne puisse pas m’en aller. Alors *rires*, j’ai dû demander l’aide des gars de l’entretien!
La dimension sociale de l’armée de l’air n’a pas été la même expérience pour toutes les participantes à l’essai. Toutes faisaient partie intégrante de l’équipage, mais les pilotes et les navigatrices aériennes étaient des officières, tandis que les mécaniciennes de bord faisaient partie du personnel non officier. Les officiers sont comme des dirigeants. Ils sont responsables de la planification et de l’exécution des opérations, et de la supervision des militaires de rang inférieur. Les sous-officiers, quant à eux, sont des gens de métier spécialisés et leur structure hiérarchique est différente de celle des officiers. Il y avait donc des accrocs d’ordre culturel et hiérarchique entre les deux groupes, et même au sein de ces groupes, il y avait différents statuts. Le poste de pilote était souvent considéré le plus souhaitable au sein du personnel navigant.
Georgie se souvient que les pilotes féminines étaient beaucoup plus critiquées que les navigatrices aériennes.
J’ai été affectée au 435e escadron de transport et de sauvetage à Edmonton. J’y suis arrivée en juillet 1983. Comme j’étais à la fin de la période de formation, un grand nombre des filles qui devaient être affectées au transport sont allées à Trenton, puis elles ont commencé à combler les postes à Edmonton. Edmonton avait donc trois femmes dans la marine au moment où je suis arrivée. Et c’était tout, nous n’avions pas de pilotes qui faisaient partie de l’essai à Edmonton.
J’ai trouvé que tout le monde était plutôt accueillant. Ils étaient un peu méfiants. Ils m’ont donné le bénéfice du doute en attendant que je gaffe ou que je fasse mes preuves.
Mais j’ai parlé à beaucoup de mes amies qui ont participé à l’essai en tant que pilotes, et elles ont été confrontées à beaucoup plus de harcèlement parce qu’elles « volaient » des postes de pilote aux hommes. De façon générale, si un gars était un navigateur, il ne voyait pas les choses de la même manière. Je ne veux pas dire que les navigateurs étaient des citoyens de seconde classe, mais beaucoup de gars étaient navigateurs parce qu’ils avaient échoué la formation de pilote. C’est pour cette raison que, en tant que navigatrice, je n’étais pas aussi intimidante aux yeux des plus jeunes […].
Les mécaniciennes de bord ont également rencontré des défis particuliers.
La caporale à la retraite Mary Lou Ellan a été affectée au 413e escadron à Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard.
Je m’entendais bien avec le personnel au sol de même qu’avec le personnel navigant, les pilotes et les navigateurs aériens… ça allait très bien.
C’est avec les autres mécaniciens de bord que j’avais des problèmes *rires*! Ils étaient vraiment chauvins.
Dans les documents d’archives sur l’essai des forces aériennes, il est indiqué que les mécaniciens de bord masculins étaient particulièrement réticents à l’idée des femmes dans le métier. Mary Lou s’est demandé si c’était parce que beaucoup de ces mécaniciens provenaient des forces armées, et une forte opposition aux femmes dans des rôles non traditionnels a été constatée dans l’essai mené dans les forces terrestres.
Ce que j’ai compris, c’est que beaucoup de ces hommes qui deviennent mécaniciens de bord, ils viennent de l’armée… Ils voient ces avions, ces mécaniciens de bord, et ils se disent, « Hum, j’aimerais ça faire ce travail ». Alors ils font la transition en aéronautique et deviennent mécaniciens de bord. Parce qu’il faut seulement, je pense, être dans le métier depuis quatre ans et ensuite être corporal deux ans pour postuler à un poste de mécanicien de bord.
Une des choses que j’ai remarquées chez mes collègues mécaniciens de bord, c’est qu’ils disaient souvent *pause*… lorsqu’il y avait un problème, « Bah, trompez-les en disant des conneries, ils ne sauront jamais ». Et je leur disais, « Ce n’est pas une bonne attitude ça. »
Et je m’entendais très bien avec les pilotes et les navigateurs aériens. Et ils aimaient que, si je ne savais pas quelque chose, je disais « Laissez-moi chercher », parce que nous avions toujours les manuels techniques avec nous dans l’avion. Donc, si je ne savais pas quelque chose, je disais, « Juste une minute, je vais chercher dans le manuel ». Et ils respectaient vraiment cela.
Une expérience commune aux femmes que nous avons interrogées, quel que soit leur rôle dans l’équipage, était la pression qu’elles ressentaient pour prouver qu’elles avaient le droit d’être là. Cette pression a été ressentie à chaque étape, de la formation à l’affectation dans l’escadron.
En tant que pilote, Wendy se souvient de cette pression tout au long de sa formation.
Si quelque chose se passait mal, ça se répandait comme une traînée de poudre. Le temps d’atterrir et les gens savaient déjà que vous aviez fait une erreur quelque part. On se demandait, « Comment, comment est-ce possible? ». On n’entendait jamais ça à propos d’un gars, sauf, bien sûr, s’il avait eu à s’éjecter, alors tout le monde le savait. Mais pas dans le cas d’un atterrissage difficile, ou s’il s’était perdu ou... On fait tellement de choses. On fait de la voltige, de la navigation, des vols de nuit, on vole aux instruments, il y avait tellement de volets dans cette année d’apprentissage. Il y avait donc beaucoup d’occasions de faire des erreurs.
L’adjudante-maître à la retraite Christine Krueger, mécanicienne de bord, a fait l’expérience de cette pression au 424e escadron de Trenton, en Ontario, un escadron mixte de recherche et sauvetage et de transport.
N’oubliez pas, c’était l’époque où il fallait se résigner et foncer, s’entendre avec les autres et faire ce qu’il y avait à faire. Parce que, encore une fois, la dernière chose que vous vouliez faire, c’est alimenter le... l’attitude du jour… « Bien oui, voilà. Une autre femme, qui n’y arrive pas. Une erreur… » Vous voyez? On ne voulait pas ça. Il fallait s’assurer de faire le travail aussi bien, voire mieux, que n’importe quel des gars.
Lorsqu’elle a pu prouver qu’elle était capable, elle a été acceptée.
De façon générale, je m’entendais bien avec tous les gars... C’est comme pour tout le reste, dès qu’on se fait une réputation… que les gars ont su que je pouvais faire ma part, faire mon travail, oui, ils acceptaient toujours de m’aider, de travailler avec moi plutôt que de s’opposer à moi.
Mary Lou a vécu une expérience similaire.
Il fallait toujours faire nos preuves. Prouver qu’on pouvait faire le travail, prouver qu’on était capable...
*Le thème musical commence doucement.*
…qu’on savait ce qu’on faisait, des choses comme ça. Il fallait donc travailler fort, plus fort que les hommes, je pense. Mais après avoir prouvé qu’on pouvait faire du bon travail, on était accepté.
Mais pour Wendy, ce changement d’attitude ne s’est jamais vraiment produit. Elle a été affectée au 436e escadron, à Trenton. Peu importe le rendement des femmes au 436e, elles ne se sont jamais senties pleinement acceptées par les hommes.
Pourquoi cet escadron était-il différent des autres?
L’histoire se poursuit dans le troisième épisode.
Cet épisode a été écrit et produit par moi-même, Camas Clowater-Eriksson.
Montage du scénario par Erin Gregory.
Musique des Blue Dot Sessions, avec un court extrait de Another One Bites the Dust de Queen.
Nous remercions la Direction de l’histoire et du patrimoine du ministère de la Défense nationale pour la numérisation et l’utilisation de son fonds sur les femmes militaires.
Et un merci tout particulier aux femmes qui ont offert leur voix et leurs témoignages pour cet épisode, Rosemary Park, Wendy Sewell, Robin Camken, Georgie Jones, Karen McCrimmon, Bev Beale, Micky Colton, Cheryl Tardif, Mary Lou Ellan et Christine Krueger, et à toutes les femmes qui ont contribué à la collection nationale du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada par leurs histoires orales sur l’essai SWINTER des forces aériennes.
Ce projet a été soutenu par l’Institut de recherche d’Ingenium.
Merci d’avoir écouté ce balado; nous espérons que vous écouterez également le troisième épisode de Point de bascule.
*La musique s’estompe.*
FIN DE L’ÉPISODE 2
Épisode 3 : Travailler dans un bocal à poissons
*Le thème musical commence, soit un rythme régulier au violoncelle, en pizzicato, dans une tonalité mineure*.
L’expérience visant l’emploi de femmes militaires dans des environnements et des rôles non traditionnels connue sous le nom de « l’essai SWINTER » (pour Service Women in Non-traditional Environments and Roles) a été menée dans les Forces canadiennes de 1979 à 1985 pour tester l’emploi de femmes dans des rôles auparavant réservés aux hommes. Quatre essais ont été réalisés, soit dans l’armée de terre, la marine, l’armée de l’air et dans une station de communication isolée dans le nord du Canada.
Je m’appelle Camas Clowater-Eriksson et voici le troisième épisode de Point de bascule, un documentaire audio en cinq parties du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada sur les femmes et l’un de ces essais : l’essai SWINTER des forces aériennes.
Le dernier épisode décrivait les objectifs de recherche de l’évaluation de sciences sociales et comportementales du projet dans les forces aériennes menée par l’Unité de recherche psychotechnique des Forces canadiennes (l’URPTFC) qui s’intéressait à l’acceptation des femmes au sein du personnel d’équipage par les hommes, et à la perception de cette acceptation par les femmes elles-mêmes. Les femmes ont décrit comment elles ont surmonté la première étape de l’essai des forces aériennes : suivre la formation pour se qualifier et gagner leurs « ailes ». En tant que minorité dans un milieu exclusivement masculin, les femmes se sont adaptées à l’équipement et aux aéronefs conçus pour des corps masculins et ont ressenti la pression de performer aussi bien, sinon mieux, que les hommes. Une fois dans les escadrons, de nombreuses femmes se sont senties acceptées après avoir pu démontrer leurs capacités. Mais au 436e escadron, toutefois, cela ne s’est pas produit.
Dans cet épisode, nous examinerons le cas du 436e escadron, le problème posé par la culture militaire et la recherche de soutien par les femmes.
Épisode 3 : Travailler dans un bocal à poissons
Première partie : l’attitude des hommes
*La musique s’estompe.*
Sur une échelle de un à cinq, un étant négatif et cinq étant positif, indiquez comment vous vous sentez en ce qui concerne ce qui suit :
- Si les femmes reçoivent une formation adéquate, elles peuvent accomplir des tâches en tant que personnel navigant d’un escadron de vol opérationnel aussi bien que les hommes.
- Les femmes qui font partie du personnel navigant d’un escadron de vol opérationnel sont émotionnellement capables de composer avec la vie dans l’escadron.
- L’efficacité opérationnelle d’un escadron est réduite lorsqu’il y a présence de femmes au sein du personnel.
- Le moral de l’escadron est diminué lorsqu’il y a présence de femmes au sein du personnel.
Ces énoncés sont tirés d’un questionnaire remis aux militaires de deux escadrons en 1983 : le 424e escadron de transport et sauvetage et le 436e escadron de transport, tous deux situés à Trenton, en Ontario. Le questionnaire faisait partie d’une enquête sur les attitudes menée par l’Unité de recherche psychotechnique des Forces canadiennes – ou URPTFC – dans le cadre de son évaluation de sciences sociales et comportementales. Une première enquête menée en 1982, un an après l’arrivée des trois premières femmes pilotes, avait conclu que l’attitude à l’égard des femmes était « généralement neutre », probablement en raison du peu de femmes présentes dans l’escadron à ce moment-là.
En 1983, onze femmes pilotes, huit navigatrices et trois mécaniciennes de bord ont terminé leur formation et ont été affectées à un escadron. Aux 436e et 424e escadrons, la population des femmes avait atteint 10 %, ce qui était considéré par les chercheurs de l’URPTFC comme une « masse critique » : si cette proportion avait été inférieure, les chercheurs auraient considéré qu’il était impossible d’évaluer de manière significative l’impact des femmes militaires dans l’escadron.
L’étude de 1983 a révélé que dans les deux escadrons, l’acceptation de personnel féminin était liée à la « perception des capacités ».
Les hommes du 424e considéraient que les femmes « présentaient une gamme normale d’aptitudes au pilotage », et leurs comportements reflétaient une acceptation générale des membres d’équipage féminins.
Mais au 436e escadron, toutefois, la présence des femmes était perçue comme « quelque peu problématique ».
Les membres d’équipage masculins parlaient d’un manque de confiance dans les capacités professionnelles des femmes en tant que pilotes. Alors que le rendement des navigatrices aériennes était considéré comme adéquat, « il a été noté que les femmes pilotes et les navigatrices montraient moins de motivation, d’engagement et de dévouement que leurs homologues masculins ».
L’URPTFC a proposé diverses explications pour expliquer pourquoi les femmes étaient acceptées au 424e, mais pas au 436e.
Tout d’abord, il y avait le fait que les femmes étaient cantonnées à des tâches dites non combattantes. La chercheuse principale de l’URPTFC pour les essais SWINTER, la lieutenante-commandante à la retraite Rosemary Park, se souvient que tous les escadrons avaient protesté contre cette classification :
Ils ont dit, « Vous dites que nous sommes non combattants? Vraiment? » Il y avait une certaine indignation. Chaque fois qu’on monte dans un avion, il y a un risque. Évidemment, une mission de recherche et sauvetage dans le nord de l’Ontario n’est pas la même chose qu’intercepter des bombardiers russes, mais il y avait une certaine fierté du fait que tous les escadrons étaient agiles et polyvalents. Faire la distinction était plus artificiel qu’autre chose car la prochaine fois ils pourraient se retrouver dans une situation davantage hostile.
C’était particulièrement artificiel au 436e. En tant qu’escadron de transport utilisant des Hercules, le personnel avait l’obligation d’être formé en ce qu’on appelle l’aéroportage tactique, c’est-à-dire le transport de troupes et de fournitures à l’intérieur et à l’extérieur des zones de combat. À l’époque, il s’agissait d’une zone grise qui n’était pas définie comme une zone de combat, mais pas non plus comme une zone de non-combat. Au début de l’essai, il était interdit aux femmes d’être formées en transport aérien tactique. Cette interdiction signifiait que les femmes étaient perçues comme incapables de contribuer pleinement à l’escadron et que les fonctions de combat demeuraient entièrement le fardeau des hommes. Les hommes décrivaient cela comme une forme de « discrimination inversée ».
La quantité de contacts que les membres de l’escadron avaient avec les femmes militaires variait également entre les deux escadrons. Le 424e était un petit escadron, et la nature des activités de recherche et sauvetage était telle que les équipages passaient beaucoup de temps ensemble, permettant aux hommes de mieux connaître leurs collègues féminines sur le plan individuel. Le 436e, de son côté, était un grand escadron; l’équipage changeait à chaque opération et beaucoup de membres ne se côtoyaient pas souvent, ce qui signifiait que les hommes avaient moins d’occasions d’acquérir suffisamment d’expérience de travail avec les femmes pour dissiper les rumeurs qu’ils avaient pu entendre à leur sujet.
Et les rumeurs étaient courantes.
Les rumeurs ont été citées comme une importante préoccupation dans l’enquête de 1983, un problème présent dans tous les escadrons qui ont participé à l’essai mais qui semblait plus problématique au 436e. Certains hommes étaient convaincus que les normes avaient été abaissées pour permettre aux femmes de suivre la formation et d’intégrer l’escadron. Et cette présomption visait souvent les pilotes.
Un pilote masculin du 436e escadron a indiqué :
Si un gars obtient ses ailes aujourd’hui, c’est qu’il les a méritées... Je pense que tous les gars sont fiers de porter leurs ailes. Je sais que moi, je le suis, et je n’apprécie pas du tout le fait que certaines de ces filles arrivent ici et qu’elles ne sont pas capables de piloter. Elles ne devraient pas voler! Ça me dérange qu’elles portent les mêmes ailes que moi alors qu’elles n’ont pas atteint les mêmes normes que les hommes.
Les chercheurs de l’URPTFC n’ont pas cru que les normes de formation avaient été abaissées comme le suggérait ce pilote, d’autant plus que les femmes étaient considérées comme tout à fait capables dans les autres escadrons. L’URPTFC n’a jamais trouvé de preuves qui appuyaient cette affirmation. Plus tard, en 1990, un rapport de R.J. Hicks, responsable de la Commission centrale médicale de l’Institut de médecine environnementale pour la défense, a confirmé que les normes n’avaient jamais été abaissées. Ce rapport comparait les scores et les résultats de formation des hommes et des femmes pendant l’essai, et a conclu que non seulement les mêmes normes de sélection avaient été utilisées, mais aussi qu’en ce qui concerne la formation des équipages, « on ne peut parler de différence significative entre les taux de réussite des hommes et des femmes ».
Rosemary a rappelé que ce n’était pas la première fois qu’une telle affirmation était utilisée pour résister au changement dans l’armée. Le même argument avait été utilisé contre l’intégration des militaires francophones dans les unités anglophones après l’adoption de la Loi sur les langues officielles, en 1969.
« Les normes ont été abaissées », c’était toujours la rumeur qui courait. « Ah, bien sûr, ça explique tout. » N’importe quel groupe minoritaire… les rumeurs ne visaient pas seulement les femmes. Ce n’était pas [la façon de faire] des forces aériennes. C’était leur travail d’amener tous les pilotes à ce niveau. [Sinon ça ne passe pas.] Il n’y avait pas de petits clins d’œil, de jeux de connivence.
Et les hauts dirigeants des forces aériennes n’ont pas semblé s’attarder aux rumeurs rapportées au 436e escadron. En réaction à l’étude de 1983, le commandant du commandement aérien, le lieutenant-général Paul Manson, a déclaré que son personnel avait surveillé de près la sélection et l’évaluation du personnel d’équipage :
On a pris soin de souligner la nécessité d’une formation et de tests impartiaux. Si une différence dans les normes a existé, elle était apparemment involontaire plutôt qu’intentionnelle, et largement éliminée tôt au début de l’essai.
Il a insisté pour que les constats issus du 436e ne soient pas considérés de façon isolée, et a fait remarquer qu’il trouvait « encourageant le fait qu’une seule unité ait enregistré des sentiments négatifs ».
*Une musique inspirante et délicate – clavier électrique et guitare – commence.*
Mais l’évaluation de sciences sociales et comportementales ne portait pas uniquement sur l’attitude des hommes.
Elle s’est également intéressée à la façon dont les femmes ont perçu leurs propres capacités, leur contribution au sein de l’escadron et à leur acceptation par les hommes qui les entouraient.
Alors, comment les femmes affectées au 436e escadron ont-elles perçu leur acceptation par leurs collègues masculins?
Avaient-elles leur propre compréhension des raisons pour lesquelles un escadron les acceptait plus qu’un autre?
Deuxième partie : les femmes se souviennent de 436e escadron
*Le violoncelle joue plus intensément, puis la musique cesse.*
Je me souviens d’un de mes premiers voyages, je ne dirai pas où, mais j’étais « toute nouvelle ». Toute nouvelle, entièrement qualifiée.
C’est la lieutenante-colonelle à la retraite Karen McCrimmon, navigatrice aérienne, qu’on entend. Elle a été une des premières femmes à être affectées au 436e escadron, en 1981, pour une formation en cours d’emploi.
Nous sommes allés en mission en Europe. Nous devions passer la nuit quelque part. Nous avons partagé un appartement. L’équipage vivait dans un appartement, dans des pièces différentes. Nous avions donc chacun notre chambre. Tout était bien. Mais ce soir-là, ils m’ont laissée toute seule. Je n’avais jamais été là avant, je ne connaissais rien. Et tous les hommes de l’équipage sont sortis quelque part *rires*! Vous savez, un club de danseuses... ou quelque chose comme ça. Ils ont été parfaitement clairs sur le fait qu’ils ne voulaient pas que je les suive, qu’ils allaient sortir et faire leurs affaires. Et, vous savez, bien sûr, j’étais déçue, mais… eurk, mon Dieu… en tout cas...
Donc, beaucoup de choses se sont passées pendant ces premières années au 436e. Ce n’était pas exactement un endroit accueillant, et les gars se donnaient le droit de [me] traiter comme ça, et ils s’en permettaient de plus en plus. C’était beaucoup comme ça.
Karen décrit plusieurs normes culturelles problématiques qui étaient manifestes dès le début, comme du matériel à caractère sexuel en milieu de travail.
En 1980, dans la plupart des avions, il y avait un sac rempli de Playboy. Ils les regardaient dans le cockpit. Il y a toujours des parties longues et ennuyeuses pendant un vol, et c’est ce qu’ils faisaient, ils s’assoyaient et lisaient leurs revues Playboy.
Et, vous savez... une des tâches d’un navigateur est de faire de la navigation d’urgence au moyen d’un sextant, en fonction des étoiles, en cas de perte des communications radio, pour pouvoir trouver notre chemin. Il faut pratiquer ça de temps en temps. C’était juste… c’était en cas d’urgence, mais c’était très efficace. Et je me souviens d’une fois, j’étais debout – il faut se tenir sur un tabouret, mettre les mains au-dessus de la tête et tenir le sextant pendant deux minutes sans bouger en se concentrant sur une étoile –, et quand je me suis retournée, j’ai vu qu’un des gars dans le cockpit tenait la double page centrale du magazine et il me comparait à la femme dévêtue sur la photo… Genre, OK les gars, ça suffit les enfantillages!
Ces problèmes n’étaient pas uniques au 436e escadron. Karen l’a comparé au 426e escadron d’entraînement, également à Trenton, où elle a reçu sa formation opérationnelle à bord du Hercules.
Eh bien, ils étaient un peu plus matures au 426e. Pas aussi machos... mais oui, il y en avait quelques-uns. Ils prenaient ça au sérieux au 426e. Comme c’était un escadron d’entraînement, c’était dans leur intérêt d’assurer notre réussite. Mais ça n’a pas changé le fait que, vous savez, dans la première présentation de diapositives qu’ils nous ont montrée sur les systèmes de moteur, eh bien… des pin-ups! Ah, pas encore! Vraiment? Avons-nous vraiment besoin de voir des photos Playboy alors que nous sommes censés avoir un cours sur les systèmes de moteur ou autres? Toutes sortes de choses comme ça… Mais en général, je dirais que le 426e était un peu plus mature que le 436e. Mais il y avait des idiots là aussi.
Mais en ce qui concerne l’attitude du personnel masculin au 436e envers le personnel féminin, Karen se souvient du bon comme du mauvais.
Il faut admettre que nous avions quelques bons majors. Nous avions de très bons majors qui n’ont pas hésité à s’assurer que tout le monde comprenne que nous devions tous nous traiter, tous les membres de l’escadron, avec respect et dignité... Et c’est grâce à certains de ces majors que ça a été tolérable pour nous. Mais c’était vraiment macho comme endroit, vous savez… Certains, mais pas tous, certains gars pouvaient vous rendre la vie... difficile s’ils le voulaient.
La capitaine à la retraite Wendy Sewell a également été affectée au 436e escadron. Le premier choix de Wendy avait toujours été de piloter un Hercules.
Ce que je voulais en m’engageant dans l’armée, c’était de voir le monde; c’était ma motivation numéro un, une de mes principales motivations, de beaucoup voyager. Mais une grande partie des vols qu’on faisait dans l’armée, sur des petits appareils, étaient locaux. Alors, avec le Buffalo, c’était de la recherche et du sauvetage, et on restait dans la région du Canada...
J’ai donc postulé pour travailler sur le Hercule et j’ai obtenu le poste. Mais, encore une fois, beaucoup d’hommes étaient mécontents parce que... pour les non-combattants, c’est souvent un des premiers choix. Mais je pense que c’était aussi parce que, à cette époque, il y avait déjà des femmes, comme Leah, à Trenton, et aussi Nora.
Elle parle des capitaines Leah Mosher et Nora Bottomley, qui faisaient partie de la première cohorte de femmes pilotes.
Je pense qu’ils essayaient aussi de nous garder ensemble, pour nous soutenir, et de ne pas m’envoyer à Shearwater, toute seule dans un nouvel escadron. Mais je ne sais pas. Je ne connais pas leurs raisons, mais j’ai eu mon Hercules et j’étais aux anges.
Après sa formation complète sur le Hercules, Wendy a intégré l’escadron en janvier 1982.
Ensuite, à notre arrivée dans l’escadron... c’était un mélange de tout. Il y avait des gens qui ne nous aimaient pas du tout et d’autres qui nous aidaient beaucoup. Il y avait des officiers responsables des pilotes qui étaient horribles, et d’autres qui avaient une belle place dans mon cœur, qui étaient si gentils avec moi.
*Une musique d’ambiance commence, régulière, au piano.*
Malgré sa réponse ambivalente, Wendy a adoré le travail au 436e.
Mes voyages préférés étaient dans le nord. Nous allions chaque semaine à Alert.
Il s’agit d’Alert, au Nunavut, où les Forces canadiennes ont leur station de communication la plus au nord, et où a eu lieu l’essai SWINTER en postes isolés.
*La musique s’estompe.*
On pouvait demander de participer à des vols, et je demandais toujours celui à Alert... On allait au Groenland, à Thulé, au Groenland, une grande base américaine. On prenait l’avion de Trenton à Thulé, et on restait là pour la nuit. Puis, le lendemain matin, on repartait vers Alert puis on revenait. On volait là où personne d’autre n’allait. Et en général, les gens qui demandaient ce vol aimaient le nord, alors c’était toujours un équipage agréable, des bons sentiments. On allait manger à la base et le paysage était toujours magnifique. Tout simplement incroyable.
*La musique reprend doucement.*
Toutefois, la nature changeante du travail dans un grand escadron de transport comme le 436e signifiait que Wendy ne pouvait pas toujours compter sur un équipage sympathique qui l’acceptait en tant que pilote.
Parce que dans un escadron d’Hercules, on ne vole pas toujours avec le même équipage, chaque voyage est avec des gens différents. On a donc, vous savez, des navigateurs différents, des mécaniciens de bord différents, des arrimeurs différents.
*La musique s’estompe.*
Donc, à chaque fois, c’était genre, « Fais tes preuves, fais tes preuves, fais tes preuves ».
Et même quand on réussissait très bien, ce n’était jamais reconnu. Ce n’était jamais perçu comme ce l’était avec les gars... Comme, ils... ils faisaient tellement attention d’éviter tout traitement préférentiel envers les femmes qu’ils s’empêchaient de nous féliciter, de nous récompenser... La négativité était diffusée haut et fort. Mais la positivité n’était jamais diffusée haut et fort. C’était toujours, « Oh non, on ne peut pas faire ça, parce qu’ils vont penser que nous donnons un traitement préférentiel aux femmes. »
*La musique reprend doucement pendant quelques notes puis s’estompe.*
Les préoccupations de Wendy, ainsi que celles de ses collègues féminines du 436e escadron, ont été rapportées par l’Unité de recherche psychotechnique, dans l’enquête de 1983. Les femmes ont déclaré qu’elles étaient « jugées plus sévèrement que leurs homologues masculins » et qu’elles devaient « travailler deux fois plus fort pour être considérées comme à moitié moins bonnes ». Elles ont affirmé qu’en raison de leur grande visibilité, les erreurs qu’elles commettaient étaient rapidement connues dans tout l’escadron, tandis que celles de leurs collègues masculins étaient facilement oubliées.
Wendy se souvient d’une fois où une autre femme pilote a eu un atterrissage difficile en direction de Petawawa.
Avant même de rentrer à Trenton, tout le monde dans l’escadron à Trenton était au courant. Il y avait des gens qui n’allaient jamais être de notre côté, peu importe à quel point on travaillait fort ou qu’on avait du cœur à l’ouvrage. Même la pilote la plus formidable au monde n’aurait pas pu gagner leur sympathie. Leur mentalité était que je ne devais pas être là parce que j’étais une femme.
On appelait ça l’effet « bocal à poissons ». On était toujours comme dans un bocal à poissons. Et il fallait faire nos preuves avec chaque nouvel équipage. Et je pense que maintenant que je suis plus vieille, j’aurais dû simplement dire, vous savez, « Je vais juste faire mon travail, et je ne m’occuperai pas de vous du tout ». Mais à l’époque, j’étais jeune et impressionnable et je voulais faire mes preuves. Je voulais être la meilleure version de moi-même pour que personne ne puisse se plaindre ou me faire de reproches.
La major à la retraite Micky Colton a également été affectée au 436e escadron en 1982.
C’était un lieu de travail horrible. C’était affreux. Ouais, ils ne voulaient pas de nous là-bas.
Il y avait cinq femmes dans l’escadron à l’époque, dont elle, Wendy et Karen.
Il y avait des hommes adorables dans l’escadron, généralement de bonnes personnes. On ne socialisait pas beaucoup, mais au moins au travail, ce n’était pas hostile. Mais il y en avait qui étaient hostiles. Je me tenais beaucoup avec les autres femmes. Vous savez, nous avions formé notre propre réseau social. Karen McCrimmon et moi… elle était navigatrice. Elle et moi – c’était un milieu de travail frustrant, comme vous pouvez l’imaginer. Donc, nous avions l’habitude d’aller au bout de la piste, de garer la voiture, généralement la sienne, d’attendre qu’un avion passe et de crier à tue-tête. C’était génial, c’était très cathartique.
Karen se souvient aussi de ses moments de défoulement.
Ma meilleure amie à l’époque, en sortant de Chilliwack, était une dame nommée Mickey Colton, qui était pilote. Elle a dû faire je ne sais pas combien d’heures de vol, plus de 5 000 heures de vol sur des Hercules. Toutes les deux, nous étions des âmes sœurs. On supportait la merde pendant un petit moment, mais après, OK, c’était assez. Et on s’amusait beaucoup ensemble. Et on allait souvent... c’était tellement frustrant… Derrière l’aérodrome de Trenton, il y avait des voies ferrées pour les trains qui réapprovisionnaient Trenton. Ils passaient et je me souviens qu’un soir, nous y sommes allées et nous avons crié si fort au passage des trains – le bruit couvrait nos voix – parce que nous étions tellement frustrées.
Qu’elles aient hurlé au passage d’avions ou de trains, le fait de disposer d’un réseau de soutien a certainement contribué à rendre l’environnement difficile du 436e escadron plus supportable pour les participantes à l’essai que nous avons rencontrées.
Karen :
Et ça a fait une grande différence, de savoir qu’on n’était pas seules. Et je pense que c’est un cas où… il fallait une masse critique, non?
*Une musique d’ambiance, régulière, commence.*
Si vous mettez deux femmes là, deux femmes là, et une là-bas, c’est... elles ne vont pas s’en sortir. Ça va être trop dur.
Troisième partie : la recherche d’une solution
*La musique cesse.*
Le cas du 436e escadron donne un aperçu de ce qui était nécessaire pour favoriser un milieu plus accueillant pour les femmes pendant l’essai des forces aériennes.
Wendy :
J’ai vu un changement, il y avait plus de femmes, ce qui était génial. Ceux qui ne voulaient pas de nous n’ont jamais changé. C’est difficile à dire. Je n’ai pas vu de changement. Je n’ai pas vu de changement, non. Il y avait des gens bien et des mauvaises personnes. Mais je n’ai pas vu plus de bonnes personnes à la fin ni rien de ça, voyez-vous? Il y avait toujours ce noyau de personnes qui ne voulaient pas de nous. Et je crois que le problème, c’est que je n’ai été là que pendant la durée de l’essai. Ils se sont dit, « Bah, elles sont juste là pour un essai. Elles ne sont pas des vrais membres de l’escadron. Elles sont juste là pour un essai. »
*De la musique de piano commence, intense et régulière.*
Le fait qu’il s’agissait d’un essai a été un obstacle à l’acceptation des femmes. Elles étaient considérées comme temporaires. Le fait d’avoir une masse critique a aidé, mais cela ne semble pas avoir été suffisant pour changer l’attitude des hommes au 436e escadron pendant l’essai. Il fallait quelque chose de plus.
Micky a remarqué un changement d’attitude seulement après qu’elle se soit opposée à un mauvais comportement.
J’ai eu une expérience qui a vraiment mis le feu aux poudres, je pense pour nous toutes.
L’incident a eu lieu en 1984, lors d’un voyage avec l’escadron à la base de Lahr, en Allemagne. Alors qu’il mangeait avec l’équipage, un major – un premier officier du 436e escadron – a dit à Micky exactement ce qu’il pensait des femmes de l’équipage.
On soupait dans un endroit qu’on appelait « Bambi’s », parce qu’ils servaient de la venaison.
*La musique s’estompe.*
Il était assis en face de moi et il a jeté sa fourchette sur la table. Nous étions dix à être assis là. Il a jeté sa fourchette sur la table, m’a montré du doigt et a commencé à parler. Et il a utilisé beaucoup de blasphèmes, que je ne vais pas répéter ici. Il a dit, « Toi, ____ de femme. Comment oses-tu t’engager? Comment oses-tu venir prendre le travail d’un homme? Tu devrais être à la maison, honnêtement, il a dit, à la maison dans la cuisine et faire des bébés. » Je le jure devant Dieu, il m’a dit ça. À ce moment-là, il s’était déjà passé bien des choses, et j’en avais assez. Alors, j’ai pris une serviette de table. J’ai pris un stylo dans mon sac et j’ai écrit tout ce qu’il disait. J’ai tout écrit. Et il ne comprenait pas. Il ne faisait que fulminer, après tout… Il ne faisait que pester. Et aucun homme autour de la table ne disait quoi que ce soit. Comme, « Allez, ça suffit ». C’était un major après tout, n’est-ce pas? Il était plus haut gradé que moi. Il était notre supérieur à tous. Et cette stupide idiotie qui veut que le rang accorde des privilèges. Eh bien non, c’est faux. En ce qui me concerne, ça se mérite.
J’ai donc tout écrit ce qu’il disait, et quand il a arrêté, je lui ai demandé, « Vous avez fini? », et il a dit « Oui ». Alors j’ai fait le tour de la table et j’ai noté le nom de tous ceux qui étaient là. J’ai noté la date et l’heure, et j’ai pris les serviettes – j’en avais maintenant plusieurs bien remplies – et les ai mises dans mon sac, je l’ai fermé et j’ai continué mon repas.
Quand je suis retournée dans ma chambre, j’ai appelé mon patron, mon commandant de bord, et je lui ai dit, « Voici ce qui s’est passé, je vais porter des accusations contre lui quand je rentrerai au Canada. Je ne vais pas le faire ici, mais je vais le faire quand je serai de retour au pays ».
Quand Micky est rentrée à Trenton, elle n’a pas porté plainte auprès du commandant du 436e escadron. Elle ne croyait pas qu’il prendrait sa plainte au sérieux. Alors, elle s’est mise à chercher quelqu’un qui le ferait.
Je suis donc rentrée et j’ai fait le tour de l’escadron pour essayer de trouver le bon supérieur à qui parler. Pas le commandant, je ne voulais pas aller le voir. J’en ai trouvé un autre, qui était en quelque sorte le responsable de l’équipage… Je lui ai raconté ce qui s’était passé. Et j’ai dit : « Je veux porter plainte. » Et il a répondu : « D’accord, c’est bon, je comprends. »
J’ai demandé de ne pas en parler au commandant. Mais j’ai fait appel à toutes les autres femmes.
On a conclu que ce serait une rencontre avec moi et tous les superviseurs, sauf le commandant, ça faisait pas mal de monde, et le major *rires*! Et j’étais seulement lieutenante, alors je n’avais aucune autorité, pour ainsi dire. Nous sommes entrés dans cette pièce et ils ont lu ce qu’il avait dit et tout le monde dans la pièce semblait un peu mal à l’aise. Évidemment. Un homme aurait-il dit ça à sa fille ou sa femme? Est-ce que ça aurait été acceptable? Il s’est tourné vers moi, celui qui dirigeait, et il m’a demandé ce que je voulais tirer de tout ça. J’ai dit, « Je veux que ça arrête. Je veux que ce soit su dans tout l’escadron que les femmes ne sont pas ici pour subir vos privilèges abusifs. On est ici pour travailler. On a obtenu des postes. On est toutes ici parce qu’on a réussi le cours. »
*De la musique de piano commence, intense et régulière.*
« Nous ne sommes pas arrivées dans ces avions en dormant, pour l’amour de Dieu. Sortez ça de vos stupides têtes. » Et j’ai ajouté, « Et je veux des excuses et je veux qu’elles soient sincères » *rires*!
Micky a reçu ses excuses, mais elle est presque sûre qu’elles n’étaient pas sincères. Ce n’est que plus tard qu’elle a vu que ses efforts avaient eu des répercussions.
J’ai été qualifiée en tant que commandante de bord.
*La musique s’estompe.*
Je suis devenue commandante de bord. J’étais la deuxième dans l’escadron. Et on m’a demandé si je voudrais piloter avec lui. Ce major qui m’avait mal traitée. Et j’ai dit, « Oui, je le ferai ». Et *rires*, et il a été doux comme un agneau, laissez-moi vous le dire!
Et on a fini par aller souper ensemble. On a dit, « Oui, allons manger avec l’équipe ». Alors je suis allée, et il est arrivé, et personne d’autre n’était encore là, et il s’est encore excusé. Et cette fois, il était sincère. En fait, il a commencé à pleurer. Et, ouais... j’ai dit, « Je vous pardonne. Je ne vais pas oublier, mais je vais vous pardonner. Je n’aurais pas accepté de voler avec vous si je n’avais pas pensé que vous avez de la valeur. » Et c’est comme ça que cette histoire s’est terminée.
Et l’attitude des gars a commencé à changer dans l’escadron. Le mot s’est passé. C’était en fait une réaction de peur. « Ne vous frottez pas à Micky. Elle a des griffes et elle peut mordre. »
Mais, ouais, en tout cas. Ça a changé les choses.
*De la musique de piano commence, intense et régulière.*
Micky a pris la décision de mettre son pied à terre et de dénoncer la négativité qui était dirigée vers les femmes du 436e escadron. C’était un acte courageux. Mais ça n’aurait pas dû être sa responsabilité de signaler ces mauvais comportements. C’était plutôt celle de ses supérieurs, et elle a eu de la chance de connaître au moins un supérieur qui prendrait sa plainte au sérieux. On ne pouvait pas toujours se fier aux hauts dirigeants à cet égard.
Karen explique que le leadership était un ingrédient clé qui manquait au 436e escadron :
Le leadership compte, n’est-ce pas? Le leadership, ça compte vraiment. Au 436e escadron, nous avions une masse critique, mais je ne crois pas qu’il y avait un leadership… un leadership accueillant.
Le leadership est effectivement important dans une organisation hiérarchique comme les Forces canadiennes. Étant donné leur position d’influence, les leaders donnent le ton quant aux comportements acceptables et inacceptables dans l’organisation. Ils peuvent dissiper les rumeurs et les préjugés en fournissant des renseignements exacts aux personnes sous leur commandement. Ils peuvent prendre les plaintes au sérieux. Les gens de leadership ont le pouvoir de favoriser le changement social. Ce pouvoir est détenu par les leaders à tous les niveaux de l’escadron, jusqu’au commandement aérien. Selon les participantes aux essais à qui nous avons parlé, l’attitude des commandants d’escadron a certainement semblé jouer sur le fait qu’un escadron soit accueillant ou non et que les problèmes soient traités ou non de manière appropriée.
Pour Karen, Wendy et Micky du 436e escadron, le commandant ne semblait pas fournir le leadership dont le personnel avait besoin pour dissiper les préjugés et favoriser un changement d’attitude à l’égard du personnel navigant féminin.
Au 424e escadron, toutefois, ce type de leadership était présent. La major à la retraite Robin Camken a remarqué que cela avait une réelle incidence :
Le 424e escadron était très accueillant pour les femmes et c’était dû en grande partie au commandant qui était très favorable à l’entrée des femmes en aviation, et les pilotes… et nous avions des mécaniciennes de bord. Une seule à l’époque, selon mon souvenir.
Je pense que l’attitude du commandant fait une énorme différence dans une situation d’intégration des genres parce que les gens prennent leurs supérieurs en exemple : si l’officier supérieur est négatif, cela se répercute sur le reste du personnel. Ouais.
Cela a d’ailleurs été remarqué par l’Unité de recherche psychotechnique. Les chercheurs ont indiqué que le leadership pourrait expliquer la différence d’attitude aux 424e et 436e escadrons. Comme on peut le lire dans le rapport, l’attitude du personnel supérieur au sein de chaque unité peut influencer le degré d’acceptation chez les membres de l’escadron. Le rapport suggère que les superviseurs à tous les niveaux devraient être sensibles aux conséquences négatives qui découlent de la diffusion d’information exagérée ou fausse, et prendre des mesures pour éviter une telle diffusion.
Encore une fois, Karen :
Au 436e, à l’exception de quelques majors notables, c’était une culture que je ne voudrais pas voir ailleurs, vous savez? Alors... je dois admettre qu’au 436e, j’ai appris ce qu’il ne fallait pas faire en matière de leadership, de travail d’équipe et autre.
*De la musique de piano commence, intense et régulière, puis suit un solo de violon.*
Mais c’est peut-être une bonne leçon.
Quatrième partie : chercher du soutien
Veuillez noter que le prochain sujet qui sera abordé sera celui des agressions sexuelles. Si vous trouvez ce sujet trop difficile, vous pouvez le sauter en vous rendant à la 47e minute de la piste audio.
*La musique cesse.*
Si le 436e escadron s’est révélé particulièrement difficile, les femmes des escadrons où l’attitude était meilleure ont tout de même connu des difficultés.
La sergente à la retraite Cheryl Tardif, affectée au 442e escadron de recherche et sauvetage à Comox, se souvient s’être sentie isolée. À son arrivée en 1981, elle a constaté qu’elle était la seule femme dans l’escadron. Bien qu’elle se soit généralement sentie acceptée par ses collègues masculins, elle se rappelle avoir eu l’impression d’avoir peu de soutien pour l’aider à faire face à la pression supplémentaire d’être non seulement une nouvelle membre de l’équipage mais aussi une participante à l’essai.
En arrivant dans l’escadron, personne n’a jamais dit, vous savez, « Oh, il y a une femme ici. N’hésitez pas à aller lui parler s’il y a quelque chose ». Je me suis donc sentie seule tout le temps. Comme si j’étais dans un bocal à poissons. Vraiment. Vous savez, si je faisais quelque chose de bien, alors c’était OK. Mais si je faisais quelque chose de mal, alors, vous savez, ça faisait le tour de l’escadron.
En 1979, les hauts dirigeants des forces aériennes ont été informés par l’Unité de recherche psychotechnique qu’ils devaient employer un minimum de quatre femmes dans chaque escadron en tout temps. En compter moins, ont-ils dit, aura tendance à produire de l’isolement social chez ce groupe minoritaire. Les documents officiels ne précisent pas pourquoi la décision a été prise d’affecter Cheryl seule et non dans un autre escadron utilisant des Buffalo, comme le 424e où d’autres femmes faisaient déjà partie de l’équipage. On ne sait pas non plus pourquoi Cheryl n’a pas reçu du soutien lorsqu’elle s’est retrouvée dans une situation susceptible de provoquer chez elle des sentiments d’isolement.
*De la délicate musique de guitare électrique commence.*
C’était une tendance. Pendant l’essai, les dirigeants des forces aériennes avaient anticipé certains problèmes, comme l’attitude négative du personnel masculin et l’isolement social du personnel féminin, mais avaient négligé de mettre en place des mécanismes et structures de soutien pour gérer ces problèmes. Cela semble avoir été le cas pour les incidents de harcèlement et d’agression sexuels.
*La musique s’estompe.*
Lors de nos entretiens avec les participantes à l’essai, le harcèlement sexuel a été évoqué, mais pas par toutes. Certaines, comme Karen, ont décrit la présence de matériel à caractère sexuel au travail, et d’autres ont dit avoir reçu des commentaires inappropriés à propos de leur corps. Certaines ont parlé de recevoir de l’attention non désirée de leurs collègues masculins, ce qu’elles géraient habituellement seules. Et certaines ont dit n’avoir eu aucun problème. Bien qu’aucune des personnes que nous avons rencontrées n’ait parlé d’agressions sexuelles, nous savons que cela s’est produit pendant l’essai. En 1998, deux femmes, une pilote et une mécanicienne de bord, ont raconté leur expérience de harcèlement et d’agression sexuels pendant la durée de l’essai. Comme nous n’avons pas eu l’occasion de parler à ces femmes nous-mêmes, nous avons choisi de ne pas utiliser leurs noms afin de respecter leur vie privée.
En mai et juin 1998, leurs histoires ont été publiées dans le magazine Maclean’s dans le cadre d’un dossier plus large sur le problème des agressions sexuelles dans les Forces canadiennes. Les deux incidents se sont produits au début de l’essai. La pilote a expliqué qu’elle avait été importunée par un instructeur pendant sa formation au pilotage et qu’elle s’était sentie contrainte d’avoir des relations sexuelles avec lui. Elle n’a pas parlé de l’incident pendant la durée de l’essai. « Mon avenir était entre ses mains », a-t-elle expliqué à Maclean’s. La mécanicienne de bord avait également gardé le silence sur ce qu’elle avait vécu en tant que participante à l’essai en 1981. À l’époque, elle était affectée à un escadron à Trenton qui avait transporté une équipe de plongeurs de recherche et sauvetage aux Bermudes pour suivre une formation. Elle a expliqué que deux techniciens en recherche et sauvetage sont entrés dans sa chambre dans la nuit avec l’intention de la violer, mais elle a réussi à sortir de la chambre avant qu’ils ne puissent aller jusqu’au bout. Dans l’article, elle indique que l’épisode était ensuite devenu une blague pour ses collègues d’équipage.
Le lendemain, tout l’équipage s’est moqué de moi. C’était une bonne blague pour l’escadron... Qui était au courant? Tout le monde, jusqu’au colonel. Mais qu’est-ce que je pouvais faire? J’étais nouvelle dans l’équipage… Les dénoncer pour tentative de viol? Qu’est-ce qui arriverait après? Les hauts gradés diraient, « On ne veut plus de femmes dans nos équipages » et ça aurait été la fin.
Dans la directive de 1980 décrivant les modalités de l’essai des forces aériennes, le commandement aérien déclarait ce qui suit :
L’emploi de personnel navigant féminin sera une situation nouvelle et on peut s’attendre à quelques difficultés mineures. Tout sera mis en œuvre pour que les femmes soient traitées de la même manière que les hommes dans des situations similaires. La discrimination ou le harcèlement ne seront pas tolérés au sein des unités d’essai (...). Les procédures de signalement (…) comprendront des dispositions pour enregistrer tout incident qui semble impliquer de la discrimination, du harcèlement ou de la discrimination inversée.
Le harcèlement et la discrimination étaient peut-être sur le radar du commandement aérien, mais les Forces canadiennes n’avaient pas de politique sur le harcèlement et les agressions sexuelles à cette époque. Et les lieux de travail civils non plus. Cette question était toutefois activement débattue; entre 1982 et 1988, une série de procès civils et de tribunaux canadiens des droits de la personne ont confirmé qu’il incombe à l’employeur d’établir un milieu de travail exempt de harcèlement et d’empêcher activement le harcèlement en milieu de travail. Peu de temps après, en 1988, les Forces canadiennes ont publié la première politique militaire définissant le harcèlement sexuel et décrivant les procédures de signalement et d’enquête.
Mais aucune politique officielle n’existait à l’époque des essais SWINTER, bien qu’il existait des options qui permettant à un ou une militaire de signaler un incident de harcèlement ou d’agression sexuelle. Une personne pouvait s’adresser à son officier supérieur, à la police militaire ou à un médecin militaire, par exemple. Chacune de ces options était toutefois accompagnée d’un risque de réaction négative, ou que le rapport ne soit pas pris au sérieux.
Si l’incident constituait une infraction pénale, comme une agression, une autre option était de déposer un rapport auprès des autorités civiles, mais chercher à obtenir justice en dehors du système militaire pouvait également entraîner des réactions négatives et, selon ce qui s’était passé, quand et où, les autorités pouvaient refuser de poursuivre l’affaire en invoquant qu’elle était plutôt du ressort militaire.
La caporale-chef à la retraite Bev Beale garde un tendre souvenir de son passage dans l’armée, mais elle reconnaît également que le système n’inspirait pas vraiment confiance lorsqu’il s’agissait de signaler un cas de harcèlement sexuel. Elle se souvient s’être sentie très seule au début de sa carrière militaire, au milieu des années 1970, alors qu’elle était technicienne de cellules, un métier qui venait tout juste d’être ouvert aux femmes.
Je me souviens seulement d’avoir été harcelée, c’était très inconfortable, par un homme qui avait l’habitude de s’approcher de moi aussi près qu’il le pouvait lors des débreffages ou de [discussions] sur les anomalies. Un jour, je faisais une vérification après vol sur un Hercules; je devais monter dans le cockpit, puis passer par un trou dans la partie supérieure et marcher le long de la partie supérieure pour vérifier s’il n’y a pas de dommages ou autre chose. Je devais monter sur la couchette, puis sur une marche, et enfin, il y avait le trou par lequel je devais monter. Et ce type était un technicien en instrumentation, ou quelque chose comme ça. Il était assis sur le siège et il jouait avec des cadrans ou autres trucs, et moi je grimpais, et il dit, « As-tu besoin d’aide là-haut? » « Non, non, ça va. J’ai déjà fait ça des centaines de fois. » Et il a dit, « Non, non. Je vais t’aider. » Et il a mis sa main sur mes fesses et m’a donné une poussée. Mais mon pied a glissé de… de la petite marche, en plein dans son visage. Et il ne m’a plus jamais touchée.
Comme nous étions les premières, il n’y avait rien d’autre à faire que de trouver nous-mêmes la façon de gérer ces situations. Il n’y avait pas de politique de harcèlement et il n’y avait pas vraiment quelqu’un à qui parler. J’aurais pu en parler à mon supérieur, mais les patrons étaient parfois tout aussi pires.
Comme l’a décrit la mécanicienne de bord dans son témoignage, l’essai n’encourageait pas les gens à déposer des plaintes. Le récit de Micky semble être un des rares cas où une plainte a donné des résultats. Mais sa situation était différente : c’était plus tard dans l’essai, et elle avait gagné une certaine crédibilité en tant que pilote. Elle connaissait également une personne occupant une position suffisamment élevée et sur laquelle elle pouvait compter pour la soutenir efficacement dans sa dénonciation du harcèlement subi. Mais pour les femmes qui étaient là au début de l’essai, qui étaient à des rangs inférieurs et qui n’avaient aucune crédibilité, il y avait la crainte qu’une plainte soit ignorée, qu’elle entraîne des représailles, qu’elle mette fin à la carrière de la plaignante d’une manière ou d’une autre, ou qu’elle soit utilisée comme preuve que les femmes ne devraient pas faire partie du personnel militaire.
Si le harcèlement ou les agressions sexuelles n’ont pas été des expériences universelles pour toutes les participantes à l’essai, il était de notoriété publique qu’il y avait peu de soutien institutionnel si cela se produisait.
Micky :
Réseaux de soutien? Il n’y avait rien… Tolérance zéro, vous savez, zéro harcèlement, toutes ces politiques qui sont en place – grâce à nous – n’existaient pas quand nous avons commencé. C’était « coule ou nage ». Débrouille-toi toute seule.
*Une musique sombre au rythme régulier commence.*
Depuis les essais SWINTER, les politiques et procédures de signalement de harcèlement et d’agression sexuelle ont évolué, mais ces problèmes persistent et il y a toujours de la méfiance à l’égard du système et des dirigeants. En 2015, Marie Deschamps, juge à la Cour suprême aujourd’hui retraitée, a piloté une enquête sur ce problème persistant et a conclu que l’armée canadienne avait établi une culture organisationnelle hostile, irrespectueuse et dégradante pour les femmes. En 2018, Statistique Canada a rapporté que 37 % des femmes militaires et 19 % des hommes militaires de la Force régulière craignaient des représailles s’ils signalaient une agression sexuelle. Et depuis 2020, l’armée canadienne est empêtrée dans un scandale d’inconduites sexuelles – un terme qui englobe le harcèlement sexuel, les agressions et la discrimination fondée sur le sexe – qui a vu onze hauts dirigeants faire l’objet d’une enquête pour inconduite sexuelle ou pour avoir mal géré des rapports d’inconduite sexuelle.
Les dirigeants militaires qui font face aujourd’hui à des allégations d’inconduite sexuelle sont tous entrés dans l’armée dans les années 1980 ou 1990, soit pendant les essais SWINTER ou dans la foulée de ces essais. Les expériences des femmes relatées dans cet épisode brossent le tableau d’un système militaire qui, dans les années 1980, a permis à une culture problématique de persister et qui a offert peu de soutien aux personnes qui ont été lésées par cette culture. Plus souvent qu’autrement, il réduisait ces personnes au silence.
*La musique s’estompe.*
Nous avons demandé à l’adjudante-maître à la retraite Christine Krueger ce qu’elle pense qu’il faudrait faire pour provoquer un changement de culture dans l’armée à la lumière de la crise de leadership actuelle.
*Rires*! Il y a tellement de choses à dire sur ce sujet! Et je pense honnêtement que les femmes doivent travailler avec les hommes et que les hommes doivent comprendre que nous avons une place légitime dans l’armée, dans n’importe quel emploi. Mais pour recruter des femmes et les garder en poste, nous devons avoir plus de femmes dans les postes de hauts dirigeants. Je veux dire, oui, nous avons la chance d’avoir, je crois que c’est la lieutenante-générale Allen, qui est maintenant, je crois, vice-chef d’état-major de la défense. Nous avons besoin de plus de femmes comme elle. C’est là qu’il faut se débarrasser de ce bastion masculin. Ça dure depuis trop longtemps, et c’est malheureux, mais aujourd’hui, les membres du vieux « boys club »…
*Une musique délicate de clavier électrique commence.*
...récoltent ce qu’ils ont semé. Mais il reste les stigmates et des choses comme ça. Il faut que ça cesse.
Au cours des essais SWINTER, il n’existait pas de système de soutien institutionnel structuré pour soutenir les femmes militaires, mais il y avait tout de même des personnes en position de leadership qui défendaient leurs intérêts dans les coulisses du quartier général de la Défense nationale, à Ottawa.
Une de ces personnes était la directrice du personnel féminin, ou DP Fém.
*La musique cesse.*
Ce poste a été créé en 1969 pour conseiller les hauts dirigeants sur les questions relatives aux femmes militaires, comme la formation, les tenues vestimentaires, le bien-être et le moral, et les conditions de service et d’emploi.
Rosemary :
C’était la colonelle Bélanger, Anne-Marie Bélanger, quand j’ai commencé l’essai SWINTER. Anne-Marie Bélanger était la directrice du personnel féminin. J’ai une telle admiration pour cette femme. Les gars ne prenaient jamais de décisions à propos des essais SWINTER si elle n’était pas dans la pièce. « Oh, attendons que la colonelle Bélanger soit de retour. » *Rires*! Parce qu’elle arrivait avec des faits, des chiffres et des nombres.
Les femmes qui ont participé à l’essai ont eu peu d’occasions d’influencer la prise de décisions, si ce n’est que par leur participation. Mais la DP Fém avait un siège à la table. Elle et son personnel ont examiné les rapports de l’essai, ont siégé aux comités et ont assisté à de si nombreuses réunions avec les hauts dirigeants tout au long de l’essai. En tant que conseillère, la DP Fém avait la responsabilité de s’assurer que les droits des femmes étaient pris en compte par les hauts responsables.
En janvier 1982, dans un document à l’intention des hauts dirigeants militaires au sujet de l’essai des forces aériennes, la colonelle Bélanger a écrit :
La principale pierre d’achoppement à l’intégration efficace des femmes dans ces trois éléments est l’incapacité et le refus de nombreux membres de reconnaître et d’accepter le droit indéniable des femmes à l’égalité des chances, et l’omission...
*Le thème musical commence doucement.*
…de créer, de maintenir et d’améliorer progressivement un climat propice à leur rendement optimal/maximal au travail et dans l’organisation en général. Les autres embûches sont le paternalisme, la fraternisation, le favoritisme, le harcèlement sexuel et tous les problèmes qui en découlent. Un leadership approprié, de l’éducation et le renforcement d’une bonne discipline de service par toutes les personnes en position d’autorité sont les seuls moyens de traiter efficacement ces attitudes négatives et ces comportements inacceptables, et de mettre fin à la discrimination et au traînage de pieds.
La prochaine fois, nous fouillerons dans les documents d’archives de la directrice du personnel féminin et nous examinons de plus près la lutte qu’elle a menée pour convaincre les hauts responsables de l’armée de l’air de mettre de côté leurs anciennes attitudes et d’accepter le droit des femmes militaires à l’égalité des chances.
Comment cette lutte s’est-elle insérée dans l’évaluation menée par les commandants opérationnels pour déterminer l’incidence des femmes militaires sur l’efficacité opérationnelle?
C’est ce que nous verrons dans l’épisode 4.
Cet épisode a été écrit et produit par moi-même, Camas Clowater-Eriksson.
Montage du scénario par Erin Gregory.
Musique des Blue Dot Sessions.
Voix de Tom Everett, Noah Eriksson, Dennis Rice et Erin Gregory.
Nous remercions la Direction de l’histoire et du patrimoine du ministère de la Défense nationale pour la numérisation et l’utilisation de son fonds sur les femmes militaires.
Et un merci tout particulier aux femmes qui ont offert leur voix et leurs témoignages pour cet épisode, Karen McCrimmon, Wendy Sewell, Micky Colton, Cheryl Tardif, Bev Beale, Christine Krueger et Rosemary Park, et à toutes les femmes qui ont contribué à la collection nationale du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada par leurs histoires orales sur l’essai SWINTER des forces aériennes.
Ce projet a été soutenu par l’Institut de recherche d’Ingenium.
Merci d’avoir écouté ce balado; nous espérons que vous écouterez également le quatrième épisode de Point de bascule.
*La musique s’estompe.*
FIN DE L’ÉPISODE 3
Episode 4 : "C'était comme remonter le temps"
*La musique thème commence ; un rythme régulier de pizzicato/plucking de violoncelle dans une tonalité mineure*.
L'essai d'emploi de femmes militaires dans des environnements et des rôles non traditionnels, connu sous le nom d'essais SWINTER, était une expérience des Forces canadiennes, qui s'est déroulée entre 1979 et 1985, et qui a permis de tester des femmes dans des rôles auparavant réservés aux hommes. Quatre essais militaires ont eu lieu pendant cette période, dans l'armée, la marine et l'armée de l'air, ainsi que dans une station de communication isolée dans le nord du Canada.
Je m'appelle Camas Clowater-Eriksson et voici le quatrième épisode de Point de bascule, un documentaire audio en cinq parties du Musée de l'aviation et de l'espace du Canada sur les femmes et l'un de ces procès : le procès des équipages de SWINTER.
Episode 4 : "C'était comme remonter le temps"
*La musique s’estompe.*
Je ne me souviens que d'une seule interview et c'était un colonel d'Ottawa -
C'est la voix du Major Robin Camken, pilote à la retraite. Au début du procès, juste après son affectation au 424e Escadron, l'escadron a reçu la visite du Quartier général de la Défense nationale à Ottawa.
- et il nous a fait un briefing dans notre salle de briefing du personnel navigant. Et il n'y avait pas que moi, tous les pilotes étaient là. Et je ne me souviens pas du nom du colonel, mais il semblait avoir une attitude très négative quant aux chances de succès de l'essai. Et je me souviens spécifiquement qu'il a déclaré que les femmes seraient un handicap à la préparation opérationnelle parce qu'elles tombaient enceintes et qu'elles devaient être immobilisées pendant six mois pour leur grossesse. Et c'était amusant parce que notre commandant nous a interrompus et a dit, eh bien, il avait un pilote masculin qui était cloué au sol pendant plus de six mois en raison d'une blessure et ils étaient encore capables de fonctionner dans un poste administratif. Alors, quelle était la différence entre lui et une femme enceinte qui pouvait faire la même chose.
Et puis ce colonel est arrivé et a déclaré que les femmes étaient plus susceptibles d'être des parents célibataires et de ne pas être en mesure de se déployer ou de répondre à un court préavis. Et encore une fois, notre commandant a interrompu et a dit qu'il avait actuellement un pilote masculin dans l'escadron qui était un parent célibataire et qu'il n'avait jamais manqué un déploiement. Donc, toute l'attitude négative de ce colonel envers l'essai, c'était presque comme s'il essayait de faire échouer les femmes, *rires*. Et notre commandant pouvait trouver des exemples d'hommes faisant exactement la même chose sans que cela ne pose de problème. Alors, oui, c'était intéressant mais c'était un peu décevant d'être là et d'entendre cet officier supérieur d'Ottawa avec une attitude si négative envers le procès, ce qui ne s'est pas avéré être le cas mais... Oui, c'était la première année où j'étais dans l'escadron que cela s'est produit.
Nous ne connaissons pas l'identité de ce colonel d'Ottawa, mais ses propos reprennent un argument commun avancé pendant la période du procès SWINTER. Les hauts dirigeants militaires avaient utilisé un angle similaire pour justifier la limitation de l'emploi des femmes en réponse à la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1978.
Dans le troisième épisode, Karen, Wendy et Micky décrivent l'accueil mitigé qu'ils ont reçu à l'escadron 436, leurs rencontres avec des attitudes négatives et une culture machiste, et le soutien qu'ils ont trouvé les uns dans les autres. Karen a identifié le manque de leadership positif au sein de l'escadron comme un obstacle à une intégration réussie au 436. D'autres femmes ont dit s'être senties isolées pendant le procès, et nous avons fait part de révélations publiques en 1998 qui ont mis en lumière les expériences de deux femmes en matière de harcèlement et d'agression sexuels alors qu'elles participaient au procès.
Nous avons conclu l'épisode par une déclaration du colonel Anne-Marie Belanger, directrice du personnel féminin, qui, en 1982, a exhorté les chefs militaires à ne pas créer un climat propice à la performance optimale et maximale des femmes dans des rôles non traditionnels, ce qui constitue un obstacle à la réussite de l'intégration des femmes. Elle a exigé que les personnes occupant des postes d'autorité travaillent activement à contrer les attitudes négatives, la discrimination, le harcèlement sexuel et d'autres comportements inacceptables au sein de l'organisation.
Des leaders comme le commandant de Robin semblaient certainement démontrer le type de leadership que le colonel Bélanger appelait de ses vœux, mais si l'on se fie à l'attitude exprimée par ce colonel d'Ottawa, certaines personnes occupant des postes de haute direction n'étaient pas favorables à l'intégration des femmes dans des rôles non traditionnels.
L'attitude des hauts dirigeants était particulièrement importante pour déterminer l'issue de l'essai du personnel navigant. Les hauts dirigeants de l'armée de l'air allaient décider des enseignements à tirer des conclusions de la deuxième évaluation de l'essai, menée par les commandants des unités d'essai, qui évaluait l'impact des femmes militaires sur l'efficacité opérationnelle de l'escadron. Bien que les commandants comme celui de Robin aient eu leur mot à dire, la décision finale revenait, en fin de compte, aux hauts dirigeants du quartier général du commandement aérien.
*Le thème musical commence.*
Ainsi, au fur et à mesure que les rapports d'essai sont arrivés, comment les hauts dirigeants ont-ils interprété les résultats ? Se sont-ils accrochés aux hypothèses du passé ou ont-ils envisagé une autre voie ?
Dans cet épisode, nous fouillons dans les archives pour découvrir comment cela s'est passé et nous examinons les efforts déployés par le successeur du colonel Belanger, le colonel Sheila Hellstrom, et d'autres, pour s'assurer que les dirigeants n'ignorent pas le point de vue des femmes militaires pendant le processus de prise de décision.
Première partie : le DWP
*La musique s’estompe.*
En 1983, le colonel Sheila Hellstrom a été nommé directeur du personnel féminin, connu sous le nom de "DWP". Ce poste a été créé en 1969 pour conseiller le commandement militaire sur les politiques liées à l'emploi des femmes militaires. La DWP et son adjoint, connu sous le nom de DWP 2, étaient toujours des femmes. Pendant les essais SWINTER, elles ont siégé à de nombreux comités et ont donné des conseils sur l'élaboration des politiques. Elles ont également examiné les rapports des unités d'essai et ont fourni des commentaires et des recommandations au commandement supérieur.
En décembre 2020, Sheila est décédée à l'âge de 85 ans. Lorsqu'elle a pris sa retraite en 1990, elle avait atteint le rang de brigadier-général, la première femme de la Force régulière à atteindre ce rang. Une collègue militaire, le major à la retraite Judy Harper, se souvient de Sheila comme d'une personne toujours souriante et accueillante. Judy a décrit comment Sheila a donné confiance aux femmes militaires qui l'entouraient et à celles qui sont venues après elle, "en nous rassurant sur le fait qu'en acceptant des tâches qui n'étaient pas encore accomplies par des femmes, nous n'allions pas trop loin, nous n'en demandions pas trop".
Nous n'avons pas pu parler à Sheila nous-mêmes, mais les entretiens menés par l'historienne Karen Davis, lieutenant-colonel à la retraite, les journaux de Sheila et les documents d'archives ont permis d'en savoir beaucoup sur son expérience des essais SWINTER lorsqu'elle travaillait au bureau du DWP.
La nomination de Sheila au poste de DWP en 1983 n'était pas sa première expérience dans ce domaine.
Eh bien, en 1975-1976, je suis entrée au DWP en tant que, eh bien, DWP "2", comme on l'appelait. Jusqu'à ce moment-là, vous savez, je n'avais même pas pensé que les femmes et les hommes étaient différents dans les emplois qu'ils occupaient dans l'armée. Parce qu'en tant qu'administrateur, je faisais le même travail que mes homologues et mes pairs. Je progressais au même rythme que mes pairs et je n'ai jamais pensé aux autres choses.
L'expérience de Sheila en tant que DWP 2 au milieu des années 1970 lui a ouvert les yeux sur la résistance qui existait au sein de la haute hiérarchie militaire à l'égard des femmes dans des domaines d'emploi non traditionnels. Tout au long de cette période, de nombreux nouveaux postes ont été mis à la disposition des femmes, mais Karen Davis se souvient que Sheila a décrit cette époque comme une "guerre de tranchées". Pour chaque métier et chaque classification d'officier, le DWP a dû se battre pour convaincre les hauts gradés de l'ouvrir aux femmes.
Sheila a été DWP 2 jusqu'en 1976 avant d'être affectée ailleurs, mais elle n'a pas tardé à se retrouver de nouveau au DWP. De 1980 à 1983, elle a été l'adjointe du colonel Anne-Marie Belanger du DWP.
En fait, lorsque je suis retourné au DWP en 1980, c'était comme si j'avais remonté le temps. Il n'y avait pas grand-chose de changé. Les procès se multipliaient, mais on retrouvait les mêmes commentaires qu'en 1975, à peu près le même nombre de zones d'emploi ouvertes qu'à l'époque, en ce qui concerne les zones non traditionnelles, et les mêmes attitudes, la même résistance.
Dans ses écrits sur le sujet des femmes dans l'armée canadienne, Karen Davis a qualifié le bureau du DWP de seul défenseur des femmes dans les Forces canadiennes à cette époque. Pourtant, comme l'explique Sheila, ils n'avaient aucun pouvoir réel.
Parce que nous étions des conseillers, nous n'avions aucun pouvoir. Nous ne pouvions pas... nous pouvions seulement, en quelque sorte, essayer d'influencer.
Cela ne l'a pas empêchée d'essayer. Des documents d'archives du bureau du DWP, conservés à la Direction de l'histoire et du patrimoine du ministère de la Défense nationale, révèlent l'attitude de la haute direction à l'égard des essais SWINTER et les efforts du DWP pour défendre les droits des femmes militaires pendant cette période.
*Les êtres musicaux avec shaker et vibraphone, créant un sentiment de curiosité*.
Ils nous aident notamment à comprendre ce que Sheila voulait dire lorsqu'elle a déclaré que retourner au bureau du DWP en 1980 était comme "remonter le temps".
*musique en fondu*
Lorsque Sheila est revenue au bureau du DWP en tant qu'adjointe en 1980, les essais SWINTER étaient bien avancés. Dans le cadre de l'essai sur le personnel navigant, les trois premières candidates pilotes étaient en formation et les mises à jour du Commandement aérien indiquaient qu'il n'y avait aucun problème. En fait, les femmes s'en sortent plutôt bien. Le capitaine Dee Brasseur a été la première étudiante du cours à voler en solo et le Commandement aérien était heureux de constater qu'aucune ressource supplémentaire n'avait été dépensée pendant la formation.
À la fin de 1981, les bonnes nouvelles continuent. Un rapport du Commandement aérien datant de décembre indique que les commandants des escadrons d'essai "sont unanimes pour dire que l'emploi de femmes n'a eu jusqu'à présent aucun effet négatif sur l'efficacité opérationnelle de leurs unités". Il y avait eu des problèmes mineurs avec l'ajustement des vêtements de vol, les toilettes et les vestiaires de la ligne de vol, mais aucune "indication de discrimination ou de problèmes d'adaptation."
La mise à jour suivante du Commandement aérien, datée de juin 1982, indiquait également qu'aucun problème n'avait été signalé par les commandants, et que les équipages féminins "continuent tous à avancer à un rythme moyen ou meilleur".
Cependant, ici, le ton a changé.
Un incident s'est produit qui a fortement préoccupé le Commandement aérien : une stagiaire pilote a été "diagnostiquée comme étant enceinte" et retirée de la formation. Le commandement aérien a fait remarquer que "des ressources de formation limitées avaient été dépensées". Cette fois-ci.
Cela n'aurait pas été le cas si la grossesse avait été signalée à un stade ultérieur de la formation. Bien que les droits de la personne et les aspects médicaux liés à la grossesse chez les femmes membres d'équipage soient reconnus, le quartier général est préoccupé par le fait que d'importantes dépenses de ressources pourraient être engagées si une femme membre d'équipage cessait de s'entraîner pendant la dernière partie de son cours... Le retrait des fonctions de vol d'une femme membre d'équipage... qui, par exemple, était un commandant d'aéronef C-130 pleinement qualifié... pourrait avoir un impact négatif sur l'efficacité opérationnelle de l'unité jusqu'à ce qu'un remplaçant tout aussi qualifié puisse être trouvé.
Il est prévu que si l'essai s'avère concluant, une politique définitive concernant la formation, l'emploi et le maintien en poste des femmes enceintes et/ou des femmes membres du personnel navigant ayant des enfants sera nécessaire.
Le rapport a suscité un certain débat.
Le responsable de la gestion des carrières des pilotes a écrit en accord avec les préoccupations du Commandement aérien :
En ce qui concerne l'impact sur les fonctions de vol, le retrait d'un commandant d'aéronef féminin qualifié, pour des raisons de grossesse, pourrait avoir un impact plus important que le retrait d'un officier des opérations pour une école d'état-major... parce que ce serait incontrôlé et inattendu.
La grossesse reste un problème non résolu qui affectera certainement la façon dont les femmes se révéleront en termes de capacité dans l'environnement ainsi que la façon dont l'environnement sera affecté par elles. Puisque nous menons un essai, il pourrait être utile d'encourager toutes les femmes enceintes à poursuivre l'essai afin d'obtenir une base de données, bien que limitée, sur l'impact et les problèmes associés à la grossesse pour les femmes pilotes. Ces informations pourraient s'avérer être un facteur déterminant dans l'emploi futur des femmes.
En tant que DWP 2, Sheila s'est opposée à cette attitude. Ses notes dans le document disent :
"Pas du tout ! Toutes les femmes ne subissent pas une grossesse. Qu'en est-il des accidents, notamment ceux liés à la consommation d'alcool ? Les immobilisations pour cause de consommation de drogue ou de suspicion de consommation de drogue ?"
Comme le commandant de Robin, Sheila a contesté l'hypothèse selon laquelle l'emploi de femmes dans des rôles opérationnels posait des problèmes uniques. Pourquoi les femmes étaient-elles considérées comme un risque plus important que les hommes, qui peuvent partir en congé pour diverses raisons inattendues et incontrôlées ?
Dans une réponse plus officielle au rapport du Commandement aérien en juin 1982, Sheila a demandé pourquoi une politique spéciale en matière de grossesse était nécessaire :
...une candidate qui tombe enceinte doit être traitée de la même manière que tout autre candidat qui doit interrompre temporairement sa formation, pour cause de maladie ou de blessure par exemple.
L'armée de l'air avait déjà une politique pour le personnel navigant qui demandait à être retiré de ses fonctions de vol. "Selon elle, cette politique devrait également s'appliquer aux femmes membres du personnel navigant qui sont enceintes ou qui ont des enfants.
Il n'est pas étonnant que Sheila ait dit que travailler au bureau du DWP pendant les essais de SWINTER était comme "remonter le temps".
*La musique mystérieuse et inquisitrice commence par une guitare acoustique, se développe avec un piano électrique et se transforme en un rythme régulier.*
L'argument de la grossesse a été utilisé contre les femmes dans l'armée depuis plus longtemps que le DWP n'existe.
Au milieu des années 1960, par exemple, l'armée de l'air a utilisé la grossesse, ainsi que d'autres arguments sexospécifiques similaires, pour justifier une demande adressée au gouvernement en vue de l'élimination progressive des femmes de l'armée de l'air. À l'époque, une femme était automatiquement renvoyée si elle tombait enceinte. Si elle voulait se marier, elle ne pouvait rester dans l'armée de l'air que si son mariage n'interférait pas avec "son utilité pour le service". Il n'est pas surprenant que ces politiques aient contribué à un taux d'attrition élevé des femmes dans l'armée de l'air, contraintes de choisir entre fonder une famille, ce qui était encore une attente sociale considérable à l'époque, et rester dans l'armée. L'armée de l'air a fait valoir que le taux d'attrition élevé des femmes les rendait trop coûteuses à employer. Elle n'a pas tenu compte, ou n'a pas voulu tenir compte, du fait que c'étaient ses propres politiques qui les encourageaient à partir. La demande a finalement été rejetée par le gouvernement, qui a déclaré qu'elle était en décalage avec les tendances changeantes de la main-d'œuvre civile. Il était temps de s'adapter. Pourtant, ce n'est qu'en 1971 que les politiques interdisant aux femmes de servir alors qu'elles sont enceintes, mariées ou qu'elles élèvent des enfants sont officiellement supprimées, et ce, seulement après que la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada ait insisté pour qu'elles soient modifiées.
Cependant, comme le démontrent les commentaires du colonel dans l'anecdote de Robin, du Commandement aérien et du gestionnaire de carrière des pilotes, au moment de l'essai du personnel navigant, la grossesse était toujours considérée comme une préoccupation. Et au fur et à mesure que l'essai progressait et que les rapports des unités d'essai montraient que, malgré des problèmes mineurs ici et là, les équipages féminins s'en sortaient bien, le commandement a commencé à s'appuyer de plus en plus sur le sempiternel argument de la grossesse pour caractériser les femmes comme incompatibles avec les rôles opérationnels. Même lorsque les preuves suggèrent le contraire.
Deuxième partie : Cheryl
*fin de la musique*
En juin 1983, le Commandement aérien a signalé qu'une mécanicienne de bord du 442e Escadron à Comox avait été clouée au sol parce qu'elle était enceinte. Contrairement au premier cas, où la femme était une stagiaire, il s'agissait cette fois d'un membre actif de l'équipage. Cette mécanicienne de bord était le sergent Cheryl Tardif, à la retraite.
En 1984, ma fille est née. J'étais le premier membre du personnel navigant à tomber enceinte. Donc, ils ne savaient pas vraiment quoi faire à l'époque... En fait, c'est en 1983 que je suis tombée enceinte, oui, car elle est née en 1984. Donc, ils m'ont laissé voler jusqu'à ce que je sois enceinte de trois mois, puis ils m'ont cloué au sol pour le reste du temps. Et je ne sais pas si vous avez déjà eu des enfants, mais généralement les trois premiers mois sont les pires, les pires moments. Et après ça, j'étais, vous savez, je me sentais bien.
Cheryl a été privée de ses fonctions de pilote pendant douze mois au total. Pour les vêtements de maternité, elle se souvient avoir simplement porté une combinaison de vol plus grande.
...et puis je portais juste des vêtements civils, parce que je ne sais même pas s'ils avaient un uniforme militaire de maternité. Mais on ne s'habillait pas tout le temps. On n'avait pas à porter l'uniforme complet. Et c'est, *rires*, quelqu'un a dit que c'était peut-être pour ça que je suis devenue ingénieur de vol, pour ne pas avoir à repasser quoi que ce soit, *rires*.
Et pour ce qui est du congé de maternité, Cheryl ne se souvenait pas qu'il y en avait.
Eh bien, à l'époque, il n'y avait pas de congé accordé aux femmes enceintes. Et il n'y avait pas... Il n'y avait pas les mêmes... J'avais assez de congés annuels, alors je suis partie en congé. Mais je n'étais pas à la maison assez longtemps.
Des documents d'archives révèlent une certaine confusion au sein du commandement aérien quant aux avantages auxquels Cheryl avait réellement droit. Ils ont dit que la politique du gouvernement fédéral permettait aux femmes de prendre jusqu'à quinze semaines de congé sans solde - ce qui correspond à ce dont Cheryl se souvient. Pourtant, le Commandement aérien s'est trompé. À l'époque, les prestations de maternité du gouvernement permettaient effectivement aux femmes de prendre jusqu'à quinze semaines de congé, mais tout en recevant 66 % de leur salaire. On ne sait pas si on a même dit à Cheryl qu'elle avait droit à ces prestations. Peut-être n'auraient-elles pas fait de différence. En tant que soutien de famille, Cheryl ne pouvait pas se permettre de prendre des congés, même à 66 % de son salaire. Elle a donc pris deux mois de congé annuel, puis a repris ses fonctions au 442e Escadron, tandis que son mari restait à la maison avec leur enfant. Cheryl admet que sa situation n'était pas la norme à l'époque.
Mon mari a quitté l'armée quand j'ai été affectée à Comox. Et donc, il était à la maison pour être le père des enfants, donc, à l'époque. Et vous voyez beaucoup plus de gens le faire maintenant. C'est plus accepté.
Concilier une carrière militaire et une famille est difficile, mais Cheryl pense que cela n'est facile pour personne : homme ou femme. Une carrière militaire affecte toute la famille.
Ça pouvait être difficile parfois si je ne prenais pas mes congés. Quand j'étais sur les Hercules, nous étions très occupés et les vols étaient plus internationaux, non ? C'était des vols internationaux. Et je me souviens que, vous savez, un mois, j'avais trois jours de congé et, vous savez, la plupart des gens peuvent gérer cela à l'époque, mais les familles ne peuvent pas. Ils veulent que maman ou papa soit un peu plus présent. Donc, vous savez, ça peut causer quelques problèmes.
Pourtant, Cheryl a réussi. Et ce qu'il est important de reconnaître à propos de l'expérience de Cheryl, c'est qu'elle a réussi malgré des mesures qui, aujourd'hui, seraient considérées comme assez sévères. Aujourd'hui, la politique des Forces armées canadiennes veut que les membres d'équipage enceintes soient cloués au sol six mois après le début de leur grossesse, mais ils peuvent voler encore plus longtemps si un médecin de vol détermine que leur grossesse est à faible risque. Mais en 1983, comme le dit Cheryl, "ils ne savaient pas quoi faire". Cheryl a été clouée au sol pendant un an seulement trois mois après le début de sa grossesse, et elle a pris deux mois de son propre congé annuel après la naissance de son enfant parce qu'aucune autre option ne lui a été proposée.
Face à la confusion administrative, et dans l'environnement sous haute pression du procès, Cheryl a fait quelque chose dont les dirigeants de l'armée de l'air étaient convaincus depuis si longtemps qu'il ne fonctionnerait pas. Elle faisait partie du personnel navigant et était une mère. Et rien de mal n'est arrivé. Pour la même période de référence, les commandants des escadrons expérimentaux - y compris celui de Cheryl - ont rapporté à l'unanimité que le personnel navigant féminin continuait à n'avoir aucun effet négatif sur l'efficacité opérationnelle.
Cela n'a pas empêché le commandement aérien de suggérer que les femmes pourraient constituer un problème à l'avenir.
...on prévoit qu'à mesure qu'un nombre croissant d'équipages féminins rejoindront les unités opérationnelles, des problèmes supplémentaires deviendront évidents.
*Les êtres musicaux avec shaker et vibraphone, créant un sentiment de curiosité*.
Quels problèmes suggéraient-ils au juste ?
Le rapport suivant du commandement aérien a expliqué ce qu'ils entendaient par cette déclaration.
*musique en fondu*
En février 1984, un an et demi avant la fin prévue du procès, le Commandement aérien a publié un rapport sur le procès des équipages d'aéronefs qui semblait très différent de ceux qui l'avaient précédé. Contrairement aux rapports précédents, celui-ci comprenait une liste de "sujets de préoccupation". Il s'agit notamment de la crainte que les limites imposées aux femmes en matière de non-combat n'affectent l'état de préparation opérationnelle et les carrières des hommes, que les équipages féminins n'accroissent les conflits entre les responsabilités familiales et les devoirs de l'équipage et que la grossesse n'affecte la capacité opérationnelle des escadrons.
Examinons-les un par un.
*une musique intense commence ; une série d'accords réguliers sur un piano électrique*.
Premièrement, la restriction de non-combat. Le commandement aérien a fait valoir que la restriction de non-combat créait d'importantes difficultés administratives et opérationnelles. Ces difficultés avaient en fait conduit l'armée de l'air à permettre aux équipages féminins des escadrons de Hercules, comme le 436, d'être formés au transport aérien tactique, qu'ils ont défini pour le procès comme un "rôle de quasi-combat". Cette décision a été prise au début du procès, en 1982. Cependant, il y avait d'autres tâches que les femmes ne pouvaient pas accomplir, et des escadrons où elles ne pouvaient pas être affectées. Le commandement aérien n'aime pas avoir des équipages qui ne sont pas capables d'effectuer toutes les tâches, mais il ne semble pas non plus disposé à envisager la levée de la restriction. En fait, il a suggéré de limiter encore davantage l'emploi des femmes en raison de l'effet qu'il avait sur la progression de carrière normale du personnel navigant masculin :
La progression de la carrière dans l'armée de l'air exige que les équipages soient occasionnellement transférés des escadrons de combat à des postes d'équipages au sol ou dans des escadrons de non-combat. Le nombre relativement important de femmes employées dans des fonctions non combattantes bloque ces postes et limite ainsi les postes non combattants disponibles pour les hommes.
Ils ont même proposé que les escadrons de Hercules soient définis comme des escadrons de combat et cessent d'employer des femmes, ce qui éliminerait complètement le problème des femmes devant être formées au transport aérien tactique.
Ensuite, il y avait la préoccupation concernant les équipages féminins et les responsabilités familiales. Ici, le Commandement aérien se fait l'écho de l'inquiétude soulevée par le Colonel dans l'anecdote de Robin : plus de personnel navigant féminin signifie plus de mères célibataires. Il craignait également que les équipages féminins ne conduisent à une augmentation des mariages entre équipages. Le commandement aérien a reconnu que les conflits entre les engagements militaires et les responsabilités personnelles ont toujours existé pour le personnel militaire, mais il a prédit que ces conflits deviendraient ingérables si davantage de femmes étaient employées dans l'aviation.
Dans les familles où le membre d'équipage et son conjoint sont tous deux militaires ou dans lesquelles le membre d'équipage n'a pas de conjoint, la réponse de l'escadron risque de souffrir du fait que le parent n'est pas en mesure de répondre à un appel militaire et d'organiser la garde des enfants dans un délai très court..... Le nombre croissant de femmes membres d'équipage aggravera probablement ce problème au point que l'impact opérationnel ne sera plus tolérable.
Ils ont recommandé de n'affecter qu'un nombre limité de parents célibataires et de couples de militaires avec enfants aux escadrons opérationnels qui exigent du personnel d'astreinte.
Et, enfin, la grossesse. Malgré la suggestion de Sheila, en 1982, selon laquelle la politique d'immobilisation des hommes était adéquate pour les femmes enceintes, le commandement aérien a continué à vouloir établir une politique spéciale pour les femmes enceintes. Il a proposé que les femmes, après un "diagnostic", soient "immédiatement" réaffectées à un service au sol.
En plus de ces préoccupations, le commandement aérien a émis des théories sur ce qui serait fait si l'essai était considéré comme un succès. Même si les équipages féminins s'avéraient capables de remplir leur rôle, et même s'il était établi qu'ils n'avaient pas d'impact sur l'efficacité opérationnelle, le commandement aérien a annoncé qu'il n'ouvrirait peut-être pas les postes d'équipage aux femmes.
*musique en fondu*
La question demeure toutefois de savoir si les FC ont besoin d'équipages féminins et si elles peuvent être employées de façon adéquate et économique dans les limites imposées par le combat [et] la proximité du combat.
Cette fois, Sheila n'est pas seule à critiquer les politiques proposées par le Commandement aérien. Elle était soutenue par le lieutenant-colonel Frank Pinch, directeur de la recherche sur la sélection du personnel et des carrières secondaires.
Dans des commentaires séparés, Sheila et Frank ont souligné que les préoccupations exprimées dans le rapport étaient en grande partie le fait de l'armée de l'air elle-même.
Sheila, qui est maintenant DWP, a fait valoir qu'il était très peu probable que le faible nombre d'équipages féminins actuellement employés dans le cadre de l'essai ait un effet sur les carrières masculines et a demandé pourquoi le Commandement aérien ne semblait pas se préoccuper de l'impact de la restriction de non-combat sur les carrières féminines. Elle a souligné que les femmes continueraient d'être victimes de discrimination jusqu'à ce que tous les rôles soient ouverts. Limiter davantage l'emploi des femmes n'est pas la solution.
Quelques hommes peuvent voir leurs choix personnels réduits, mais c'est insignifiant par rapport à ce que les femmes ont vécu et continueront de vivre si tous les domaines ne leur sont pas accessibles.
Sheila a contesté l'hypothèse selon laquelle les militaires ayant des enfants ne sont pas capables de prendre les dispositions nécessaires pour s'occuper de leur famille et a proposé que les dirigeants s'assurent que des systèmes de soutien sont en place pour aider le personnel navigant à assumer ses responsabilités opérationnelles et familiales. Elle a remis en question la validité scientifique de la politique proposée, qui consiste à clouer au sol les femmes dès le diagnostic de grossesse.
Frank est d'accord. Il a cité une étude récente sur l'emploi des femmes enceintes dans les Forces canadiennes :
...il n'existe aucune donnée permettant d'étayer la crainte qu'une femme ne soit pas en mesure d'exercer ses fonctions de pilote pendant sa grossesse, bien que ses capacités physiques soient certainement diminuées au cours de la seconde moitié de sa grossesse.
Il a recommandé d'adopter une approche plus souple pour décider quand il est approprié d'immobiliser les femmes pendant leur grossesse. En outre, il a souligné que la proposition d'affecter immédiatement les femmes enceintes à une mission au sol pourrait signifier que les femmes sont immobilisées pendant trois ou quatre ans, ce qui pourrait avoir des répercussions considérables sur leur carrière.
Quant au commentaire final du Commandement aérien selon lequel, même si le procès était considéré comme un succès, il pourrait toujours décider de ne pas employer de femmes, Sheila leur a rappelé un petit détail : la Loi canadienne sur les droits de la personne.
...si le procès est couronné de succès, il serait difficile d'établir les exigences professionnelles justifiées nécessaires pour exclure les femmes en vertu de la LCDP.
*Les êtres musicaux avec shaker et vibraphone*
Les journaux de Sheila de cette époque indiquent que son travail sur les essais de SWINTER était une expérience pour le moins frustrante. Elle a décrit les nombreuses réunions du procès SWINTER auxquelles elle a assisté avec des mots comme "déprimant", "décourageant", et est allée jusqu'à qualifier de "poubelle" ce qui a été discuté lors d'une réunion. Les documents d'archives explorés dans cet épisode suggèrent qu'une grande partie de cette frustration résultait du manque de volonté de la part des hauts dirigeants de mettre de côté leurs idées préconçues sur les femmes et d'examiner les preuves. Que disait réellement le procès à propos du personnel navigant féminin ?
Sheila, ainsi que d'autres défenseurs comme Frank Pinch, ont fait ce qu'ils ont pu pour amener les hauts dirigeants à faire exactement cela. En tant que conseillers, ils ont critiqué, se sont exprimés et ont défendu une autre perspective. C'est tout ce qu'ils pouvaient faire.
C'était maintenant aux dirigeants d'écouter ce conseil ou de l'ignorer.
La décision finale concernant la deuxième évaluation de l'essai sur le personnel navigant - les femmes ont-elles un impact sur l'efficacité opérationnelle ? - revenait au Commandement aérien. Mais avant que cette décision ne soit prise, il y avait d'autres perspectives à prendre en compte : les opinions des participants à l'essai et la conclusion finale de l'évaluation des sciences sociales et comportementales de la CFPARU.
*fin de la musique*
Troisième partie : Nous pouvons faire le travail
Alors que Sheila et Frank défendent les droits des femmes dans les bureaux et les salles de réunion du Quartier général de la Défense nationale à Ottawa, sur le terrain, les participants au procès compilent des rapports qui porteront leur point de vue sur le procès à l'attention du Commandement aérien.
Le capitaine Leah Mosher a été chargée de coordonner et de rédiger le rapport au nom du personnel navigant féminin du 436e escadron. Leah était l'une des quatre premières candidates pilotes qui ont commencé l'essai en 1979. Elle a été la première femme à se qualifier en tant que commandant d'avion sur le Hercules. En novembre 2021, Leah est décédée subitement à l'âge de 67 ans. Les femmes à qui nous avons parlé et qui ont servi avec elle au 436e ont gardé un souvenir ému d'elle. Le capitaine retraité Wendy Sewell se souvient d'elle comme d'une amie et d'un mentor pour les femmes qui sont arrivées dans l'escadron après elle. Elle était décrite comme une "femme solide, consciencieuse, super", aux manières tranquilles. Et une pilote compétente.
En 1985, Leah a soumis au Commandement aérien un rapport sur les points de vue et les évaluations personnelles des onze participantes au procès des équipages d'aéronefs qui avaient servi au 436e Escadron pendant la période d'essai. Par le biais d'entrevues et de questionnaires, les femmes ont décrit comment l'essai les avait affectées. Dans une lettre invitant les femmes à partager leurs points de vue, Leah leur a fait valoir que le rapport "pourrait avoir une influence positive sur notre emploi futur".
Wendy se souvient avoir contribué à ce rapport.
Nous avons donc beaucoup discuté entre nous, vous savez, de ce que nous estimions être les droits et les torts, les avantages et les inconvénients à ce moment-là. Nous avons estimé qu'il ne devrait plus y avoir de procès à ce stade. Nous étions là à fonctionner, nous faisions tous notre travail. Quand pourrions-nous faire retirer le mot "procès" de notre étiquette ?
Dans le rapport, les membres féminins du personnel navigant du 436 ont exprimé un certain nombre de préoccupations sur la façon dont le procès a été mené. Elles ont décrit les informations données aux participants au procès comme étant "vagues", "sporadiques", "contradictoires", et beaucoup ont remarqué que "les faits qu'elles obtenaient changeaient constamment". Les femmes ont déclaré que l'attention particulière qui leur était accordée en tant que participantes au procès avait créé "une existence en forme d'aquarium dans laquelle il nous était difficile de nous fondre et d'être acceptées".
Les femmes ne pensaient pas que les normes avaient été abaissées pour que les femmes participent à l'essai. Cela a été confirmé par le CFPARU et à nouveau en 1990 : les normes n'ont pas été abaissées. À la question de leur impact sur l'efficacité opérationnelle, quelques-unes ont fait remarquer que si quelque chose entravait l'efficacité opérationnelle, c'était tout le temps "passé... à faire les questionnaires et les entretiens de la CFPARU". D'autres ont déclaré que la seule entrave à l'efficacité opérationnelle était les restrictions sur ce que les équipages féminins pouvaient et ne pouvaient pas faire, comme la politique selon laquelle les femmes ne pouvaient pas être formées au transport aérien tactique. Une fois la restriction levée, les femmes se sont bien acquittées de toutes les tâches de l'escadron.
Interrogées sur l'effet du mariage sur leur carrière, les femmes ont répondu : "aucun problème" et que c'était possible. Quant aux enfants, les femmes ont donné des réponses très diverses. Certaines ont déclaré que le fait d'avoir des enfants pouvait être "intégré dans un cycle normal de vols et de visites au sol". Une autre a estimé que les enfants pourraient interférer avec sa carrière, mais que "si sa carrière était meilleure que celle de son mari, il prendrait sa retraite". Quelques femmes pensaient qu'avoir des enfants serait difficile à concilier avec une carrière d'aviateur. Une femme s'est demandée pourquoi la question des enfants était même discutée.
...puisque les Forces canadiennes exigent cinq ans de service obligatoire après la formation de pilote et de navigateur, tout ce qui est fait au-delà de cette période est destiné à améliorer la carrière de la personne concernée. Les Forces canadiennes savent qu'après cette période, il n'y a aucune garantie de la part des hommes qui rejoignent souvent les compagnies aériennes civiles, alors pourquoi devraient-elles se préoccuper du fait que des femmes tombent enceintes et mettent fin à leur carrière ?
Leah a conclu le rapport par ces mots :
...on estime que l'essai SWINTER et ses participants n'ont pas eu d'effets néfastes sur le 436e Escadron. Certaines femmes ont parfois été frustrées et découragées par le manque d'information, les paramètres changeants de l'essai et l'incertitude quant à leurs perspectives d'emploi. Pour quelques-unes d'entre elles, les limitations et l'examen minutieux du procès ont entravé la satisfaction professionnelle et personnelle. Cependant, malgré cela, le poids de l'attention supplémentaire et les réserves initiales de leurs homologues masculins, la plupart des femmes sont heureuses d'être devenues membres du personnel navigant. Elles ont travaillé dur pour obtenir leurs réalisations, en sont fières et se considèrent comme des atouts pour les Forces canadiennes. Bien qu'elles soient optimistes quant à l'avenir des femmes membres d'équipage d'aéronef, elles mettent en garde contre le fait que l'acceptation totale est le résultat d'un plus grand nombre de femmes et d'un manque d'attention spéciale.
Les femmes ont fait le travail, font le travail et veulent continuer à faire le travail, que ce soit un rôle de combat ou non.
*La musique commence brusquement avec un shaker, un vibraphone et une guitare électrique, puis s'arrête*.
Le capitaine de corvette à la retraite Rosemary Park.
C'est donc là que la contradiction a commencé lorsque ces preuves ont commencé à être rapportées et que les hauts responsables n'ont pas apprécié. Ce n'était pas ce qu'ils voulaient entendre. Et donc vous avez vu dans les rapports que j'ai écrits, qu'ils ont mis, pour la première fois que je sache, le travail que j'écrivais, avait des avertissements écrits sur la première page. Et cela disait, "les vues et les opinions exprimées dans ce rapport sont celles de l'auteur et pas nécessairement celles du ministère de la Défense nationale." Et vous ne les voyez pas dans d'autres.
C'est vrai. Le premier rapport sur l'enquête de 1982/1983 dont il est question dans le troisième épisode ne comportait pas un tel avertissement, mais le rapport final du CFPARU sur le procès des équipages, rédigé par Rosemary et un autre collègue, en comportait certainement un.
Le procès des équipages s'est terminé en octobre 1985. Un mois plus tard, la CFPARU a publié son rapport final.
Quatre des cinq escadrons d'essai avaient atteint une "intégration sociale satisfaisante du personnel navigant féminin". Dans ces escadrons, les militaires et les femmes étaient d'accord : les équipages féminins pouvaient faire le travail, ils ne recevaient pas de traitement préférentiel et devaient continuer à servir en tant qu'équipages. À l'escadron 436, cependant, il a été déterminé que l'acceptation n'était que partielle. Alors que les femmes de l'escadron affirmaient qu'elles accomplissaient bien leur travail, une " minorité substantielle d'hommes " a rapporté que les femmes membres du personnel navigant n'étaient pas des membres efficaces et ne participaient pas pleinement à l'escadron.
Malgré la réaction mitigée au 436e Escadron, une enquête menée en 1985 auprès de tous les escadrons d'essai du personnel navigant a révélé que 75 % du personnel navigant masculin et 100 % du personnel navigant féminin pensaient que les femmes devaient continuer à faire partie du personnel navigant à un titre quelconque.
Dans le contexte du reste des essais SWINTER, c'est un assez bon résultat. Le seul autre essai à avoir obtenu un meilleur résultat est l'essai d'isolement à Alert, au Nunavut, où les femmes ont été pleinement acceptées. L'essai en mer de la marine a connu une intégration sociale partielle. Dans l'essai sur terre de l'armée de terre, une unité a connu une intégration sociale partielle et l'autre une intégration sociale "insatisfaisante".
Les chercheurs de la CFPARU ont constaté que les rumeurs négatives, les attitudes préconçues à l'égard des femmes dans des rôles non traditionnels, les perceptions de discrimination à rebours et le manque d'action de la part des dirigeants pour contrer ces problèmes étaient des facteurs importants dans les unités où l'intégration était partielle ou insatisfaisante. Les chercheurs ont déterminé que bon nombre de ces problèmes pouvaient être réglés par des politiques.
*Musique mystérieuse commençant par une brosse à tambour, se développant avec un piano électrique et une guitare*.
Ils ont formulé un certain nombre de recommandations, telles que :
Rendre les femmes éligibles à toutes les fonctions de l'équipage aérien. La majorité des équipages, hommes et femmes, pensent que les femmes devraient être éligibles aux fonctions de combat aérien au même titre que les hommes. Certains hommes ont même déclaré qu'ils seraient plus enclins à accepter des femmes dans le personnel navigant si cette politique était modifiée.
La direction doit fournir une déclaration claire sur les conditions d'emploi et de progression de carrière pour le personnel navigant féminin. Le manque d'informations fournies aux femmes sur leur avenir professionnel après l'essai a créé de la confusion et de l'insécurité, et a contribué à un environnement négatif dans certains escadrons.
Créer des directives politiques claires concernant la grossesse. Bien que seulement trois grossesses aient eu lieu pendant l'essai, les équipages masculins et le commandement aérien ont continué à craindre que le congé de maternité nuise à l'efficacité opérationnelle de l'escadron. La CFPARU a déclaré que cette perception devait être contrecarrée par des directives claires sur la manière dont l'état de préparation de l'escadron devait être maintenu si un membre d'équipage était cloué au sol pendant une période prolongée pour cause de grossesse.
Enfin, la CFPARU a recommandé que les dirigeants fassent un "effort proactif" pour affirmer l'intégrité du système de formation du personnel navigant et la confiance dans ses diplômés, afin de contrer les rumeurs selon lesquelles les normes de sélection et de formation ont été abaissées pour les femmes.
Si le Commandement aérien décidait de continuer à employer des femmes comme membres d'équipage à l'avenir, ces questions devraient être abordées. Cependant, l'évaluation des sciences sociales et comportementales avait conclu que cela était possible. Malgré l'échelle relativement petite de l'étude, et les nombreuses limitations imposées à l'essai et à ses participants, la majorité des équipages féminins ont été intégrés dans les escadrons opérationnels sans nuire à l'efficacité.
*fin de la musique*
Ainsi, après la présentation du rapport final sur les sciences sociales et comportementales, ainsi que des opinions et des évaluations personnelles des participants à l'essai, il était temps de prendre une décision sur l'emploi du personnel navigant féminin.
Et, bien sûr, cette décision devrait répondre à la question posée par la Commission canadienne des droits de la personne en 1978 : l'armée avait-elle des raisons de bonne foi de continuer à exclure les femmes de certains rôles ?
Lieutenant Colonel retraité Georgie Jones, navigateur aérien.
Vous savez, on a réussi la formation, on a obtenu nos catégories opérationnelles. Nous volions en tant que membres pleinement accrédités de l'escadron. A la fin de l'essai, comment pouvaient-ils dire que ce n'était pas un succès ?
*La musique d'ambiance s'installe et se construit lentement*.
Comme je ne pourrais jamais comprendre comment ils auraient pu dire, "Oh, l'essai est un échec." Parce que même si 50% d'entre eux, vous savez, ont échoué à leur formation de pilote ou de navigation ou autre, il y avait toujours ceux qui ont prouvé que nous étions capables de le faire. Peut-être qu'ils n'ont pas fait le meilleur processus de sélection qui aurait permis d'obtenir un taux de réussite plus élevé. Mais je n'ai jamais pu comprendre comment ils ont pu dire arbitrairement : "Bon, vous savez, l'essai a été un échec. Nous ne recruterons plus jamais de femmes."
Dans notre dernier épisode : comment tout s'est terminé ?
Quels ont été les impacts durables du procès des équipages ?
Et comment les femmes qui y ont participé s'en souviennent-elles ?
*Le thème musical pause.*
Cet épisode est dédié au brigadier-général à la retraite Sheila Hellstrom et au major à la retraite Leah Mosher.
Leurs contributions individuelles à l'égalité des femmes dans l'armée de l'air canadienne, et dans l'armée canadienne dans son ensemble, ne seront pas oubliées.
*Le thème musical recommence.*
Cet épisode a été écrit et produit par moi, Camas Clowater-Eriksson.
Montage du scénario par Erin Gregory.
Musique par les Blue Dot Sessions.
Voix de Dennis Rice, Noah Eriksson, Erin Gregory, Tom Everett et Emily Gann.
Nous remercions la Direction de l'histoire et du patrimoine du ministère de la Défense nationale pour la numérisation et l'utilisation du fonds de la Direction du personnel féminin, ainsi que Karen Davis qui nous a permis d'utiliser son interview d'histoire orale avec Sheila Hellstrom.
Et un merci très spécial aux femmes dont vous avez entendu les voix et les histoires dans cet épisode : Robin Camken, Cheryl Tardif, Wendy Sewell, Georgie Jones et Rosemary Park, et à toutes les femmes qui ont contribué à la collection nationale du Musée de l'aviation et de l'espace du Canada par leurs histoires orales sur le procès des équipages de SWINTER.
Ce projet a été soutenu par l'Institut de recherche Ingenium.
Merci d'avoir écouté et nous espérons que vous regarderez le dernier épisode de Point de bascule.
*La musique s’estompe.*
FIN DE L'ÉPISODE QUATRE
Épisode 5 : « Un legs compliqué »
*Le thème musical commence, soit un rythme régulier au violoncelle, en pizzicato, dans une tonalité mineure.*
L’expérience visant l’emploi de femmes militaires dans des environnements et des rôles non traditionnels connue sous le nom de « l’essai SWINTER » (pour Service Women in Non-traditional Environments and Roles) a été menée dans les Forces canadiennes de 1979 à 1985 pour tester l’emploi de femmes dans des rôles auparavant réservés aux hommes. Quatre essais ont été réalisés, soit dans l’armée de terre, la marine, l’armée de l’air et dans une station de communication isolée dans le nord du Canada.
Je m’appelle Camas Clowater-Eriksson et voici le dernier épisode de Point de bascule, un documentaire audio en cinq parties du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada sur les femmes et un de ces essais : l’essai SWINTER des forces aériennes.
Épisode 5 : Un legs compliqué
*Le thème musical s’estompe et de la musique à cordes commence doucement; on entend le bourdonnement d’un avion en arrière-plan.*
Stan Heckstrom avait un boulot à Nanaimo, en Colombie-Britannique. Il voulait de l’aventure.
André Dequoi avait vécu toute sa vie à Montréal, au Québec. Il voulait voyager.
Bob Mackenzie venait d’obtenir son diplôme d’études secondaires au Cap-Breton. Il voulait un métier.
C’est ainsi qu’ils se sont trouvés par un beau matin ensoleillé, tous mettant le cap dans la même direction...
C’est un extrait du film Aircrew, un film de l’Aviation royale canadienne produit par l’Office national du film du Canada en 1954. Où se dirigeaient ces trois hommes? À la sélection des membres d’équipages d’aéronefs, à Toronto.
Les raisons pour lesquelles ils ont décidé de s’enrôler dans l’armée de l’air sont très semblables à celles des femmes que nous avons interrogées, et qui nous ont expliqué pourquoi elles voulaient participer à l’essai des forces aériennes.
*De la musique délicate et rythmée – clavier et basse électriques – commence, et devient plus intense lorsque la mélodie s’installe.*
Tout comme les hommes du film, les femmes voulaient vivre l’aventure de l’aviation, elles désiraient voyager et elles s’imaginaient une carrière où elles pourraient avoir une réelle incidence. Mais, bien sûr, en 1954, devenir membre du personnel navigant de [l’Aviation royale canadienne] n’était pas une option pour une femme.
Trente ans plus tard, [on peut dire que] l’exemple des femmes militaires qui ont participé à l’essai SWINTER des forces aériennes a contribué à changer la situation.
Dans le quatrième épisode, nous avons terminé avec le rapport final de l’évaluation de sciences sociales et comportementales de l’Unité de recherche psychotechnique des Forces canadiennes (l’URPTFC) qui a conclu que les femmes étaient capables de faire partie du personnel navigant. L’intégration sociale des femmes a été pleinement réussie dans tous les escadrons sauf le 436e, où l’acceptation a été partielle. Toutes les préoccupations exprimées par le commandement aérien concernant l’impact du personnel navigant féminin sur l’efficacité opérationnelle ont été dissipées par Sheila Hellstrom et Frank Pinch en 1984, et en 1985, les femmes ayant servi dans les escadrons d’essai ont eu l’occasion de soumettre aux hauts dirigeants de l’armée de l’air leurs points de vue et leur appréciation de l’essai dans les forces aériennes.
L’essai des forces aériennes était terminé.
Il était temps de prendre une décision finale.
Première partie : la fin
*La musique cesse.*
L’adjudante-maître à la retraite Christine Krueger, mécanicienne de bord :
D’après ce dont je me souviens, il y a eu, je crois, une réunion, une entrevue en fait, ils ont rassemblé tous celles d’entre nous qui faisaient partie du 424e et qui ont participé à l’essai, et ils ont dit, « Vous savez, oui... ». Je pense que c’était à la fin de l’essai, et ils ont finalement décidé que, OK, d’accord, ils n’allaient pas nous renvoyer, pour ainsi dire. OK, bien, ils allaient garder les femmes en poste. Et, sans dire que l’essai avait été une réussite – personne n’a jamais dit ça, « Oui, ça a été un succès retentissant! ». Non. Je crois qu’ils étaient plutôt résignés. « Bon, vous êtes ici. Non, nous n’allons pas vous mettre à la porte. On va vous endurer », pour ainsi dire. Il n’y a pas eu de grande parade, de fête, ce genre de chose. Rien.
Peu après la fin de l’essai, en octobre 1985, le commandement aérien a publié une politique d’emploi provisoire pour le personnel navigant féminin. Le recrutement des femmes a été suspendu et les participantes à l’essai ont été informées qu’elles pouvaient conserver leur emploi jusqu’à ce qu’on détermine si on recruterait d’autres femmes comme personnel navigant à l’avenir. Dans l’intervalle, elles suivraient la même progression de carrière que les hommes, sauf qu’elles continueraient d’être exclues des escadrons de combat et de ceux ayant un mandat lié au combat.
En novembre, le commandement aérien a présenté son rapport final sur l’essai des forces aériennes. Dans son mot d’ouverture, le commandant du commandement aérien, le lieutenant-général Donald McNaughton, a fait la recommandation suivante : l’essai avait démontré que les femmes – « avec les qualifications et la formation appropriées » – pouvaient faire le travail de personnel navigant. Toutefois...
Il n’y a aucune indication... à l’effet que l’efficacité opérationnelle ait été améliorée par la présence des femmes. Au contraire, on constate une diminution de l’efficacité, en grande partie à cause de facteurs tels que la grossesse de certaines femmes et la restriction des postes de combat... L’expérience acquise au cours de l’essai m’amène à déconseiller la poursuite de l’emploi de femmes dans nos équipes de personnel navigant. Si la décision est différente, alors je recommande fortement qu’aucune restriction ne soit imposée en matière emploi.
Selon le rapport, trois facteurs avaient nui au bon rendement professionnel des femmes pendant de l’essai : le fait qu’elles aient été limitées à des postes de non-combattantes, le risque de conflit entre leurs obligations familiales et leurs tâches de personnel navigant, et la grossesse.
C’était les mêmes préoccupations que le commandement aérien avait soulevées moins d’un an auparavant. Les mêmes préoccupations qui, selon la colonelle Sheila Hellstrom et le lieutenant-colonel Frank Pinch, n’étaient pas des problèmes attribuables aux femmes mais bien aux politiques et pratiques de gestion de l’armée elle-même, si tant est qu’il s’agissait de problèmes.
Les forces aériennes n’avaient pas plus de preuves à l’appui de ces arguments qu’en 1984. La crainte que les femmes n’arrivent pas à concilier leurs obligations familiales et leurs responsabilités de personnel navigant était spéculative – aucun exemple dans l’essai ne justifiait cette conclusion. La grossesse a été considérée comme la « différence la plus marquée entre l’efficacité des hommes et des femmes ». L’interdiction de vol en raison d’une grossesse a été qualifiée de « fardeau opérationnel inacceptable », bien que les escadrons n’aient signalé aucun impact sur l’efficacité opérationnelle pendant l’essai. Et bien que le fait de limiter les femmes à des postes de non-combattantes ait été un problème réel, cela pouvait se régler en permettant aux femmes d’intégrer tous les types de postes des équipages aériens.
Le rapport a reconnu que lever la restriction relative aux postes de combattants éliminerait bon nombre de préoccupations. Toutefois, l’option n’a pas été recommandée d’emblée. Le rapport a plutôt conclu, comme le commandant, que seules deux possibilités existaient pour l’avenir du personnel navigant féminin :
Soit les femmes devaient être employées dans toutes les missions aériennes, soit elles ne devaient être employées dans aucune.
« Toutes les missions aériennes », cela incluait le combat, et le rapport citait les nombreuses incertitudes qui devaient encore être examinées en ce qui concerne l’ouverture des postes de combat aux femmes, comme la volonté politique, les attitudes sociétales, la force physique et les motivations des femmes à l’égard du combat. De cette façon, le commandement aérien laissait entendre que la ligne de conduite souhaitable était de ne pas employer du tout de personnel navigant féminin.
*Un pincement rythmique de cordes commence, et se transforme en une pièce instrumentale rythmée.*
Encore une fois, suivant le dépôt du rapport, Sheila et Frank ont été sans relâche.
Sheila a souligné les nombreuses incohérences du rapport et a rappelé aux hauts dirigeants qu’ils n’avaient signalé aucun effet négatif sur l’efficacité opérationnelle jusqu’en 1984, date à laquelle, tout à coup, ils ont soulevé un certain nombre de problèmes. Elle leur a indiqué que ces problèmes n’avaient jamais été corroborés et leur a rappelé les commentaires que Frank et elle avaient formulés.
Les arguments n’ont pas changé.
Sheila n’était pas du tout d’accord avec la conclusion du rapport, qui disait que « toutes les femmes ne sont pas aussi efficaces que les hommes parce que certaines tombent enceintes ». Elle a proposé :
N’importe qui aurait aussi pu dire, preuves à l’appui, que les hommes sont tout aussi indisponibles que les femmes en raison de leur alcoolisme.
Elle a également rappelé aux hauts dirigeants que la grossesse faisait partie des motifs de discrimination interdits par la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Frank a également remis en question la validité de l’argument de la grossesse. Si la grossesse créait des problèmes de personnel, c’était la faute du système militaire et non des femmes.
La planification [des ressources humaines] dans le cas d’une grossesse, comme pour tout autre problème d’indisponibilité (comme la perte d’une catégorie médicale, une maladie, un accident, un décès) était la responsabilité du système militaire et, plus localement, du commandant de l’escadron... Cet argument ne pouvait tout simplement pas être utilisé pour refuser aux femmes l’accès à l’emploi dans les forces aériennes, bien qu’il s’agissait d’une préoccupation qui nécessitait une planification et des politiques très claires en matière de dotation en personnel.
Le rapport avait conclu qu’il subsistait des incertitudes concernant l’emploi de femmes au sein des équipages de combat, mais Frank a plutôt soutenu que l’essai avait prouvé le contraire :
Les femmes peuvent être formées en tant que personnel navigant, elles peuvent voler, naviguer et être mécaniciennes de bord. Elles n’ont pas nui à l’état de préparation opérationnelle de leurs unités et se sont en partie intégrées sur le plan social, et il est probable qu’elles se seraient encore mieux intégrées si elles avaient été plus nombreuses. La déduction logique est que, si la formation et la socialisation étaient appropriées, les femmes ne nuiraient pas aux opérations de combat ou de guerre.
Il a indiqué que « seuls des obstacles administratifs » freinent la pleine intégration du personnel navigant féminin.
Sheila était du même avis, et a conclu :
*La musique cesse.*
La justification de la restriction de l’emploi des femmes au sein du personnel navigant est au mieux ténue. Les arguments sont essentiellement les mêmes que ceux présentés chaque fois que des femmes sont introduites pour la première fois dans un domaine non traditionnel; [ils] seront reconnus comme tels puis ridiculisés. Au bout du compte, les arguments de l’armée de l’air ne tiennent pas debout.
*La musique reprend doucement : clavier électrique et solo de guitare.*
Leurs avis seraient-ils entendus? Ou le commandement aérien resterait-il campé sur ses positions, aussi intenables soient-elles?
*La musique devient plus intense puis s’estompe.*
En avril 1985, l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés est entré en vigueur. Cet article garantit l’égalité des droits des Canadiens devant la loi et la protection contre la discrimination fondée sur des motifs comme le handicap, la race et le sexe. Immédiatement, un comité parlementaire a été mis sur pied pour examiner les domaines qui pourraient entrer en conflit avec l’article 15. Or, en octobre, le comité a annoncé que les Forces canadiennes devaient lever toutes les restrictions visant l’emploi des femmes.
L’armée a réagi à peu près de la même façon qu’elle l’avait fait suivant la Loi canadienne sur les droits de la personne, en 1978. Le quartier général de la défense nationale a alors mis sur pied un groupe de travail sur les questions d’égalité pour examiner les répercussions de la charte sur les politiques des Forces canadiennes, y compris son application en ce qui concernait l’emploi des femmes.
Tout comme le rapport final du commandement aérien, le groupe de travail a conclu que les risques pour l’efficacité opérationnelle étaient trop élevés pour aller de l’avant avec l’ouverture de tous les postes aux femmes, et a recommandé que des recherches supplémentaires soient menées pour vérifier si « ce changement pourrait être introduit sans risque ».
*Un pincement de cordes intense et mystérieux commence, et se transforme en une pièce instrumentale rythmée.*
En juin 1986, informé des résultats des essais SWINTER et du rapport du groupe de travail sur la charte des droits, le chef d’état-major de la défense a annoncé que tous les postes seraient ouverts aux femmes « dans la mesure où cela pourra assurer un certain niveau d’efficacité opérationnelle ». Encore une fois, comme les changements aux politiques entraînés par la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada en 1970, la nouvelle politique a ouvert un certain nombre de nouveaux domaines d’emploi aux femmes, mais beaucoup sont restés fermés. Dans les forces aériennes, les postes à l’essai de pilotes, de navigatrices aériennes et de mécaniciennes de bord ont été ouverts aux femmes dans les escadrons d’entraînement, de transport tactique et stratégique, de recherche et sauvetage, utilitaires, de patrouille maritime et de reconnaissance maritime. Toutefois, une « composante masculine minimale » a été établie pour contrôler le nombre de femmes autorisées dans les unités et escadrons de chasseurs, de transport et d’hélicoptères tactiques, [et les postes] de combat ou de quasi-combat sont restés fermés aux femmes.
*La musique cesse.*
Pour les participantes à l’essai des forces aériennes, cette annonce signifiait qu’elles conservaient leur emploi après des années d’insécurité. C’était une victoire douce-amère.
La capitaine et pilote à la retraite Wendy Sewell :
Je pense qu’il était temps que les femmes soient autorisées. Je ne pense pas que l’essai nous ait aidés en quoi que ce soit. Je pense que la question aurait dû se résumer à ceci : laissons-les commencer et surveillons-les. Mais toutes ces modalités... et l’essai a été, selon moi, très négatif. Comme je l’ai dit, ça n’a pas aidé [à changer] la mentalité des hommes. Ça n’a pas aidé les femmes, à cause de la discrimination inversée, de la catégorisation et de toute l’attention qui a été mise sur nous. L’essai nous a fait sentir très temporaires.
J’aurais aimé que ce soit différent. Parce que je me voyais comme un militaire de carrière, comme mon père. Encore aujourd’hui je me demande où j’en serais aujourd’hui si j’avais pu rester dans l’armée et progresser. Je suppose qu’on ne le saura jamais mais... je suis triste que ce n’était pas... naturel comme pour les hommes. On avait l’impression de se battre contre une organisation au lieu d’en faire partie. Et c’est dommage parce que mon père a aimé chaque minute dans l’armée, et nous, en tant que famille, nous avons grandi avec ce genre de sentiment de fraternité, d’être dans l’armée… d’avoir la chance d’être là, vous comprenez? C’était comme un club élite, quelque chose comme ça. C’est comme ça que j’ai grandi.
L’expérience de Wendy a contribué à sa décision de prendre sa retraite à la fin de sa période de service obligatoire. Elle a mis à profit ses compétences acquises dans les Forces canadiennes en devenant attachée adjointe de défense à l’ambassade des Pays-Bas au Canada.
Je voulais juste, je pense, je voulais vraiment avoir un sentiment d’appartenance. Je pense que c’est la nature humaine de vouloir appartenir à quelque chose, de vouloir faire partie de quelque chose. Ce n’est pas arrivé.
J’aurais aimé que les choses se passent différemment, mais je ne sais pas où je serais rendue aujourd’hui. Et je dis toujours, vous savez, la vie a un plan, et on ne sait jamais où on va aboutir... Ça a fait de moi une personne « grandie » – tous les endroits où je suis allée, les choses que j’ai vues, toutes les missions, comme les missions de recherche et sauvetage, ramener du nord des gens qui avaient besoin d’aide médicale, vous savez? On se sent fier de ces réalisations individuelles, et j’ai bien peu de regrets.
*De la musique « funky » et chaleureuse jouée à la guitare électrique commence, et s’intensifie avec l’ajout de percussions.*
Deuxième partie : les contrecoups
*La musique cesse.*
Dans les années qui ont suivi les essais SWINTER, les Forces canadiennes ont lancé une autre série d’essais appelés CREW, pour Combat Related Employment of Women, un programme d’emploi de femmes dans des postes liés au combat afin d’évaluer « si, quand et comment les restrictions sur l’emploi des femmes dans des professions et unités auparavant réservées aux hommes devaient être levées ».
En 1987, l’armée et la marine ont commencé à affecter des femmes militaires dans des unités de combat. Dans les forces aériennes, l’essai devait avoir lieu dans deux escadrons à Cold Lake, en Alberta, où dix femmes seraient formées comme pilotes de chasse.
Mais avant même que l’essai commence, l’armée de l’air a fait une annonce inattendue.
La major et pilote à la retraite Robin Camken :
Et l’armée de l’air a simplement dit, « Nous n’avons pas besoin de faire des essais sur l’emploi de femmes au combat ». Étant donné la réussite des essais SWINTER dans les forces armées, ils ont ouvert tous les postes aux femmes dans l’armée de l’air.
*De la guitare acoustique commence à jouer délicatement.*
Au cours de l’été 1987, le chef d’état-major de la défense a approuvé cette décision. Tous les postes de l’armée de l’air, y compris les rôles de combat, ont été ouverts aux femmes. Mais qu’en était-il de toutes les questions que le commandement aérien avait soulevées dans son rapport final? Avait-il écouté les avis de Sheila et Frank?
L’armée de l’air a invoqué des problèmes de dotation en personnel comme principale justification de sa décision. Elle n’avait tout simplement pas assez de personnel navigant féminin formé pour réaliser un autre essai. Et comme avait conclu le rapport final, soit les femmes étaient employées dans toutes les missions de personnel navigant, soit elles ne l’étaient dans aucune. Avec la nouvelle politique de l’armée, ne plus employer de femmes dans les équipages aériens n’était plus une option. Le commandement aérien a déclaré qu’il ne voyait pas l’avantage de former des pilotes qui ne pourraient être utilisées que dans des postes non combattants – si du temps et de l’argent devaient être investis dans la formation d’une pilote, alors cette pilote devait être « prête pour le combat ».
La meilleure façon de réduire les risques perçus était d’ouvrir tous les postes et tous les services aux femmes... en permettant de la formation et des emplois sans interférence ni restriction fondée sur le sexe.
Peut-être que Sheila [avait raison lorsqu’elle a dit que les arguments de l’armée] ne tenaient pas debout.
L’armée et la marine ont continué les essai CREW jusqu’en 1989, lorsque le Tribunal canadien des droits de la personne a ordonné aux Forces canadiennes d’ouvrir tous les postes militaires aux femmes dans un délai de dix ans.
Les essais SWINTER et la décision de l’armée de l’air de 1987 ont été cités comme preuves dans la décision du Tribunal. La stratégie qui visait, en 1979, à confirmer la position des Forces canadiennes qu’exclure les femmes était une exigence professionnelle justifiée a donné des résultats tout à fait contraires. Comme l’a déclaré le Tribunal :
Au milieu des années 1980, lorsque les résultats des essais SWINTER ont été rendus publics, il est devenu clair que l’exigence professionnelle justifiée de restreindre l’emploi des femmes ne pouvait plus être soutenue.
*La musique s’estompe.*
Les résultats de l’essai mettent en doute la proposition – essentielle à l’argument d’exigence justifiée – selon laquelle la cohésion, un élément essentiel à l’efficacité opérationnelle, n’est possible qu’entre hommes et au sein de groupes masculins.
Nous croyons que les femmes sont, avec de la formation, capables de remplir des fonctions de combat. L’expérience des femmes au combat pendant la Seconde Guerre mondiale le prouve. La décision des forces aériennes le prouve.
La performance au travail n’a pas été un problème pendant les essais SWINTER.
Cette fois, les Forces canadiennes ont obtempéré. C’était la loi. En octobre 1989, l’armée a supprimé toutes les restrictions à l’emploi visant les femmes, à l’exception des sous-marins qui ont été ouverts en 2001 après l’acquisition de navires plus modernes.
La lieutenante-commandante à la retraite Rosemary Park :
Il y a de la résistance jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible d’argumenter son point de vue, jusqu’à ce que quelqu’un dise, « C’est assez, il faut changer ».
*La musique reprend doucement : un solo de banjo.*
Cela fait presque quarante ans que les essais SWINTER ont pris fin. L’exemple de ces 280 femmes militaires qui se sont portées volontaires pour participer aux essais a été un pas important vers l’égalité des sexes dans l’armée canadienne.
Les femmes qui ont participé à l’essai des forces aériennes ont prouvé que les femmes étaient capables d’être pilotes, mécaniciennes de bord et navigatrices aériennes. Après que l’armée de l’air a ouvert tous les postes aux femmes en 1987, celles-ci ont pu prouver leurs capacités en contexte de combat. En 1988, les capitaines Deanna Brasseur et Jane Foster sont devenues les premières femmes pilotes de chasse au monde.
*La musique cesse.*
Nous l’avons déjà dit, les essai SWINTER ne sont pas bien connus au Canada.
La navigatrice aérienne et lieutenante-colonelle à la retraite Georgie Jones a eu une carrière de trente et un ans dans l’armée. Elle est déçue que les essais de SWINTER ne soient pas mieux connus, mais ça ne l’étonne pas.
Avant les événements en Yougoslavie et en Afghanistan, la majorité des Canadiens se souciaient peu de ce que faisait l’armée. Je pense qu’il faut reconnaître, se souvenir et célébrer ce que nous avons fait, ce que nous avons accompli et comment nous avons ouvert toutes ces portes.
Il y a beaucoup de femmes vraiment, vraiment compétentes, vraiment exceptionnelles qui ont percé au cours de ces premières années, que ce soit pendant l’essai SWINTER ou dans les premières cohortes qui l’ont suivi, et qui n’auraient pas nécessairement été là où elles sont aujourd’hui sans cet essai.
Toujours en poste, la major-générale Lise Bourgon faisait partie de cette « première vague » qui est entrée dans l’armée après les essais SWINTER. Elle s’est enrôlée en 1987 et est devenue pilote d’hélicoptère maritime. Lise se rappelle qu’elle n’a appris l’existence des essais SWINTER que dix-huit ans plus tard, lorsqu’elle a commencé à étudier l’histoire de l’intégration des genres dans les Forces canadiennes au collège d’état-major, en 2005.
Je pense qu’il est important que nous nous en souvenions. Parce que ce que vous avez vécu et les leçons que vous avez tirées vous aideront à aller de l’avant. Par exemple, je ne savais rien de l’essai SWINTER jusqu’à ce que j’aille faire ma thèse au collège d’état-major. Mais jusque-là, je prenais tout ça pour acquis.
Ces femmes étaient des pionnières. Et... nous sommes ici grâce à elles, honnêtement. Elles ont ouvert des portes. Je veux dire, nous continuons toujours d’ouvrir de petites portes, mais, vous savez, celles qu’elles ont défoncées étaient lourdes, elles étaient grosses et... oui, je suis vraiment, vraiment incroyablement honorée de suivre leurs traces en toute humilité.
En écoutant les participantes à l’essai qui ont raconté leur histoire pour ce documentaire, on comprend l’incidence qu’a eu l’essai des forces aériennes sur leur vie et leur carrière. Mais nous leur avons également demandé de réfléchir à l’importance de l’essai pour les femmes dans l’armée de l’air en général. Voici ce que certaines d’entre elles ont eu à dire.
La major à la retraite Robin Camken a dû cesser d’être pilote pour des raisons médicales, mais sa carrière militaire ne s’est pas arrêtée là. Elle est devenue une des deux premières femmes officières du renseignement des Forces canadiennes. Pour elle, les essais SWINTER ont été un point tournant.
Les essais SWINTER ont ouvert les portes aux femmes dans toutes les professions et tous les métiers militaires. Et à la fin de l’essai, la majorité des hommes qui ont côtoyé les participantes ont dit être d’avis que les femmes étaient des membres d’équipage compétentes et efficaces et qu’il fallait les garder en poste. Donc, oui, c’était une période importante. Et on m’a dit, ou je l’ai lu dans des rapports, que les essais avaient pour but de prouver qu’exclure les femmes des postes jusqu’ici masculins était une exigence professionnelle justifiée. Mais à leur grande surprise *rires*, ils ont en fait prouvé le contraire, qu’elles étaient capables de remplir ces fonctions!
La mécanicienne de bord et adjudante-maître à la retraite Christine Krueger a décidé de rester dans l’armée après l’essai. En fait, elle vient tout juste de prendre sa retraite, en 2020. Au cours de ses quarante-deux ans de carrière, elle a accumulé plus de 7 594 heures de vol, un nombre impressionnant.
Comme Wendy plus tôt, elle critique l’essai :
En toute honnêteté, l’essai des forces aériennes n’aurait pas dû avoir lieu. Il n’était pas nécessaire de mener un essai pour voir si les femmes pouvaient faire le travail... Parce que, si vous regardez l’histoire, et particulièrement l’histoire de l’armée de l’air, des femmes dans l’armée de l’air et dans la Seconde Guerre mondiale, les femmes ont toujours fait le travail.
Nous avons tendance à faire ça. Mener des essais [pour] essayer de prouver quelque chose qui a déjà été prouvé dans le passé… Il aurait suffi de simplement faire le travail, de mettre les femmes au travail, et si elles n’avaient pas pu faire le travail, alors, très bien […]. Mais nous avons prouvé que nous pouvons le faire… Honnêtement, je ne pense pas qu’il fallait avoir un essai… et mettre les femmes sur un piédestal, ce n’était pas nécessaire. C’est ce que j’en pense.
La lieutenante-colonelle à la retraite Karen McCrimmon a également choisi de rester. Elle est devenue la première femme à commander un escadron en 1998, puis elle a pris sa retraite, en 2006. Elle a ensuite servi à Ottawa en tant que députée au Parlement fédéral. Karen se demande si l’essai était une étape nécessaire, malgré ses failles.
SWINTER a ouvert la porte et je pense qu’il fallait le faire de cette façon. Il n’y avait vraiment... pas assez de soutien pour les femmes dans l’armée à cette époque. Le fait d’avoir appelé ça un « essai »... Je pense que ça a calmé certaines personnes : « C’est seulement un essai, alors ça va. On peut être gentils avec elles, c’est seulement un essai. »
*Une musique délicate jouée au piano commence.*
Ces réponses révèlent le legs compliqué que laisse l’essai des forces aériennes. Il est devenu un point tournant pour les femmes dans l’armée de l’air, leur ayant ouvert la porte, comme l’a dit Robin, pour que les femmes puissent prouver qu’elles étaient capables de faire partie des équipages. Toutefois, la présomption derrière l’essai a placé les femmes dans un contexte difficile où on présumait leur échec.
C’est tout à l’honneur des participantes que l’essai des forces aériennes ait connu une issue aussi différente.
*La musique cesse.*
La mécanicienne de bord et sergente à la retraite Cheryl Tardif a pu voler. Elle a vu des régions du Canada que peu de gens ont l’occasion de voir en prenant part à des missions de recherche et sauvetage, et a finalement pu voir le reste du monde en étant mécanicienne de bord sur un Hercules. Mais sa frustration à l’égard du manque de soutien en santé mentale dans l’armée l’a amenée à quitter les forces en 1995 et à devenir hypnothérapeute.
En fait, je voulais voler. C’est vraiment tout ce que je voulais faire. L’essai… À mon avis, l’armée n’a pas tendance à faire de grandes choses à ce sujet. Il n’y avait pas de communication, [ce n’était pas facile de trouver quelqu’un à qui parler]. C’était comme parler avec d’autres femmes qui ont été les premières… On ne veut pas faire de vagues. On veut juste faire en sorte que ce soit ouvert pour les autres femmes qui veulent s’enrôler.
Et j’ai remarqué votre question, qui est à la dernière page, voici : « L’armée canadienne a du mal à recruter et à retenir les femmes militaires. Que pensez-vous qu’elle devrait faire pour soutenir ces femmes? » Et [la réponse est] certainement, avoir des gens avec qui communiquer.
La mécanicienne de bord et caporale Mary Lou Ellan a pris sa retraite de l’armée peu après la conclusion de l’essai, en 1986. Elle a découvert en volant sur le Buffalo qu’elle avait le mal de l’air parce que l’avion n’était pas pressurisé. Elle a alors mis ses compétences au service de l’aviation civile, en effectuant d’abord des inspections sur les Hercules, puis en entrant au service d’Hélicoptères canadiens pour remettre en état des moteurs d’hélicoptères.
Je dirais que dans l’ensemble, c’était une expérience très positive, et j’ai apprécié mon temps dans l’armée. Mais j’ai senti qu’il était temps, quand j’ai quitté l’armée. À part le mal de l’air… Il était simplement temps de continuer ma vie. Vous savez, je n’ai pas vu ça comme un... un engagement à faire jusqu’à la retraite.
Vous savez, je pense que c’était la troisième année où ils commençaient à accepter les femmes en tant que techniciennes de moteurs d’avion… Faire partie des essais SWINTER... Je suis juste... juste un peu fatigué d’être une pionnière… je voulais juste être… *rires* une personne ordinaire!
La caporale-chef à la retraite Bev Beale a décidé de ne pas devenir mécanicienne de bord après avoir obtenu ses ailes. Au lieu, elle a demandé de revenir à son ancien métier de technicienne de cellules – au grand dam de ses supérieurs. Elle avait été la première de sa classe, mais les caractéristiques de conception du Buffalo, entre autres choses, étaient pour elle un obstacle qui, elle le savait, n’allait pas changer. Elle a quitté l’armée en 1988. Bev est devenue travailleuse sociale, enseignante et, comme Mary Lou, elle a travaillé dans l’industrie civile des hélicoptères.
Eh bien, lorsque je regarde en arrière, je suis assez heureuse de toutes les choses que j’ai pu faire. Je sais que mon père ne voulait pas que je m’enrôle, mais je me souviens que ma mère disait souvent, quand j’étais à la maison et que papa et moi parlions, elle disait : « Fermerais-tu les portes du hangar? » Parce qu’on parlait toujours d’avions et de trucs comme ça *rires*!
Et ce que j’ai préféré? J’aimais, et j’aime toujours, réparer les choses. Démonter les choses, les remonter... Lorsqu’il y a un problème et que tout le monde essaie de le comprendre, « Pourquoi ça fait ça? Pourquoi? » Et c’était moi qui finissais par comprendre. C’est très satisfaisant. Et puis, mon père avait raison. À trois heures du matin, au milieu d’une tempête de neige, on est dehors en train de changer un pneu d’avion et c’est là qu’on se dit…
*Une musique inspirante commence doucement, d’abord des maracas et du clavier électrique, puis s’intensifie au son d’autres instruments.*
…« Ouais, papa avait raison. » Et je me demande, les gens ordinaires, qu’est-ce qu’ils font? Mais... c’était amusant. Et c’était satisfaisant. J’ai vraiment aimé ça.
Troisième partie : de l’intégration à l’inclusion
*La musique cesse.*
Wendy :
Je me souviens qu’ils s’inquiétaient du fait qu’il y aurait tellement de femmes qui voudraient [participer]. Et encore aujourd’hui, ils n’arrivent pas à remplir leur quota de femmes.
L’armée demeure une organisation dominée par les hommes. Pour qu’une organisation ne soit plus considérée à dominante masculine, un seuil de 25 % de femmes doit être atteint. En 2020, les femmes représentaient 15,8 % de la force régulière, et 19,8 % des forces aériennes.
Et ce nombre est trop faible pour changer la culture et l’attitude.
C’était Robin. Elle a une perspective unique sur les raisons pour lesquelles l’armée a eu du mal à intégrer les femmes. Après être devenue officière du renseignement, elle a travaillé avec le conseil consultatif ministériel sur l’intégration des femmes dont le mandat était de superviser la « pleine intégration » demandée par le Tribunal canadien des droits de la personne.
Il n’y a pas assez de visibilité ou d’expérience de travail avec les femmes. Donc, si quelqu’un a cette attitude… […]. Aujourd’hui… je n’arrive pas à croire que ça fait quarante ans que j’ai commencé les essais SWINTER et que l’intégration n’est toujours pas réussie dans l’armée. C’est une impasse, parce que pour changer la culture, il faut un plus grand nombre de femmes dans l’armée, mais l’attitude envers les femmes militaires rend moins probable cette augmentation du nombre de femmes. De plus, je pense que la société en général n’encourage pas les femmes à s’engager dans l’armée. C’est toujours considéré comme un « travail d’homme ».
*Une chaleureuse progression d’accords au clavier électrique commence.*
L’expérience de l’essai des forces aériennes a donné aux participantes quelques idées sur ce qu’il faudrait faire pour changer la culture militaire et encourager les femmes à rester dans l’armée.
*La musique cesse.*
La major Micky Colton, pilote à la retraite, a compris qu’il fallait maintenir les femmes en poste pour en arriver à transformer la culture.
Nous avons « civilisé » l’armée de l’air. Les gens ne sont pas d’accord quand je dis ça, mais c’est ce que nous avons fait. Nous l’avons « professionnalisée » et nous l’avons rendue meilleure pour les cohortes suivantes. Je veux dire, ce n’est pas encore… il y a toujours des problèmes. Je veux dire, on entend ça tout le temps, ce qui est juste... ça détruit l’âme d’entendre qu’il y a encore ce genre de trucs stupides… des prédateurs… Quand j’ai commencé à voler, ce dont les gars parlaient dans le cockpit était plutôt, vous savez...
Mais avec le temps, Micky a vu les conversations dans le cockpit changer.
Les hommes ont évolué et sont devenus… ils se sont mis à parler de leur famille. Ils parlaient de leur épouse, de la carrière de leur femme. Ils parlaient de leurs enfants, d’éducation. Ils parlaient de politique, de leur vision du monde, etc. Ça a vraiment changé. Je pense que les femmes, nous, les débutantes, nous avons eu un énorme impact sur l’attitude des hommes. La tolérance zéro, non au harcèlement, vous savez, tout ça est entré en jeu grâce à nous. Alors, avons-nous eu un impact? Oui. Nous avons eu un énorme impact.
Le sujet du changement de culture a éveillé un souvenir chez Karen : un déploiement au 436e escadron, à la base des Forces canadiennes de Lahr, en Allemagne.
On partait trois semaines d’affilée à Lahr, en Allemagne, pour s’occuper du bureau des opérations. On appelait ça « Lahr Ops ». Lorsqu’on allait à Lahr, il fallait toujours aller à ce qu’on appelait le « Pflegerhoff » pour prendre un coup. C’est ce que la culture dictait... Et la plupart... c’était très fort ce courant, c’était ce qu’il fallait faire. Certains hommes arrivaient à s’en soustraire, heureusement, mais c’était difficile. Quand on est nouveau dans une organisation et qu’on vous dit que ça fait partie des attentes, eh bien, la plupart du temps, vous faites avec. Parce que, vous savez, on ne veut pas être à part, on veut s’intégrer.
Alors, je me rappelle avoir été là-bas, à Lahr Ops. Et quand vous étiez là, vous aviez un véhicule, une petite camionnette. Donc, j’étais en congé à Lahr Ops. J’étais là pour trois semaines et j’avais un après-midi de libre. Une nouvelle équipe venait d’arriver, des amis à moi, des gens que je connaissais. Et j’ai dit, « Eh bien, je vais prendre le petit camion et je vais aller dans cette petite ville dans la Forêt-Noire. Aller luncher quelque part et aller explorer la région un peu. » Et les gens ont dit… « Rah, rah, rah » et tout ça. Ils pestaient… « Stupides filles » et des trucs comme ça. « Vous êtes censées rester ici et boire! » Mais juste après, deux des jeunes pilotes masculins qui venaient d’arriver en avion ont dit : « On ferait mieux d’aller avec Karen et de s’assurer qu’elle n’a pas d’ennuis. » Ils ne voulaient pas rester là à boire tout l’après-midi! Ils voulaient aller explorer et jeter un coup d’œil aux alentours. J’ai dit, « Pas de trouble. Je ne vais pas rester ici et boire toute la journée! »
Et ce fut le début du changement de culture. Peut-être... peut-être qu’on ne voulait pas aller à Lahr, au Pflegerhoff et boire pendant des heures. Et je pense que le fait que des femmes ont dit, « Non, ça ne m’intéresse pas » a donné l’idée aux hommes de se servir de l’excuse d’accompagner les femmes qui voulaient faire quelque chose de différent, vous savez? Au lieu d’aller boire. C’est quelque chose qui m’a marquée. Je me souviens de cette journée. Et après, c’est devenu de mieux en mieux.
Alors qu’elle était affectée au 436e, Karen a été témoin d’une culture parfois difficile à supporter, mais elle a aussi vu que le changement était possible.
Eh bien, j’ai vu pendant l’essai SWINTER que ça pouvait marcher. Ça n’allait pas être facile, mais on pouvait y arriver. Et j’ai vu certaines de mes amies y arriver et réussir, mais d’autres ont eu du mal.
Et quand le jour est venu où je suis devenue commandante d’escadron, mes expériences au 436e escadron m’ont convaincue qu’il y avait une meilleure façon de faire les choses. Il y a une meilleure façon de diriger ces gens brillants qui pilotent ces avions et vont partout dans le monde et qui font un travail incroyable, que la façon dont les choses se faisaient au 436e. Donc, très tôt, au 436e plus précisément… c’est très tôt que j’ai décidé que je voulais devenir commandante d’escadron. Je me suis dit : « Ça ne peut pas être comme ça. », vous savez? Il faut que ça soit mieux.
*Une musique délicate et rythmée – clavier et basse électriques – commence.*
L’essai des forces aériennes a peut-être été le début du changement, mais Karen dit que ce n’est que plus tard qu’elle a vu une réelle différence. À son avis, c’est un nouveau leadership qui a été la clé du changement de culture.
C’est après, lorsque des femmes et des jeunes hommes ont accédé à des postes d’influence.
*La musique s’estompe.*
[Lorsqu’une nouvelle cohorte] est passée au rang de capitaines, puis de capitaines à majors, c’est là qu’on a commencé à voir une différence. Le leadership, c’est montrer l’exemple, et plus il y a de gens qui sont de bons exemples, plus il y a de chances que ça tienne.
*La musique reprend doucement.*
Et le leadership est en train de changer dans les Forces canadiennes. Mais lentement.
*La musique cesse.*
Le nombre de femmes qui ont accédé à des postes de haut niveau a augmenté depuis les essais SWINTER. La première femme brigadière-générale a été Sheila Hellstrom en 1987; la première femme major-générale a été Wendy Clay en 1994; et en 2015, Christine Whitecross est devenue la première lieutenante-générale, le deuxième rang le plus élevé dans l’armée avant celui de général. Trente-trois femmes ont été promues au rang de générale depuis Sheila Hellstrom. Actuellement, il y a quatorze femmes générales et officières générales en postes sur les 110 en fonction dans la force régulière. Cela représente 13 %. La crise de leadership dans l’armée – un nombre de dirigeants militaires de haut rang ont été contraints de démissionner ou de prendre leur retraite en raison d’allégations d’inconduite sexuelle – pourrait signifier que ce nombre commencera à augmenter plus rapidement.
Réfléchissant à l’état actuel des Forces armées canadiennes, la major-générale Lise Bourgon fait valoir qu’un changement d’approche est nécessaire.
Ouais, eh bien, ça a été incroyable ces 30 dernières années, vous savez? Au début, nous sommes arrivées, vous savez, l’armée a été forcée de nous laisser entrer. C’est comme ça que je suis arrivée dans l’armée, parce qu’ils n’avaient pas le choix, ils devaient prendre des femmes. On est donc arrivées. On était tolérées en tant que pilotes. Acceptées aussi, mais, vous savez, je ne peux pas vraiment dire qu’on était les bienvenues. Nous étions acceptées, OK. Et je pense que maintenant que les années ont passé, nous comprenons vraiment que la diversité est importante vous savez, les forces et faiblesses…, et plus il y a de personnes, plus il y a de personnes différentes autour de la table, plus les décisions – et opérations et autres – seront mûres et complètes.
Alors… on n’y est pas complètement, mais on va y arriver éventuellement. Je dis toujours que les trente dernières années ont été consacrées à l’intégration, et que l’avenir sera axé sur l’inclusion. Je pense donc qu’en ce moment, nous sommes à un point tournant où nous passons de l’intégration à l’inclusion, et les femmes doivent être incluses. Et « inclure » signifie, vous savez, être valorisées et acceptées pour ce qu’elles sont. Elles ne sont pas simplement autorisées à être là. Elles doivent être les bienvenues. Et elles doivent servir au maximum de leur forces et faiblesses, comme les hommes. Je pense donc que c’est un point tournant pour l’avenir, nous devons dépasser les 16 % actuels. Nous devons aller jusqu’à vingt-cinq et ça va être très, très difficile. Et c’est ce qui manque, ce paradigme de l’intégration à l’inclusion, où nous allons atteindre 25 %.
Wendy et Karen sont du même avis, et avaient ceci à dire sur ce qui doit changer pour faire ce passage vers l’inclusion.
Wendy :
C’est très difficile. Je pense que le fait de soutenir les femmes et de les considérer comme faisant normalement partie de l’équipe sont deux des plus importantes choses, je l’espère, qui aideraient. Que les femmes ne soient pas mises à part.
Et je pense que l’autre chose est simplement de permettre à une femme d’avoir des enfants tout en demeurant un élément crucial de l’équipe… sans avoir à mener les mêmes luttes que j’ai dû livrer pour obtenir une affectation avec mon mari, vous savez? L’organisation doit être plus souple si elle veut garder les femmes en poste. Parce qu’il y aura un moment où tout le monde atteindra un point de rupture et dira, « Je m’en vais, ça n’en vaut pas la peine. Je peux trouver un emploi ailleurs et ma vie sera beaucoup plus facile » *rires*! Alors, oui. Je pense que ce sont certains des domaines sur lesquels ils doivent continuer de travailler.
Karen :
Je pense que la première chose à faire est de soutenir les familles. Je pense que nous avons besoin de moyens qui permettent aux femmes de quitter pour élever leurs enfants en bas âge puis de revenir en poste. La maternité, c’est la clé. Et, aussi, permettre aux femmes d’avoir un certain contrôle sur leur vie. Au début, je ne pouvais pas obtenir une affectation avec mon mari. « Non, non, aucune chance. Vous n’irez pas au même endroit que votre mari. » Et nous sommes toujours heureux après trente-cinq ans de mariage, mais ce genre de... c’était intentionnel... « Non, non, non, non. Désolés. Bien dommage. » Mais ils auraient pu simplement dire, « Certainement, on peut transférer votre mari. » Il y a beaucoup de façons d’affecter des maris et des femmes ensemble. Mais il y avait ce genre de… « Non, vous n’êtes pas les bienvenues ici. Nous n’allons pas vous accommoder. » Mais c’est ce qu’il faut faire. Nous devons valoriser les femmes et c’est... c’est là-dessus qu’il faut travailler.
Se souvenir de l’essai des forces aériennes, c’est se rappeler que les femmes n’ont pas accédé facilement aux postes de personnel navigant.
La colonelle à la retraite Cheryl Lamerson a commencé sa carrière en tant que contrôleuse d’armes aériennes, en 1975, mais elle a ensuite joué un rôle clé dans les essais CREW, puis a pris les commandes de la direction de l’intégration des sexes et de l’équité en matière d’emploi des Forces canadiennes dans les années 1990. Pour elle, les essais SWINTER s’inscrivent dans une évolution.
Ce n’était pas une révolution. Non, il n’y a pas eu de changement soudain et drastique. C’était une évolution.
J’ai cette citation... je ne sais pas où je l’ai trouvée. La voici, j’adore cette citation : « Du point de vue de l’équité en matière d’emploi, les Forces canadiennes ont constamment fait preuve de léthargie, de réactivité et d’incrémentalisme en réaction aux puissants coups portés par la législation externe. »
Pour moi, c’est la description de cette évolution. La Commission royale sur le statut de la femme a dit, « Vous devriez faire ceci, et cela. » Et nous l’avons fait un peu, puis un peu plus et encore un peu plus. Et puis nous avons eu la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1978, puis SWINTER, et nous en avons fait un peu plus. En 1985, la charte des droits et libertés, et de 1987 à 1989, les essais CREW.
Je pense que la citation est juste, c’était léthargique. D’une certaine manière, je pense que ça devait l’être. Cette citation est plutôt négative. Elle n’utilise pas une terminologie gentille quand elle dit que c’était léthargique et incrémentaliste en réaction aux coups puissants. Mais c’est vrai. L’armée a évolué au fil du temps et je pense que les essais SWINTER ont été importants en tant qu’élément de cette évolution, évolution également importante pour toute la société canadienne.
Et cette évolution se poursuit.
Pour certaines personnes, c’est comme si même l’essai des forces aériennes était toujours en cours.
Erin :
Ah oui… vers la fin de l’essai, c’est ça?
Micky :
Non, l’essai n’a jamais pris fin *rires*! Il est encore en cours, non? Quelque part dans un coin du quartier général de la défense nationale *rires*!
Erin :
Oui, vous avez probablement raison *rires*! Je suppose qu’il y a une fin formelle aux choses... et il y a aussi...
Micky :
Il y a la magie noire au sous-sol, avec des trucs de sorcières.
*Erin et Micky rient ensemble, puis Micky soupire et arrête de rire*.
*Une musique optimiste et enjouée – batterie et du clavier électrique – commence, puis s’intensifie avec l’ajout de maracas et de guitare électrique.*
Cet épisode a été écrit et produit par moi, Camas Clowater-Eriksson.
Montage du scénario par Erin Gregory.
Musique par les Blue Dot Sessions.
Voix de Dennis Rice, Erin Gregory et Tom Everett.
L’extrait de film que vous avez entendu est tiré de Aircrew, de l’Office national du film du Canada.
Nous remercions la Direction de l’histoire et du patrimoine du ministère de la Défense nationale pour la numérisation et l’utilisation de leur Fonds de la Direction du personnel féminin.
Et un merci tout particulier aux femmes dont vous avez entendu les voix et les histoires dans cet épisode : Christine Krueger, Wendy Sewell, Robin Camken, Rosemary Park, Georgie Jones, Lise Bourgon, Karen McCrimmon, Cheryl Tardif, Mary Lou Ellan, Bev Beale, Micky Colton et Cheryl Lamerson, ainsi qu’à toutes les femmes qui ont contribué à la collection nationale du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada par leur histoire orale de l’essai des forces aériennes de SWINTER.
Ce projet a reçu le soutien de l’Institut de recherche Ingenium.
Merci d’avoir écouté Le point de bascule.
*La musique s’estompe.*
FIN
Intégration : les femmes dans l’Aviation canadienne
[Introduction]
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les possibilités pour les femmes dans l’Aviation royale canadienne sont devenues rares. Mais au milieu des années 1970, un certain nombre de rôles traditionnellement masculins se sont ouverts aux femmes.
Intégration est un documentaire audio en trois parties qui explore l’histoire des femmes dans l’ARC à travers les témoignages de trois femmes qui ont servi dans l’armée, de 1979 à 1990. Chacune a choisi un des métiers ouverts aux femmes dans les années 1970. Faites la connaissance d’Anke, technicienne en moteurs d’aéronef, de Suzanne, technicienne de cellules d’avion, et de Shelley, contrôleuse d’armes aériennes. Leurs histoires mettent en lumière les obstacles auxquels les femmes ont été confrontées dans leur carrière militaire, mais aussi leurs joies, leur engagement et leurs triomphes.
Transcriptions en français disponibles ci-dessous.
1re partie
Camas : L’Aviation canadienne a fait beaucoup de progrès en ce qui concerne l’emploi de femmes dans l’armée. Elle a été le premier corps militaire à créer une division féminine, pendant la Seconde Guerre mondiale, le premier à recruter des femmes dans les années d’après-guerre, et le premier à ouvrir tous les métiers et toutes les classifications d’officiers (et d’officières) aux femmes, en 1987.
L’égalité des sexes était réalisée. Mais l’était-elle vraiment?
Bien que les restrictions en matière d’emploi aient été éliminées, d’autres obstacles continuaient de nuire à la participation des femmes en aviation militaire. Les voix de trois femmes militaires qui ont intégré l’armée de l’air entre 1979 et 1990 éclairent certaines des complexités de l’intégration des femmes dans le secteur militaire. Leurs histoires révèlent les obstacles auxquels les femmes ont été confrontées dans leur carrière militaire, mais aussi leurs joies, leurs engagements et leurs triomphes.
Je m’appelle Camas Clowater-Eriksson, et vous écoutez Intégration, un documentaire audio en trois parties qui explore la vie de trois femmes dans l’Aviation canadienne.
1re partie : Elles ont servi pour qu’ils puissent voler
C’était en 1978. Pierre Elliott Trudeau était le premier ministre du Canada, le tube Stayin’ Alive des Bee Gees était au sommet des palmarès dans toute l’Amérique du Nord, et à Kitchener, en Ontario, Anke Berndt finissait son secondaire. Anke a trois sœurs. Elle a été la première à naître au Canada, ses parents ayant émigré de l’Allemagne en 1958. Enfant, elle aidait son père – un outilleur-ajusteur – à travailler sur ses voitures.
Anke : J’étais censée être le garçon, alors je l’aidais. J’ai pu éviter la vaisselle et d’autres tâches du genre en travaillant au garage avec mon père, à remplacer des bougies ou des parties de moteurs, ou à construire des choses, réparer des trucs… j’y ai passé une grande partie de mon enfance.
Camas : À la fin de ses études, Anke a commencé à réfléchir au prochain chapitre de sa vie.
Anke : Je me souviens d’avoir cherché du travail. J’avais eu quelques emplois : j’ai travaillé dans un restaurant, et j’ai été un lutin du Père Noël. Puis une annonce dans le journal a attiré mon attention. C’était écrit « beaucoup de voyages et vacances payées ». C’était le centre de recrutement. J’y suis allée, j’ai passé les tests, et dans le temps de le dire, on me rappelait. Tout s’est passé très rapidement. Ils m’ont dit, « lequel voulez-vous? », parce qu’ils nous donnaient trois choix après les tests, ils essayaient de nous orienter en quelque sorte. Les moteurs d’avion, c’est ça qui m’intéressait vraiment. Et j’ai eu raison.
Camas : Anke avait 17 ans, et elle allait devenir technicienne de moteurs d’avion dans l’Aviation canadienne.
Un an plus tard, dans une petite ville du Québec, Suzanne réfléchissait également à son avenir.
Suzanne : Je m’appelle Suzanne Lessard. Je suis née à Montmagny, au Québec, une petite ville où vivent environ 11 000 personnes. Pour une raison que je ne peux pas expliquer, je regardais toujours vers le ciel, et j’aime les avions, surtout les avions de chasse, ils ont une ligne très fine. Quoi qu’il en soit, pour voir si le domaine militaire me conviendrait, j’ai joint les cadets de l’air. J’ai beaucoup aimé ça, et c’est ce qui a fait pencher la balance en faveur de ce choix. Je voulais poursuivre mes études au niveau universitaire pour devenir ingénieure. Mais ça n’a pas été possible parce que je ne parlais pas anglais à l’époque, et le programme d’ingénierie en conception d’avions était seulement offert en anglais.
Camas : En 1979, elle a présenté une demande pour entrer dans l’Aviation au niveau d’officier pour ensuite devenir ingénieure en aérospatiale, mais elle n’a pas été acceptée. Refusant de renoncer, un an plus tard, en 1980, elle a tenté sa chance de nouveau. Mais cette fois, elle a postulé en tant que technicienne de cellules d’aéronefs, un métier de sous-officier. Elle a été acceptée. Suzanne avait 20 ans.
En tant que techniciennes de moteurs et de cellules d’avion, Anke et Suzanne étaient membres du personnel au sol, c’est-à-dire ceux et celles chargés de l’entretien des avions, qui veillent à ce que les appareils s’envolent en toute sécurité. Anke avait le titre de technicienne de moteurs d’avion, mais elle était en fait mécanicienne d’avion. Mais passer de la réparation de voitures avec son père à la réparation d’avions était un grand changement.
Anke : C’était un monde nouveau pour moi, et j’y ai mordu à belles dents. C’était tellement génial, et complètement différent.
Camas : Après avoir suivi son instruction élémentaire à la base des Forces canadiennes de Cornwallis, en Nouvelle-Écosse, et complété sa technique en moteurs d’avions à la base de Borden, en Ontario, Anke a intégré la base de Trenton, toujours en Ontario, en 1979. C’est là qu’elle a eu son premier emploi, en maintenance de moteurs de Boeing 707.
Anke : Ah oui. Je me souviens avoir dit : « wow, c’est un gros avion! » Parce que, quand on est dedans, on y monte, on s’envole et on n’y pense pas vraiment. Mais quand on va en dessous, et qu’on enfile la combinaison blanche – grise en fait –, et qu’on en fait le tour, on se dit : « wow, il est vraiment gros! » J’ai été impressionnée. Je me suis dit : « et moi, je vais travailler sur ça! » Ma première journée, ils l’ont tiré à l’intérieur et ont retiré les capots, de grosses pièces, énormes, et assez lourdes, il faut être deux pour les retirer. Je me souviens que nous les avons tous enlevés, et ils étaient tous couverts de suie noire. Il fallait les retirer, puis les laver – nous avions l’air de ramoneurs!
Personne dirigeant l’entrevue : Vous avez aimé ce travail?
Anke : Oh oui. Je me fichais de la saleté, j’ai tout aimé de ce travail.
Camas : En tant que francophone, Suzanne a suivi une formation de base et des cours d’anglais à Saint-Jean, au Québec. Comme Anke, elle a suivi son cours technique à la base de Borden, mais au lieu d’apprendre à entretenir des moteurs, l’apprentie technicienne de cellules a plutôt appris à réparer essentiellement tout le reste. Sa spécialité était les avions à réaction.
Suzanne : Les techniciens de cellules s’occupaient du train d’atterrissage, des commandes de vol et du système hydraulique. C’est à peu près l’avion en entier, moins le moteur et les composants électroniques. Il y avait donc beaucoup de choses à apprendre.
Camas : Pour Suzanne, le personnel au sol avait l’avantage d’être… au sol. Si elle aimait beaucoup entretenir les avions à réaction, elle n’aimait pas beaucoup être à l’intérieur de ces appareils.
Suzanne : Non, je n’aime pas beaucoup prendre l’avion. J’aime voyager, mais ce n’est pas par envie de prendre l’avion. Je participais parfois à des essais au point fixe, sur le siège arrière. Je ne suis pas claustrophobe, mais la cabine de pilotage est un espace très étroit. J’ai surtout travaillé sur des avions à réaction, et oui, il n’y avait pas beaucoup de place. Je n’ai pas du tout aimé ce côté du travail.
Camas : Le personnel au sol joue un rôle essentiel dans l’Aviation canadienne, mais il n’attire pas beaucoup l’attention du public. Quand on demande aux gens de nommer des emplois dans l’armée de l’air, il y a de bonnes chances qu’ils vous répondent « pilote » ou « navigateur », soit le personnel dans les avions, dans le ciel. Le personnel navigant, les emplois prestigieux. Mais quand on y pense, sans le personnel au sol, il n’y aurait pas beaucoup d’avions dans le ciel. Comme le dit Suzanne :
Suzanne : Quand on parle d’avions, d’appareils, quel qu’en soit le type, les gens pensent au personnel navigant. « Les équipes de maintenance? Pardon? Quelles équipes de maintenance? C’est quoi, la maintenance? » C’est que les avions ne pourraient pas voler si on ne les maintenait pas. Peu importe la compétence d’un pilote, si l’avion ne peut pas démarrer, ça ne donne pas grand-chose.
Camas : En écoutant Anke et Suzanne parler de leur carrière, ça nous rappelle qu’une armée de l’air n’est pas seulement composée de pilotes. Ça nous rappelle aussi que, parfois, les équipes au sol comptent des femmes.
Les femmes ont une longue histoire dans l’aviation militaire au Canada. Pendant la Première Guerre mondiale, plus de 1 200 femmes civiles ont travaillé dans les aérodromes du sud de l’Ontario, dans le cadre du programme d’entraînement de la Royal Air Force britannique. Certaines travaillaient comme chauffeuses ou employées de bureau, mais près de 600 d’entre elles étaient mécaniciennes d’avions.
Et pendant la Deuxième Guerre mondiale, elles étaient plus de 17 000 à la division féminine de l’Aviation royale du Canada. Elles occupaient toute une variété de postes traditionnellement masculins, comme mécaniciennes d’avions, mais aussi comme soudeuses, techniciennes de cellules et radaristes. Sur les 102 métiers qu’il y avait à l’époque, 69 étaient ouverts aux femmes. Mais la division féminine avait été mise sur pied en tant que groupe temporaire en temps de guerre, afin de libérer les hommes pour qu’ils puissent aller au combat. La devise de la division féminine était « elles servent pour qu’ils puissent voler ». La fin de la guerre a signifié la fin de cette division, et la dernière aviatrice a été démobilisée en 1946.
Les récits d’Anke et de Suzanne nous rappellent que la participation des femmes dans l’Aviation canadienne ne s’est pas terminée avec le démantèlement de la division des femmes. Pourtant, ce n’est qu’en 1971 que les femmes sont revenues aux forces aériennes, en tant que mécaniciennes et techniciennes de cellules. Mais pourquoi a-t-il fallu 25 ans avant ce retour? Et comment cela s’est-il produit?
Voix masculine : Grâce aux femmes!
M. Macdonald : Je pense que la façon la plus simple d’aborder le sujet de ce soir est de recueillir quelques réactions personnelles. Je suis entouré ici de plusieurs jolies filles, et chacune pourra vous en dire bien plus sur les femmes d’après-guerre qu’un pauvre homme comme moi ne saurait le faire. Commençons donc par vous, Phillips. Vous êtes présentement dans l’Aviation canadienne, mais qu’en sera-t-il après la guerre?
A. Phillips : Eh bien, M. Macdonald, quand je serai démobilisée, j’espère me lancer dans le domaine du travail social pour une période de quatre ou cinq ans, puis me marier et avoir dix enfants et rester à la maison pour les élever.
Voix masculine : On décerne des médailles à des gens comme vous, Phillips.
Camas : Ce que vous venez d’entendre est une émission de la CBC du 22 mars 1945. Et bien que vous puissiez détecter un soupçon de sarcasme dans la voix de l’aviatrice principale Alex Phillips, ses propos reflétaient les options offertes aux femmes en 1945, alors qu’on les encourageait à reprendre leurs rôles domestiques d’avant la guerre. Après la guerre, le gouvernement canadien a réduit le financement des services de garde d’enfants, refusé aux femmes mariées des exonérations fiscales et incité les entreprises à embaucher des hommes revenus du combat plutôt que des femmes, autant d’obstacles qui ont nui aux femmes qui souhaitaient aller travailler hors du foyer. Pourtant, beaucoup d’entre elles l’ont fait. En fait, en 1960, la participation des femmes canadiennes à la main-d’œuvre civile dépassait celle des temps de guerre.
Ce n’était toutefois pas le cas dans l’armée. Au cours des cinq années qui ont suivi la guerre, la taille de l’armée canadienne a diminué considérablement, et les femmes n’étaient employées que dans la profession médicale. Mais, alors que les tensions de la guerre froide s’intensifiaient, les circonstances ont changé. En 1951, le Canada et les États-Unis ont convenu d’établir un réseau de stations radars pour défendre l’espace aérien nord-américain contre une éventuelle attaque soviétique. Or, les forces aériennes avaient besoin de personnel pour doter ces stations. Mais comme le Canada était également impliqué dans la guerre de Corée, l’armée devait regarder au-delà des hommes pour satisfaire aux engagements du Canada en matière de défense. C’est pourquoi l’Aviation canadienne a décidé de recruter des femmes.
Près de 2 600 femmes se sont enrôlées cette année-là. Nombre d’entre elles ont été recrutées pour occuper un nouveau poste essentiel au bon fonctionnement du système de défense radar : le contrôle des opérations aériennes. Les « Fighter Cops » comme on les appelait (une contraction de Fighter Control Operators) surveillaient l’espace aérien canadien à la recherche d’avions, surveillaient les menaces potentielles et dirigeaient la trajectoire des avions. L’historienne Karen Davis a fait valoir que cette mesure a été le « premier de nombreux changements » qui allaient « réduire l’écart » dans les conditions de service des hommes et des femmes dans l’armée canadienne.
Le court métrage Frontiers to Guard de l’Office national du film (1956) a célébré le nouveau statut des femmes dans les forces aériennes :
Faites connaissance avec l’aviatrice principale Harrington, de l’Aviation royale du Canada. Elaine Harrington est l’une des quelque trois mille femmes qui ont servi au sein de l’ARC. Elle a travaillé aux côtés d’hommes de l’armée de l’air, a reçu la même rémunération, a eu droit aux mêmes privilèges, et a assumé les mêmes responsabilités. Mme Harrington était contrôleuse d’opérations aériennes dans l’est du Canada. Elle s’est peut-être intéressée à ce poste parce que son frère était pilote de chasse en Allemagne.
Camas : Pourtant, en réalité, les femmes n’étaient pas traitées de façon aussi équitable que le film peut le laisser croire. D’abord, l’engagement initial d’une femme dans les forces aériennes était de trois ans, par rapport à cinq pour les hommes. Aussi, les femmes étaient démobilisées si elles tombaient enceintes. Et jusqu’en 1953, elles l’étaient également si elles se mariaient. Après cela, elles ne pouvaient se marier que si ça ne nuisait pas à leur travail. La formation était différente elle aussi. Les hommes recevaient une formation axée sur les armes et la défense terrestre et participaient à des exercices physiques, tandis que les femmes devaient suivre des cours « de moralité » et « d’hygiène personnelle ». Ces politiques étaient en phase avec la perception de la place des hommes et des femmes dans la société canadienne dans les années 1950. Dans un tel contexte, la formation hautement technique, les occasions de voyager et les libertés sociales qui accompagnent le fait d’être loin de la maison faisaient de l’Aviation canadienne une option alléchante pour les femmes de l’époque. Et beaucoup n’ont pu y résister. En 1953, le nombre de femmes dans l’armée de l’air a atteint un sommet de 3 133, et beaucoup d’entre elles étaient des contrôleuses d’opérations aériennes.
Pourtant, cette même année, l’Aviation canadienne a cessé de recruter activement des femmes et par conséquent, au cours des dix années suivantes, le nombre de femmes a progressivement diminué. En 1962, les forces aériennes ont adopté une politique selon laquelle il n’y aurait pas plus de 1 000 femmes en service à tout moment. Puis, en 1963, le nombre de postes ouverts aux femmes est passé de 63 à 13. La raison de cette diminution est plutôt surprenante.
Allan English, historien à l’Université Queen’s, a étudié cette période de l’histoire militaire canadienne. Ses recherches révèlent que l’Aviation canadienne aurait eu du mal à retenir les femmes dans les années 1950. Une grande partie du problème provenait du fait que l’armée de l’air recrutait du personnel pour doter ses stations radars avant même que les installations ne soient prêtes à recevoir des effectifs. C’était particulièrement vrai à la station Edgar, au nord de Toronto, où, en 1953, 80 % du personnel opérationnel étaient des femmes.
D’expliquer M. English :
Allan : Ils étaient tellement pressés de mettre en place ce système de défense aérienne qu’ils ont affecté du personnel avant que les installations soient terminées. Ainsi donc, les locaux étaient surpeuplés, les gens tombaient malades, la nourriture n’était pas très bonne, et il n’y avait aucun espace pour les loisirs et temps libres. Les gens n’étaient pas heureux. En fait, dans son rapport au quartier général, le commandant a fait mention de conditions de vie « intolérables ».
Camas : Mais les femmes militaires avaient une porte de sortie. Si une femme déclarait son intention de se marier, le règlement était clair – elle devait quitter l’armée.
Allan : Ils avaient suivi toute cette formation technique, avaient cru à toute cette propagande de recrutement qui faisait miroiter la merveilleuse vie qui les attendait dans l’armée. Mais ils ont abouti dans un endroit terrible, où le radar ne fonctionnait même pas. Ainsi, tout le monde, hommes et femmes, s’affairaient à laver les planchers, à faire la vaisselle, parce qu’il n’y avait rien d’autre à faire. Difficile de les blâmer de vouloir quitter le navire.
Camas : Plus de la moitié des femmes militaires de la station Edgar ont demandé de partir pour raison de mariage au cours de leur première année de service. Ainsi, comme la formation technique durait en moyenne 18 mois, et que la durée du mandat était de 36 mois, les femmes ne restaient en poste qu’un an et demi. Embaucher des femmes était devenu une option coûteuse pour les forces aériennes. Pourtant, on avait besoin d’elles, jusqu’à ce que de nouvelles technologies permettent aux ordinateurs d’effectuer une grande partie du travail effectué par les femmes dans les stations radars d’un bout à l’autre du pays.
Puis, en juin 1964, le chef d’état-major des forces aériennes a demandé au ministère du Travail la permission de retirer complètement les femmes de l’armée de l’air. Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car le mois suivant, le ministre de la Défense nationale a suspendu la décision du ministre du Travail, exigeant qu’une étude adéquate soit réalisée pour examiner la question de l’emploi de femmes militaires. Cette décision s’explique peut-être par la participation accrue des femmes sur le marché du travail au Canada, mais il est plus probable qu’elle ait été influencée par un plan visant à unifier les forces terrestres, marines et aériennes en un seul service. Or, la principale question de l’étude a été la suivante : les femmes devraient-elles avoir leur place dans un corps militaire unifié?
Publié en 1965, le rapport d’étude a conclu que le « sexe biologique » en soi ne constitue plus un motif suffisant pour exclure les femmes des services armés. Le rapport indiquait en outre qu’une telle exclusion dérogerait aux tendances économiques et sociales qui se dessinaient dans la population active canadienne. La demande de l’Aviation de diminuer progressivement le personnel féminin a ainsi été rejetée. Non seulement le gouvernement a refusé la requête, mais à l’été 1966, le ministre de la Défense nationale a annoncé que les femmes militaires feraient partie de façon permanente des futures Forces canadiennes « régulières » unifiées. Pour la première fois dans l’histoire du Canada, les femmes pouvaient poursuivre une carrière dans l’armée sans craindre de se faire éventuellement montrer la porte.
Les années 1950 ont été une époque sans précédent de l’histoire des femmes dans les forces aériennes. Jamais en temps de paix les femmes n’avaient servi en aussi grand nombre, et dans des rôles techniques non traditionnels. Mais après l’annonce du ministère de la Défense nationale de 1966, l’armée a considérablement réduit les possibilités d’emploi offertes aux femmes. Le nombre de femmes pouvant être recrutées dans les forces armées a plafonné à 1 500, et les postes auxquels elles pouvaient accéder exigeaient peu de qualifications et de formation. Il a fallu encore cinq ans avant que l’armée ne réexamine sa position et permette aux femmes de servir de nouveau dans des rôles non traditionnels, p. ex. à titre de techniciennes de moteurs ou de cellules d’avions. Ce récit fera l’objet de la deuxième partie.
Cet épisode a été écrit et produit par moi-même, Camas Clowater-Eriksson. Je tiens à remercier Anke Berndt, Suzanne Lessard et Allan English. Ingénierie sonore : Richard Able. Scénaristes : Susan Whitney, Norman Hillmer et Ann Eriksson. L’extrait radio que vous avez entendu provient des archives de la CBC, et le clip vidéo est tiré du court métrage Frontiers to Guard de l’Office national du film. Le thème musical s’intitule Hedgeliner, du groupe Blue Dot Sessions. Les autres extraits musicaux entendus étaient Stayin’ Alive des Bee Gees, Comin’ in on a Wing and a Prayer des Song Spinners, et Campfire Rounds, Walking Shoes, Purple Light et Li Fonte des Blue Dot Sessions, de ma collection personnelle.
Ce projet a reçu le soutien d’Ingenium et du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, et un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et de l’initiative de bourses Mobilisation des idées nouvelles en matière de défense et de sécurité du ministère de la Défense nationale.
Merci pour votre écoute et n’oubliez pas de nous revenir pour les deuxième et troisième parties d’Intégration.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
2e partie
Camas : Je m’appelle Camas Clowater-Eriksson, et vous écoutez Intégration, un documentaire audio en trois parties qui explore la vie de trois femmes dans l’Aviation canadienne.
2e partie : Ce sont les petites choses…
Shelley n’est pas étrangère à la discrimination en milieu de travail. Elle a travaillé dans le secteur bancaire à Ottawa, en Ontario, et s’est fait refuser un poste de gestionnaire. On lui a dit qu’elle n’avait pas les qualités de leader requises pour le poste, en sous-entendant qu’elle ne les aurait jamais. Elle avait 25 ans. Elle a donc décidé de s’engager dans l’armée.
Shelley : Quand on m’a dit que j’avais atteint le sommet de ma carrière à 25 ans et plafonné sur le plan salarial (donc plus d’augmentations possibles), j’ai décidé qu’il était temps de chercher ailleurs. J’avais un ami à l’époque qui était dans l’armée, et il me parlait beaucoup de son travail, et ça m’a semblé être quelque chose que j’étais capable de faire.
Camas : Shelley a décidé d’offrir ses services en tant qu’officière au poste de contrôleur des armes aériennes, l’équivalent moderne des « Fighter Cops » (contrôleur des opérations aériennes) des années 1950.
Shelley : J’étais au centre de recrutement à l’été 1989, et en février 1990, j’ai reçu un appel du centre me demandant si j’étais toujours intéressée à remplir un poste dans l’armée. On me proposait mon premier choix, soit le poste de contrôleur d’armes aériennes. Si j’étais intéressée, je devais me présenter à l’école de formation de base des officiers à Chilliwack, en Colombie-Britannique, dès le 1er avril 1990.
Camas : Quelques mois seulement avant que Shelley mette les pieds dans le bureau de recrutement d’Ottawa, l’armée canadienne avait reçu la directive de s’occuper de son problème de discrimination. Le 20 février 1989, le Tribunal canadien des droits de la personne avait ordonné à l’armée d’« intégrer pleinement » les femmes dans tous les métiers et professions dans un délai de dix ans. En réaction à cette demande, l’armée a supprimé tous les obstacles juridiques qui nuisaient à l’embauche des femmes. À l’été 1989, les femmes comme Shelley étaient libres de servir dans tous les postes, sauf dans les sous-marins en raison d’installations inadéquates.
Ces événements de 1989 ont été le point culminant d’une longue bataille juridique entre l’armée et le gouvernement canadien, qui avait commencé dans les années qui avaient suivi l’annonce faite en 1966 par le ministère de la Défense nationale de faire entrer les femmes dans l’armée canadienne en tant que membres permanentes. Bien que ces circonstances n’aient pas influencé la décision de Shelley d’entrer dans les forces aériennes, les années 1966 à 1989 ont certainement façonné l’armée dans laquelle elle s’apprêtait à faire carrière.
La première partie portait sur le service exceptionnel des femmes dans l’Aviation canadienne au cours des années 1950 et sur les événements qui ont mené à la décision de la Défense nationale de 1966. Mais que s’est-il passé ensuite? Et pourquoi l’armée a-t-elle résisté aux pressions visant à supprimer les restrictions à l’embauche des femmes entre 1966 et 1989? Et aussi, comment était l’environnement militaire lorsqu’Anke et Suzanne ont intégré l’armée pendant cette période de transition? Un peu d’histoire avant de répondre à ces questions…
Après ce jalon de 1966, il n’a pas fallu longtemps pour que la question du statut des femmes dans l’armée soit à nouveau portée à l’attention du public.
En 1967, la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada a été mise sur pied. Elle était présidée par Florence Bird...
Journaliste masculin : Pourquoi une commission royale sur la condition féminine? Les femmes n’ont-elles pas maintenant un assez bon statut au Canada, Madame Bird?
Florence Bird : Eh bien, je pense que leur condition est assez bonne, mais les femmes ne comprennent pas encore clairement ce qu’est ce statut. Aussi, beaucoup de femmes qui ont un emploi ont le sentiment de faire l’objet de discrimination parce qu’elles ne sont pas aussi bien payées que les hommes, ou parce qu’elles n’obtiennent pas de promotions alors qu’elles travaillent tout aussi fort – et vous savez, parfois plus – que les hommes qui eux, progressent dans la hiérarchie.
Camas : En 1970, la Commission royale a formulé 167 recommandations, dont six qui s’adressaient à l’armée canadienne. La Commission a recommandé que tous les postes et classifications de sous-officiers soient ouverts aux femmes, que les femmes puissent servir lorsqu’elles sont enceintes ou mariées, qu’elles soient autorisées à fréquenter les collèges militaires et que les régimes de retraite et la durée de service soient les mêmes pour les hommes et les femmes. L’armée a ainsi apporté des changements à ses politiques tout au long des années 1970. Elle a ouvert aux femmes une variété de métiers et de classifications, dont ceux pour lesquels Anke, Suzanne et Shelley allaient être formées : la technique des moteurs, la technique des cellules d’avions et le contrôle des armes aériennes. L’armée a supprimé le plafond qui limitait l’embauche à 1 500 femmes. Elle a aboli les restrictions imposées aux femmes mariées ou enceintes, et a rendu le régime de retraite égal pour les hommes et les femmes.
Pourtant, le secteur militaire continuait de limiter les possibilités offertes aux femmes. Les femmes ne pouvaient toujours pas accéder aux postes de combattants ou de paracombattants ni à ceux en mer ou en régions éloignées. Dans les forces aériennes, les femmes ne pouvaient toujours pas s’entraîner en tant que personnel navigant, y compris pour devenir pilote. L’armée imposait également de nombreuses restrictions sur les types de déploiement auxquels les femmes pouvaient participer, prétextant le manque d’installations « nécessaires aux femmes ».
L’année 1978 a marqué un nouveau jalon pour l’emploi des femmes au Canada, y compris dans l’armée canadienne. Cette année-là, la Loi canadienne sur les droits de la personne a interdit toute discrimination en matière d’emploi qui soit fondée sur « la race, les origines nationales ou ethniques, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’état civil, la situation familiale, l’état de personne graciée ou un handicap », sauf s’il pouvait être prouvé qu’une exclusion pour de tels motifs était en lien avec une exigence du poste. La loi a également obligé l’armée à justifier ses politiques, et les corps militaires ont ainsi passé les dix années suivantes à essayer de prouver que l’exclusion des femmes de certains postes était motivée par des raisons opérationnelles.
Une des stratégies a été les essais « SWINTER » (Service Women in Non-traditional Environments and Roles), un programme d’emploi expérimental de femmes militaires dans des contextes et rôles non traditionnels. Ces essais ont eu lieu de 1979 à 1985, et ont cherché à étudier la performance des femmes dans des unités paracombattantes, en régions semi-éloignées et sur les navires. Selon Karen Davis, ces essais étaient « destinés à soutenir la résistance » à l’élargissement du rôle des femmes dans les forces armées. S’il s’avérait que les femmes accomplissaient bien leur travail, d’autres facteurs d’évaluation étaient alors pris en compte, tels que les répercussions sociales et culturelles de leur présence dans les unités. Mais qu’est-ce qui se cachait derrière cette résistance de longue durée? Et les attitudes qui en étaient la cause avaient-elles disparu?
Jusqu’à l’implication du Canada dans la guerre en Afghanistan, au début des années 2000, la culture dominante à laquelle souscrivaient les hauts responsables de l’armée canadienne était une « culture traditionaliste ». À nouveau, Allan English :
Allan : Cela prenait appui sur l’idée, selon certains auteurs, que l’armée était séparée de la société civile et qu’elle avait une vision masculine héroïque de la guerre.
Camas : Les traditionalistes étaient généralement opposés à ce que les femmes entrent dans les forces armées en grand nombre parce qu’elles représentaient une menace au statu quo masculin et étaient considérées comme un obstacle à la capacité de l’armée d’être efficace sur le plan opérationnel. Bien que les membres de l’armée canadienne ne souscrivaient pas tous à ces convictions, l’attitude traditionaliste a influencé la façon dont les forces militaires ont réagi aux lois comme celle sur les droits de la personne, et la façon dont elles ont établi des politiques visant la gent féminine.
L’emploi des femmes était également considéré comme un fardeau administratif. Les administrateurs ne voyaient pas du tout d’un bon œil le travail supplémentaire que représentait la transformation d’un système qui avait été établi autour des besoins des hommes. L’embauche de femmes signifiait des uniformes différents, des salles de bain et dortoirs séparés ainsi que de nouveaux protocoles pour composer avec des réalités comme des congés de maternité. Tout au long des années 1970 et 1980, les traditionalistes militaires ont dû se ranger derrière la demande d’introduction des femmes dans des rôles non traditionnels en temps de paix, une « expérience sociale » imposée par le gouvernement. Toutefois, avec le temps, la législation gouvernementale a rendu les choses de plus en plus difficiles pour les traditionalistes qui s’opposaient aux politiques visant à améliorer le statut des femmes dans l’armée. Mais cela ne veut pas dire que les attitudes avaient changé.
Sur le terrain, Anke et Suzanne étaient d’avis qu’elles avaient des relations de travail généralement positives avec les hommes qu’elles côtoyaient. En 1979, Anke travaillait à Boeing Maintenance à la base de Trenton et pour la première fois depuis sa formation initiale, elle avait une chambre à elle toute seule. Cette année-là, elle a obtenu son premier prêt à la coopérative de crédit, a fait l’acquisition de sa première chaîne stéréo et a acheté I am, le plus récent album du groupe Earth, Wind and Fire qu’elle faisait jouer en boucle dans sa chambre. Sa pièce préférée était Boogie Wonderland. En tant que technicienne de moteurs d’avion, Anke se souvient qu’il y avait un réel sens de la camaraderie entre elle et ses collègues techniciens masculins.
Anke : À part quelques attentes, la plupart des gars appréciaient vraiment quelqu’un qui travaillait aussi fort qu’eux. Ils semblaient toujours heureux de travailler avec moi et les autres femmes, ils devaient travailler avec tout le monde. Ils aimaient faire les bouffons – il y en avait toujours un pour lancer une plaisanterie ridicule. Nos tâches étaient parfois détestables, comme balayer le plancher des hangars. Nous formions alors une grande ligne et bavardions tranquillement en avançant, et arrivions ainsi à accomplir la tâche ensemble.
Camas : Même lorsqu’elle était sergente et supervisait un atelier de composants où travaillaient neuf hommes à Bagotville, au Québec, elle n’a parlé d’aucun accroc.
Anke : J’avais deux caporaux-chefs, et ils étaient généralement neuf autour de moi. Un partait, un autre arrivait, toujours des hommes. Il n’y avait aucune femme dans mon atelier. Et tous enduraient mon français. J’ai vraiment aimé ce travail. J’étais contente d’être là.
Camas : Suzanne a passé les années 1980 à la base de Cold Lake à travailler sur des avions de chasse, et les années 1990 à la base de Trenton à travailler sur des avions de transport. Elle a préféré son travail à Cold Lake.
Suzanne : À Cold Lake, on s’occupait des avions de chasse, donc tout allait vite. À Trenton, en transport aérien, lorsque ces avions décollaient le matin, on ne les revoyait plus pendant une semaine, tandis que les avions de chasse pouvaient décoller trois fois par jour. Je préférais ce rythme rapide.
Camas : Suzanne se souvient d’avoir ressenti une certaine négativité chez son premier superviseur à Cold Lake, mais pas de la part de ses collègues techniciens.
Suzanne : Quand je suis arrivée à Cold Lake, étant francophone, je parlais un peu anglais mais j’avais besoin de m’améliorer. Mon superviseur immédiat n’a pas apprécié mes difficultés. Un jour sur deux, il me disait « et puis, quand retournez-vous à Bagotville? » et bla, bla, bla. Il n’aimait pas que je fasse partie de l’équipage. Il n’était pas content, mais le reste des gars l’étaient. Il n’y avait pas de femmes dans l’équipe, j’étais la première. Comme je l’ai dit, les hommes n’avaient pas de problème avec ça. Mais lui… ouais, il n’était pas content. J’ai eu beaucoup de chance de tomber sur ces gens-là, ils ne m’ont jamais fait sentir inférieure ou quoi que ce soit. Ce n’était pas la même chose pour d’autres, mais en ce qui me concerne, c’était bien.
Camas : Mais les deux femmes militaires n’ont jamais nié qu’il y avait des problèmes systémiques, surtout en ce qui concernait les promotions. Suzanne était certaine de cela. Elle estime qu’elle devait en faire plus que les hommes pour être remarquée et reconnue par ses supérieurs.
Suzanne : Je ne dis pas que je n’ai pas eu de problèmes. Je sais que des promotions m’ont été refusées parce que… « vous êtes une femme ».
Camas : Anke, en revanche, est moins sûre que sa lente progression dans les échelons a été en raison de son sexe.
Anke : Je me souviens que pendant quelques années, j’ai eu l’impression que c’était parce que j’étais une femme. Mais je n’en suis plus sûre maintenant que j’y repense. Mais je connais beaucoup d’hommes qui sont restés caporaux et caporaux-chefs, vous savez, alors peut-être que ce n’était pas parce que j’étais une femme.
Camas : Anke a travaillé à Trenton pendant 8 ans. Pendant ce temps, elle est passée par plusieurs unités : pendant quatre ans, elle a travaillé à Boeing Maintenance, ensuite elle est partie aux réparations d’urgence sur des moteurs, puis elle est allée aux grands entretiens de moteurs (compartiment moteur).
Anke : J’ai été caporale pendant tout ce temps – on devient automatiquement caporal après quatre ans. Je suis donc devenue caporale et je le suis restée malgré mes déplacements. Et c’était ça le problème. Je ne pense pas que c’est parce que j’étais une femme, je pense que c’est arrivé à beaucoup de gens. Tout le monde se faisait déplacer. Mais chaque fois qu’on vous déplace, c’est un peu comme s’il fallait tout recommencer. Je n’ai eu aucune chance d’être promue à Trenton. Ce n’est pas la fin du monde, mais ça aurait été bien, vous savez. C’est là que je pense que les hommes avaient un petit avantage : les déplacements avaient tendance à moins leur nuire. Il y avait des promotions, pas beaucoup, mais il y en avait.
Camas : À l’époque où Anke était en service, les promotions étaient déterminées par un examen du rendement qu’on appelait RAP, pour rapport d’appréciation du personnel. C’était un système basé sur des points, mais l’armée ne cessait de changer les critères d’attribution de ces points.
Anke : On nous évaluait chaque année. C’était ridicule… Juste avant de recevoir son RAP – le rapport qu’on nous remettait – c’est à ce moment-là que tout le monde commençait à travailler très fort, des choses comme ça. Mais il fallait travailler fort toute l’année. Ils changeaient toujours tout. Le système pour déterminer les promotions a changé si souvent. Ils passaient d’une façon de faire à une autre, on ne savait plus... Si votre RAP ne s’améliorait pas, ou, vous savez, s’il restait le même mais que vous pensiez mériter mieux, vous pouviez tenter de l’améliorer si vous le souhaitiez. Mais il était très difficile de prouver quoi que ce soit puisque le système changeait continuellement. C’était comme essayer de comparer des pommes à des oranges. Je n’ai pas eu de chance à cet égard, mais j’étais heureuse de faire mon travail.
Camas : La lenteur de la progression de la carrière d’Anke est peut-être due au système incohérent des RAP. Il a certainement rendu difficile la rectification des évaluations qu’elle trouvait injustes. Dans ses recherches, Allan English a trouvé des exemples de militaires traditionalistes qui utilisaient le système de promotion pour résister au changement.
Allan : Je veux dire, ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que les promotions étaient très compétitives et qu’il suffisait de quelques points pour être exclu. Il suffisait de les faire échouer dans trois ou quatre catégories, et le rapport était foutu. Ce qui se passe, c’est que chaque unité passe en revue tous les rapports, les trie et les envoie au niveau supérieur où ils sont triés de nouveau. Tout le monde les examine, mais les chiffres restent les mêmes. Ainsi, on pouvait lire « La caporale Sarah Jones est une très bonne technicienne et travaille très fort, mais sa note est de 85/100, tandis que le caporal John Smith est un excellent technicien et travaille très fort, et sa note est de 87/100 ». Ce genre de choses.
Les supérieurs connaissaient tous ces chiffres. Ils savaient ce qu’il fallait faire pour promouvoir ou non, ils n’avaient qu’à soustraire quelques points. Rien de trop évident, rien d’irréparable, pas de « je refuse de promouvoir des femmes », rien de tout ça – de petites choses…
Camas : Malgré cela, les années 1980 ont vu d’importants progrès pour les femmes dans l’armée de l’air. En 1986, les résultats des essais SWINTER ont contribué à une nouvelle politique en matière d’emploi qui a officiellement ouvert la voie à de nombreux postes auparavant réservés aux hommes. Les femmes étaient désormais libres de recevoir une formation pour devenir pilotes, navigatrices aériennes ou mécaniciennes de bord. Toutefois, l’armée prétendait qu’il fallait continuer d’interdire aux femmes de servir dans des unités combattantes ou paracombattantes.
C’est en 1987 que les forces aériennes ont changé d’avis. S’il fallait consacrer du temps et de l’argent à la formation du personnel, il fallait pouvoir affecter ce dernier n’importe où. L’armée de l’air a donc ouvert tous les métiers et toutes les classifications d’officiers aux femmes. Deux ans plus tard, après la décision du Tribunal canadien des droits de la personne, tous les autres corps militaires ont emboîté le pas.
À la fin des années 1980, les carrières d’Anke et de Suzanne étaient bien établies tandis que celle de Shelley ne faisait que commencer. Mais comme le montrent clairement les expériences racontées par Anke et Suzanne, les préjugés n’ont pas nécessairement disparu avec l’élimination des politiques restrictives qui limitaient les femmes. Ces préjugés ont entraîné des barrières systémiques et culturelles qui étaient beaucoup plus difficiles à faire disparaître par voie législative. Un des obstacles était les traditionalistes qui exprimaient leur désapprobation envers les femmes par le biais du système de promotion. Une autre embûche était le problème du harcèlement sexuel. Ce sujet fera l’objet de la troisième partie.
Cet épisode a été écrit et produit par moi-même, Camas Clowater-Eriksson. Je tiens à remercier Anke Berndt, Suzanne Lessard, Shelley Colter et Allan English. Ingénierie sonore : Richard Able. Scénaristes : Susan Whitney, Norman Hillmer et Ann Eriksson. L’extrait radio provient des archives de la CBC. Le thème musical s’intitule Hedgeliner, du groupe Blue Dot Sessions. Les autres pièces entendues sont Boogie Wonderland d’Earth, Wind and Fire, Every Breath You Take de The Police et Softly Villainous et Lamprey des Blue Dot Sessions, de ma collection personnelle ainsi que de celles d’Anke Berndt et de Suzanne Lessard.
Ce projet a reçu le soutien d’Ingenium et du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, et un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et de l’initiative de bourses Mobilisation des idées nouvelles en matière de défense et de sécurité du ministère de la Défense nationale. Merci pour votre écoute et n’oubliez pas de nous revenir pour la troisième partie d’Intégration.
3e partie
Camas : Je m’appelle Camas Clowater-Eriksson, et vous écoutez le dernier épisode d’Intégration, un documentaire audio en trois parties qui explore la vie de trois femmes dans l’Aviation canadienne.
La première partie portait sur le service exceptionnel des femmes dans l’Aviation canadienne au cours des années 1950 et sur les événements qui ont mené à la décision de la Défense nationale de 1966 de faire entrer les femmes dans l’armée canadienne en tant que membres permanentes. La deuxième partie décrivait la réticence de l’armée canadienne à recruter des femmes au cours des décennies qui ont précédé la décision du Tribunal canadien des droits de la personne, en 1989, d’ordonner à l’armée d’« intégrer pleinement » les femmes dans un délai de dix ans.
Mais comme le révèlent les récits d’Anke Berndt et de Suzanne Lessard, l’expérience des femmes à cette époque était plutôt compliquée. Anke et Suzanne gardent un bon souvenir de l’époque où elles travaillaient comme techniciennes de cellules et de moteurs dans les années 1980. Pourtant, elles ne nient pas avoir été traitées différemment par leurs supérieurs en raison de leur sexe, surtout en ce qui concerne les promotions. Des problèmes systémiques, comme les inégalités dans le système de promotion, ont directement nui à la capacité de l’armée de réaliser une pleine intégration des femmes avant l’échéance fixée de 1999.
Un autre obstacle à l’intégration a été porté à l’attention du public dans les années 1990 : la prévalence du harcèlement et des agressions sexuelles dans les rangs. Comment l’armée a-t-elle réagi à ces allégations? Comment les femmes ont-elles navigué dans l’environnement militaire à la lumière de ces réalités? Et y a-t-il des signes de changement?
3e partie : Chienne, pute ou sans intérêt
Lorsque Shelley Colter a commencé sa carrière, elle savait que les choses n’étaient pas parfaites pour les femmes dans l’armée canadienne.
Shelley : Le seul avertissement que j’ai reçu est venu d’une connaissance, qui m’a dit que dans l’armée, les femmes sont généralement étiquetées d’une de trois façons : elles peuvent être considérées des chiennes, des putes ou des sans intérêt, et c’était à moi de déterminer, par mes gestes et mes comportements, à quelle étiquette j’allais aspirer. J’ai trouvé ça plutôt rebutant de n’avoir que ces trois choix. Mais j’ai décidé de jouer le jeu. Je suis dangereusement optimiste, c’est-à-dire que je crois que je peux foncer et déterminer ma propre voie, et que personne ne peut décider ce que sera ma carrière ni m’apposer des étiquettes.
Camas : En avril 1990, alors que Shelley allait commencer sa formation de base à Chilliwack, en Colombie-Britannique, l’armée était encore à se demander comment s’adapter aux femmes dans ses rangs. Shelley se rappelle avoir appris que le harcèlement et les agressions sexuelles étaient un problème dès la formation de base.
Shelley : Au début du cours, une instructrice est venue s’asseoir avec les recrues féminines pour expliquer que l’armée est un monde dominé par les hommes. Elle nous a dit de rester à l’affût, de veiller à notre sécurité et de ne rien faire de stupide. Ironiquement, les recrues masculines, de leur côté, n’avaient pas à assister à ce genre de discussion pour leur demander de ne pas commettre d’agressions sexuelles, ou leur dire qu’ils avaient eux aussi la responsabilité de veiller à ce que ça ne se produise pas. J’étais déçue qu’en 1990, nous devions encore tenir de tels propos.
Camas : En fait, l’armée canadienne avait adopté sa première politique de lutte contre le harcèlement en 1988, mais au début des années 1990, il n’existait aucun programme efficace pour faire de l’éducation en matière de harcèlement sexuel, ni aucun protocole fiable pour permettre à quelqu’un de signaler ce genre de comportement. Des mesures additionnelles n’ont été prises qu’en 1992, après qu’il ait été porté à la connaissance du public que la Commission canadienne des droits de la personne avait reçu 13 plaintes de harcèlement sexuel de la part de membres des forces armées. Plus tard dans l’année, l’armée a décidé de mener sa toute première enquête auprès des hommes et des femmes militaires afin d’évaluer les taux de harcèlement dans les rangs. L’enquête a révélé que 26,2 % des avaient été victimes de harcèlement sexuel au cours de l’année précédente, que 32,6 % avaient été victimes de harcèlement personnel et que 31,5 % avaient subi de l’abus de pouvoir. Du côté des hommes, 2 % ont dit avoir été victimes de harcèlement sexuel, 19,4 %, de harcèlement personnel, et 28,9 % d’abus de pouvoir. Le harcèlement était clairement un problème qui touchait à la fois les femmes et les hommes.
En 1993, le Globe and Mail a publié un article intitulé Sex and the Military: Battling Harassment (le sexe et l’armée : combattre le harcèlement) qui a attiré l’attention du public sur ce problème. C’est quelques années plus tard que Shelley a eu vent d’une stratégie pour aider les membres à faire face au harcèlement. On l’appelait le « three light system », faisant référence aux trois feux de circulation.
Shelley : C’était une première tentative pour faire face au harcèlement dans l’armée. Une formation a été offerte à tout le monde afin que tous comprennent que lorsque quelqu’un dit « feu jaune », ça voulait dire qu’un comportement devenait dérangeant, ou offensant, ou commençait à ressembler à du harcèlement, et que si quelqu’un disait « feu rouge », ça voulait dire d’arrêter immédiatement. Le problème central dans ce système est l’idée du feu jaune, qui implique qu’un geste déplacé peut être « un peu acceptable ».
Camas : Il a fallu un autre scandale public, en 1998, pour que l’armée adopte son premier programme officiel de formation contre le harcèlement. Au printemps 1998, le magazine Maclean’s a publié une série d’articles faisant état de 31 allégations d’inconduite sexuelle, dont des accusations de viol, dans l’armée canadienne. Et ce n’était pas seulement un problème dans les forces terrestres et marines; les femmes de l’armée de l’air ont également fait des dénonciations. Peu de temps après, l’armée a mis en place le code de prévention du harcèlement et du racisme appelé SHARP (pour Sexual Harassment and Racism Prevention Program). Comme son nom l’indique, SHARP se distinguait des politiques antérieures parce qu’il reconnaissait le problème de harcèlement sexuel et de racisme. Le programme a été élaboré en 1996, mais n’est devenu obligatoire qu’en 1998. Malheureusement, il n’a pas été très efficace. Allan English explique pourquoi…
Allan : C’était un programme de formation qui devait être suivi par tous les membres des Forces canadiennes, ou presque tous. Mais encore ici, personne n’en assurait le suivi, et la carrière de personne n’a été retardée pour ne pas avoir suivi la formation, et celle-ci était donnée par des civils qui étaient souvent considérés comme déconnectés des militaires. Et comme l’ont dit plusieurs rapports, le programme est devenu une véritable risée. Le problème était que la formation était volontaire et il n’y avait aucune conséquence si on ne la suivait pas, et les gens faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour l’éviter parce qu’elle était considérée comme une perte de temps.
Camas : L’échec de la formation SHARP a coïncidé avec l’échec de la « pleine intégration ». En 1999, l’armée canadienne n’avait augmenté la représentation des femmes dans ses rangs que de 1 %. Mais pourquoi un tel manque de progrès?
Allan : Souvenez-vous, l’armée n’a jamais ignoré la question. C’est seulement que chaque fois que survenait quelque chose – comme la Commission royale ou la Condition féminine –, elle y réagissait aussitôt parce que c’était dans les journaux. Vous savez… « oui, nous allons faire quelque chose », et un comité ou autre était formé, mais toujours à l’interne. Ils travaillaient donc ensemble, le personnel, la division de recherche… et leurs conclusions étaient généralement que les femmes devaient continuer d’être embauchées… il y avait des discussions, des essais, beaucoup de jeu de navette… Mais après douze mois, personne ne s’est demandé « mais où en sommes-nous? ».
Camas : Un des principaux problèmes de l’ordonnance du Tribunal canadien des droits de la personne est qu’elle n’imposait pas un système de contrôle externe pour garder l’armée sur la bonne voie. Sans surveillance externe, les militaires donnaient la priorité aux activités opérationnelles plutôt qu’aux initiatives institutionnelles. Et les années 1990 ont été une période occupée pour l’armée : d’importantes opérations ont eu lieu en ex-Yougoslavie tout au long des années 1990; la crise d’Oka est survenue en 1990; le Canada est entré dans la guerre en Irak à partir de 1991; et en 1993, il y a eu le meurtre d’un adolescent somalien par deux soldats du Régiment aéroporté du Canada en service à l’étranger dans le cadre d’une mission des Nations Unies. L’affaire somalienne, comme on l’a appelée, a donné lieu à une commission royale, au démantèlement du régiment aéroporté et à une série de réformes à l’échelle de l’armée, de 1997 à 2003. Mais beaucoup plus explique l’échec de l’armée à traiter ses problèmes de harcèlement sexuel et d’intégration.
Allan : Derrière tous ces préjugés, la misogynie et la culture guerrière – tout contribue au problème –, il y a l’incapacité systémique des Forces canadiennes à composer avec des problèmes complexes qui exigent un engagement soutenu de l’organisation à suivre un plan, à moins de prévoir une surveillance externe pour assurer la responsabilisation.
Camas : L’absence d’une politique efficace de lutte contre le harcèlement était à la fois un symptôme des problèmes systémiques de l’armée et un obstacle à sa capacité d’accroître la participation des femmes. Selon Shelley, l’absence de politiques efficaces a eu un impact sur son expérience dans le monde militaire.
Shelley : C’était comme être dans un « boys club ». Je sentais que je devais trouver le juste équilibre entre conserver ma propre identité de femme et être acceptée par les hommes. J’ai donc eu parfois l’impression de devoir renoncer à une partie de mon intégrité pour passer sous le radar et ne pas me faire remarquer, ne pas faire de vagues, parce qu’à l’époque, j’avais l’impression qu’il n’y avait pas encore beaucoup de façons d’aborder le harcèlement quel qu’il soit.
Camas : Malgré les difficultés, Shelley a beaucoup aimé son travail. En tant que contrôleuse des armes aériennes, Shelley surveillait l’espace aérien canadien au moyen d’un système radar pour contrôler les avions de chasse, les ravitailleurs et [autres aéronefs], le tout afin d’assurer la sauvegarde de la souveraineté dans le ciel. Comme les « Fighter Cops » des années 1950, mais avec une technologie beaucoup plus avancée, le travail de Shelley consistait à brosser le tableau de l’espace aérien canadien. Elle recueillait des données sur son écran radar, utilisait des rapports de renseignements pour identifier les avions amis et ennemis, et transmettait cette information aux pilotes en vol.
Shelley : Je me trouvais dans un endroit au sol et j’utilisais un radar qui pouvait voir plus loin que les plateformes radars des avions, et je décrivais aux pilotes où se trouvaient les autres avions. Je faisais ça parfois en utilisant des repères au sol – des points de référence –, parfois en indiquant leur position ou l’emplacement d’un groupe d’avions avec lequel j’étais en contact. L’idée était de fournir aux pilotes une description suffisamment fidèle pour qu’ils puissent voir, dans leur tête et sur leurs écrans, la même chose que moi.
Camas : Et elle était bonne. En 1993, Shelley est devenue l’une des premières femmes formées en commande de vol tactique. En tant que contrôleuse des armes aériennes, Shelley avait appris à suivre environ six avions à la fois, mais avec une formation tactique, elle pouvait gérer des situations comptant jusqu’à 60 ou 80 avions. Au cours de nos conversations, Shelley a raconté une expérience qui décrivait parfaitement les défis auxquels de nombreuses femmes étaient confrontées dans l’armée, et qu’elles peuvent encore rencontrer, quelles que soient leurs compétences.
Au moins une fois par année, les forces aériennes organisent un important exercice d’entraînement appelé Maple Flag. Pendant un mois, les forces aériennes du monde entier convergent vers la base militaire de Cold Lake pour participer à des opérations simulées en vol réel et s’entraîner en vue d’une guerre aérienne éventuelle.
Shelley : Étant donné la vastitude de l’espace aérien libre dans le nord de l’Alberta et de la Saskatchewan, les pilotes de tous types d’aéronefs peuvent voler en fonction de scénarios de guerre sans craindre d’empiéter dans l’espace aérien civil. Ce programme a été élaboré à partir des leçons tirées de la guerre de Corée et de la guerre du Vietnam. Lorsque les pilotes sont retournés au Vietnam après avoir volé en Corée dix, quinze, vingt ans auparavant, ils ont constaté qu’une grande partie de leur compétence avait été perdue, et pour les nouveaux pilotes, c’était la première fois qu’ils pilotaient en contexte de combat.
Camas : Les forces aériennes sont divisées en deux équipes : les bleus, ou forces alliées, et les rouges, ou forces ennemies.
Shelley : Chaque camp disposait de suffisamment de types de cellules, du côté rouge, pour simuler ce à quoi ressemble une force ennemie, comme lors de la première guerre du Golfe ou de celle de l’ex-Yougoslavie, dans le but de maintenir ou de rétablir la souveraineté aérienne dans un espace donné.
Camas : En 1994, quelques jours seulement avant le début de l’exercice Maple Flag…
Shelley : On m’a demandé d’y aller pour intensifier les commandes à Cold Lake.
Camas : Elle allait être contrôleuse pour le camp des rouges.
Shelley : En tant que contrôleuse pour les rouges, mon travail consistait à décrire l’espace aérien aux pilotes, particulièrement aux chasseurs, qui devaient lutter contre l’invasion des forces bleues, soit le camp qui allait essayer d’établir la souveraineté aérienne.
Camas : Shelley s’est donc retrouvée en route vers Cold Lake, en Alberta.
Shelley : C’était une demande de dernière minute, alors je suis partie aussitôt et je suis arrivée quelques jours après le début de l’exercice. Je suis arrivée en fin d’après-midi, et j’ai décidé de me rendre au mess pour me présenter à un des chefs du camp des rouges. J’ai donc trouvé le nom de l’officier responsable des forces rouges et je suis allée au mess pour demander à quelqu’un de me le montrer du doigt. Il était dans un coin, à raconter une histoire. J’ai donc attendu qu’il ait fini, puis je me suis présentée. Je lui ai demandé s’il était le chef de l’exercice et il m’a regardée, de haut en bas, et a dit « oui, je le suis », et il m’a demandé si j’allais être sa « reine Maple Flag » pour l’exercice. C’était en fait de l’argot qui signifie une femme qui couche avec un pilote de chasse.
Je l’ai regardé – j’étais très contrariée – et j’ai dit, « en fait, non Monsieur, demain je serai votre ICS (qui signifie interception contrôlée du sol). J’imagine que votre exercice de demain est foutu. » J’ai ensuite tourné les talons.
Camas : Le lendemain matin, Shelley était toujours en colère, mais elle était déterminée à ne pas laisser l’incident affecter sa performance.
Shelley : Ce jour-là a probablement été une des meilleures journées de ma carrière de contrôleuse parce que j’étais fâchée, mon adrénaline était à son comble – je voyais tout et je ne manquais rien.
Camas : Elle avait réussi l’exercice avec brio, mais l’incident de la veille la troublait encore, ce qui a fait que ce qui s’est passé après l’exercice est encore plus étonnant. Tous les participants ont assisté à une série de débreffages qui ont mené à une grande récapitulation, dans le mess, dirigée par le colonel qui avait traité Shelley de reine Maple Flag.
Shelley : Il s’est levé et a dit « nous avons bien piloté, nous avons des leçons à tirer, et je veux commencer par moi-même. Je tiens à m’excuser auprès de la lieutenante Colter. J’ai fait une horrible supposition hier et je l’ai insultée. Je tiens à m’excuser pour ça. Je devrais savoir qu’il ne faut jamais présumer qu’une femme dans le mess puisse être autre chose qu’un officier et membre de l’armée. J’ai vu de la formidable ICS aujourd’hui et je veux remercier Colter de m’avoir enseigné une importante leçon. »
Camas : Étant donné l’expérience de Shelley, cet aveu était extraordinaire. Un officier de grade supérieur s’était excusé, et pas seulement ça, il en avait fait une leçon pour les autres.
Shelley : Si j’étais arrogante avant, je suis alors devenue insupportable.
Camas : Cette histoire inattendue de réconciliation pendant l’exercice Maple Flag est un exemple du changement qui se produisait dans l’armée canadienne.
Shelley : [Selon mon expérience] dans l’armée canadienne, je dirais que ce n’est pas suffisant. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Mais, d’après mon expérience, et je ne peux que parler de mon expérience – j’ai travaillé au sein de forces multinationales comme l’ONU, l’OTAN et le NORAD –, je n’ai pas vu les progrès réalisés au Canada. Il y a encore beaucoup de travail à faire, il y a encore beaucoup de place à l’amélioration. Mais à mon avis, nous menons les efforts du côté militaire.
Camas : L’histoire nous montre que le chemin vers l’intégration des femmes dans l’armée de l’air canadienne n’a été ni droit ni facile, et les histoires racontées par Anke, Suzanne et Shelley nous rappellent le rôle que chaque femme a joué dans cette histoire. Qu’il s’agisse de maîtriser la mécanique du moteur du géant Boeing 707, de maintenir les systèmes hydrauliques complexes d’un avion de chasse ou de gérer avec succès la trajectoire de 80 avions à la fois, les femmes ont tiré profit de tout ce que l’armée de l’air a eu à leur offrir.
Quand j’ai demandé à Anke, Shelley et Suzanne ce qu’elles avaient retiré de leur expérience militaire, voici ce qu’elles ont répondu…
Shelley : En tant qu’ancienne combattante, mon passé militaire fait maintenant partie de mon identité. Une grande partie de la façon dont je me conduis ou je réagis aux choses maintenant s’explique par ce que j’ai appris et ce que j’ai vécu dans l’armée – jusqu’à ma façon de me mouvoir. Mes 24 années dans l’armée ont été les plus difficiles de ma vie. Elles ont aussi été mes meilleures.
Camas : Anke?
Anke : C’était merveilleux. Je ne changerais rien, vraiment. Mais comment le pourrais-je, de toute façon. Il y a certainement eu des hauts et des bas, mais je pense que j’ai fait un très bon choix. Il y a des problèmes, je les ai vus – pas à moi, mais j’ai eu des amies, et tout ça… je sais qu’il y a des problèmes, partout... J’ai travaillé très fort, mais j’ai aussi été très bien traitée.
Camas : Suzanne?
Suzanne : Je pense que j’ai quitté sur une note positive. J’ai quitté voilà presque six ans, alors je ne peux parler que de l’état des choses au moment de mon départ. Vous savez, je pense que ça va vraiment très bien en fait. On voit de plus en plus de femmes à des postes de niveau élevé. Il y a à peine 15 ans, il était impensable de voir une femme dirigeante dans l’armée. Mais elles sont nombreuses maintenant. Non, je pense que l’armée de l’air se porte bien, dans son ensemble. Mais ça reste un monde d’hommes. Ce n’est pas si mal, les dinosaures sont partis, mais c’est encore un monde d’hommes. J’ai toujours pensé que quand on obtient un emploi, ce n’est pas parce qu’on est un homme ou une femme, c’est parce qu’on est simplement la meilleure personne pour le job.
Camas : Les histoires de ces trois femmes militaires nous montrent que l’armée a fait beaucoup de chemin depuis l’époque de la division des femmes, mais qu’il reste encore du travail à faire. Les statistiques récentes montrent que les forces armées canadiennes ont fait quelques progrès en ce qui concerne le recrutement des femmes. De 1999 à 2020, la représentation des femmes dans l’armée est passée de 10,8 à 15,9 %, bien que ce chiffre ait oscillé autour de 14 à 15 % au cours des cinq dernières années. Depuis 2014, l’armée s’efforce à sensibiliser au problème de harcèlement sexuel et aux autres questions liées au genre, mais elle peine à changer ses façons d’agir. Prenez l’Opération HONOUR, par exemple, la plus récente initiative de l’armée en matière d’intégration et de lutte contre le harcèlement. En 2014, le magazine québécois L’actualité a fait état de la prévalence de la violence sexuelle dans l’armée. Dans l’article, on exhorte l’armée à commander une étude externe sur l’inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes. L’examen mené par Marie Deschamps, ex-juge à la Cour suprême, a condamné l’armée pour avoir une « culture sous-jacente de sexualisation (…) hostile aux femmes et aux [personnes] LGBTQ ». Le rapport indique également que le problème est répandu (l’armée, la marine et l’aviation) et qu’il entrave la capacité de l’organisation à réaliser la pleine intégration des femmes.
L’opération HONOUR a été la réponse de l’armée à ces constats, ayant été déployée en 2015 avec l’objectif « d’éliminer les comportements sexuels dommageables et inappropriés au sein des Forces armées canadiennes ». On s’était engagé à y arriver dans un délai de deux ans. Depuis son lancement, l’opération HONOUR a permis de sensibiliser les militaires au problème par le biais de campagnes de sensibilisation et d’ateliers et la mise en place d’un système de signalement plus efficace. Mais l’objectif de deux ans n’a pas été atteint. En 2019, une enquête de Statistique Canada a montré que la prévalence des agressions sexuelles n’avait pas diminué de 2016 à 2018.
L’opération HONOUR a été critiquée pour ne pas avoir de mécanismes de contrôle externes ni de plan stratégique. Et aujourd’hui, on craint que l’attention des militaires se soit déplacée vers d’autres priorités. D’autres problèmes persistent également. Lorsqu’on discute avec des militaires en service actif aujourd’hui, on entend des inquiétudes sur le fait que les préjugés subsistent dans le système de promotion.
Shelley : L’armée est et doit être considérée comme un travail asexué. C’est notre société et la façon dont nous sommes élevés qui nous imposent des stéréotypes, particulièrement en ce qui concerne l’armée. Lorsqu’on en viendra à ne plus voir de couleurs, de postes pour hommes et de postes pour femmes, de différence entre les mots féminins et masculins, alors on arrivera à la pleine égalité des sexes dans l’armée. Mais d’ici là, jusqu’à ce que nous cessions de voir le bleu comme une couleur de garçon et le rose comme une couleur de fille, nous allons continuer d’être aux prises avec des rôles sexospécifiques dans l’armée et de l’iniquité.
Camas : Il n’y a pas que l’égalité des sexes qui mérite de l’attention. Nous ne devons pas oublier que les femmes ont été confrontées à la discrimination pour d’autres raisons que leur sexe dans l’armée. Les femmes ont également fait l’objet de discrimination en raison de leur sexualité, de leur culture et de la couleur de leur peau. Quels sont leurs joies, leurs engagements et leurs triomphes? Il y a beaucoup de choses qui restent à dire sur l’histoire de l’armée canadienne. Ces dernières années, le vécu des militaires gais et lesbiennes a commencé à recevoir une certaine reconnaissance publique. Et qu’en est-il des militaires qui s’identifient aux communautés trans et bispirituelles? Qu’en est-il des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis? Qu’en est-il des militaires noirs? L’intégration a-t-elle été réalisée pour tous ces gens?
Ce ne sont là que quelques-unes des expériences qui sont absentes dans cette histoire. L’écoute de tous ces récits sera essentielle si l’armée veut un jour remédier aux inégalités dans ses rangs et si nous, en tant que public, voulons saisir pleinement l’histoire militaire au Canada. Le dernier mot à Anke…
Anke : Plusieurs fois – beaucoup de fois en fait –, on m’a présenté un avion en me disant « bon, répare-le ». Alors j’y allais. Le problème ne se réglait pas toujours rapidement, il fallait parfois faire ci ou faire ça, mais après y être arrivée, je me disais « OK, moi, j’ai fait ça ». Et pas parce que je suis une femme, juste parce que c’est ce que j’aime faire.
Cet épisode a été écrit et produit par moi-même, Camas Clowater-Eriksson. Je tiens à remercier Anke Berndt, Suzanne Lessard, Shelley Colter et Allan English. Ingénierie sonore : Richard Able. Scénaristes : Susan Whitney, Norman Hillmer et Ann Eriksson. Le thème musical s’intitule Hedgeliner, du groupe Blue Dot Sessions. Les autres pièces entendues sont Shout de Tears For Fears, All I Wanna Do de Sheryl Crow, Sledgehammer de Peter Gabriel et Oriel, Trailrunner, Step In Step Out, Roundpine et Gambrel de Blue Dot Sessions, de ma collection personnelle ainsi que de celles de Suzanne Lessard et de Shelley Colter.
Ce projet a reçu le soutien d’Ingenium et du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, et un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et de l’initiative de bourses Mobilisation des idées nouvelles en matière de défense et de sécurité du ministère de la Défense nationale. Merci d’avoir écouté Intégration.
FIN DE LA TROISIÈME PARTIE
Archives
Des entretiens d’histoire orale avec des femmes qui ont servi dans l’armée de l’air et participé à ces projets peuvent être consultés dans les archives du MAEC et d’Ingenium. Les projets sont toujours en cours et des contenus sont ajoutés au fur et à mesure qu’ils sont conçus.
- Le projet d’histoire orale sur l’essai SWINTER des forces aériennes
- Les femmes dans l’Aviation royale canadienne, de 1946 à aujourd’hui
Acquisitions
La collection Hellstrom
(plus d'informations à venir)
ORGANISME AYANT COLLABORÉ AU PROJET
CONTRIBUTRICE
Camas Clowater-Eriksson
Chercheuse indépendante à Ingenium, Camas Clowater-Eriksson a obtenu une maîtrise en histoire publique de l’Université Carleton en 2020. Elle s’intéresse, entre autres, à l’histoire orale féministe, à la baladodiffusion, aux études sur le genre et la technologie, à la culture matérielle et à l’histoire des femmes militaires.
BOURSE
- Bourse pour étudiants du National Council on Public History de 2021
Responsable du projet
Erin Gregory
Conservatrice, Aviation et espace
egregory@ingeniumcanada.org