Trois choses que vous devriez savoir sur les transplantations fécales, les voiles solaires et la fermentation de précision
Voici Michelle Campbell Mekarski, Cassandra Marion et Renée-Claude Goulet.
Ces conseillères scientifiques d’Ingenium fournissent des conseils éclairés sur des sujets importants pour le Musée des sciences et de la technologie du Canada, le Musée de l’aviation et de l’espace du Canada et le Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada.
Dans cette captivante série mensuelle de billets publiés sur le blogue, les conseillères scientifiques d’Ingenium présentent des « pépites » d’information insolite en lien avec leur champ d’expertise respectif.
Pour l'édition de février, découvrez comment votre caca peut sauver une vie, comment les vaisseaux spatiaux pourraient utiliser des voiles solaires pour se déplacer dans l'espace, et comment nous pouvons faire appel aux microbes pour produire des aliments complets, sans avoir recours à la ferme.

Vous pouvez donner du sang, du plasma et des organes. Saviez-vous que vous pouvez aussi donner des crottes?
Transplantations fécales microbiennes : comment vos crottes pourraient sauver une vie
On nous apprend très jeune à se laver les mains après avoir utilisé la toilette. Le lavage des mains élimine les germes nocifs et constitue une des façons les plus efficaces d’empêcher la propagation de maladies, comme les infections gastro-intestinales et respiratoires. Et puis, qui veux de la crotte sur les mains? Ouach!
Vous pourriez donc être étonné de savoir que, dans certaines circonstances, donner vos crottes à quelqu’un pourrait lui sauver la vie.
Microbiome intestinal
Imaginez le corps humain comme étant une station spatiale, abritant des billions de bactéries, de virus, de champignons et d’autres microbes qui permettent à notre corps (leur station spatiale) de fonctionner. Cette communauté de minuscules organismes compose notre microbiome et est essentielle à notre survie.
Dans le système digestif, le microbiome intestinal aide à décomposer la nourriture, à faire des vitamines, à soutenir le système immunitaire et à globalement maintenir une circulation fluide. En retour, les organismes du microbiome ont un endroit chaud où vivre avec un approvisionnement illimité de nourriture. Cette incroyable relation dynamique entre nous et notre microbiome se diversifie constamment et est très délicate. Toute perturbation dans cet équilibre nous rend vulnérables à la maladie.
Transplantations fécales
Donc, qu’arrive-t-il si quelque chose vient déranger notre microbiome? Une solution est d’y intégrer des microbes frais. Voilà où entrent en jeu les transplantations fécales microbiennes (TFM). Une TFM consiste à transférer un échantillon de crottes sain dans une personne dont l’intestin a besoin d’aide. Non, ce ne sont pas réellement les crottes que les médecins recherchent, mais un échantillon du microbiome qui vient avec.
Tout comme les programmes de dons de sang, les programmes de dons de selles trient les donneurs potentiels pour détecter s’il y a présence de maladies, de pathogènes, de parasites et d’affections pouvant être transmis dans leurs crottes. Ensuite, les « dons » sont recueillis, filtrés, gelés et expédiés. La transplantation peut se faire à l’aide d’une capsule que le patient avale ou une méthode plus courante consiste à insérer un tube dans le colon ou l’estomac. Puis, la nature se met au travail et les microbes transplantés se multiplient et peuplent leur nouvel habitat.
Actuellement, l’usage le plus répandu de la TFM vise à traiter les infections de Clostridioides difficile (C. difficile). Le C. difficile peut causer de la fièvre, de la diarrhée sévère, de l’insuffisance rénale, des déchirures intestinales et même la mort. Malheureusement, elle est généralement très résistante aux antibiotiques. La TFM guérit toutefois plus de 80 % à 90 % des patients, souvent seulement après un seul traitement.
Le potentiel ne s’arrête pas là. Les chercheurs explorent son usage pour d’autres troubles liés à un microbiome intestinal en déséquilibre, comme les maladies auto-immunes telles que la colite ulcéreuse, le diabète, et même les troubles de santé mentale, dont l’anxiété.
Pour le moment, la TFM demeure un traitement expérimental. Même s’il s’agit d’une solution prometteuse, il est nécessaire de poursuivre la recherche pour garantir son application appropriée. Notre microbiome est complexe et certains microbes sont dangereux tout comme certains sont bénéfiques. Les chercheurs travaillent également à la création de substituts de selles synthétiques qui pourraient offrir les avantages des TFM, sans le besoin de recueillir des dons.
Bien que ça puisse paraître dégoûtant, il est incroyable de penser que nos selles, une substance que l’on considère presque universellement comme des déchets, pourraient être la clé pour traiter certains des défis médicaux les plus difficiles. Il ne faut juste pas essayer ça à la maison.
Par Michelle Campbell Mekarski

Illustration artistique d’une voile solaire au-dessus de la Terre.
Une voile solaire survole la Terre
Lancé en avril 2024, le système de voile solaire de la NASA, le Advanced Composite Solar Sail System (ACS3), a réussi à atteindre son orbite et à déployer sa voile en août. Le ACS3 a une structure composée de bômes qui déploient une voile de neuf mètres de large (80 mètres carrés) depuis un satellite cubique suffisamment petit pour tenir dans la paume d’une main. Bien qu’il ne s’agisse pas de la première voile solaire dans l’espace, le ACS3 fait partie d’efforts constants visant à développer cette technologie. Jusqu’à maintenant, la voile fonctionne bien, à l’exception d’un léger repli sur une des quatre bômes, et s’apprête maintenant à réaliser des manœuvres qui testeront la navigation et l’orientation.
Les voiles solaires exploitent l’énergie du Soleil pour s’alimenter, laquelle produit une source efficace et potentiellement infinie de propulsion dans l’espace. Lorsque la lumière, particulièrement les photons, entre en collision avec la grande surface plate et réfléchissante de la voile solaire, l’impulsion déclenchée peut accroître la vitesse d’un astronef de façon importante. Les voiles doivent être fabriquées à partir de matériel réfléchissant très solide, mais ultraléger. Plus les voiles sont grandes, plus on peut accumuler de photons, donc accroître l’impulsion.
Contrairement aux astronefs traditionnels qui dépendent de moteurs alimentés avec du carburant qui expulsent de la matière pour générer une poussée, les voiles solaires ne requièrent pas de carburant, sont légères et peuvent être compactées pour le lancement. Elles pourraient atteindre des vitesses plus rapides que les moteurs au carburant sur de longues distances et à proximité du Soleil. Les voiles solaires comptent moins de pièces mobiles, donc elles sont mécaniquement plus simples que les fusées et les propulseurs.
Cependant, la technologie des voiles solaires fait face à certains défis. La propulsion initiale générée est très faible, exigeant donc des surfaces actives plus grandes pour être efficace. En fait, les voiles solaires qui seront véritablement utilisées pour les missions de longue durée devront être de nombreuses fois plus grandes que celles des démonstrations actuelles afin de générer une poussée suffisante. La quantité de lumière disponible varie selon le moment de la journée et la distance avec le Soleil. Des systèmes de manœuvre seront essentiels pour maintenir l’orientation correcte, maximiser le captage de lumière et se rendre à la destination voulue.
La technologie des voiles solaires progresse et a le potentiel de révolutionner les missions spatiales de longue durée. Ces types de démonstrations de technologies spatiales établissent des façons novatrices de déployer une voile en microgravité, de manœuvrer une voile géante et de tester les matériaux des voiles. Il s’agit donc des premières étapes essentielles pour faire mettre de l’avant la propulsion solaire comme solution viable. Au fil de la réalisation de démonstrations, on verra possiblement les voiles solaires jouer un rôle important dans l’exploration spatiale, notamment pour des missions vers des destinations éloignées, comme Alpha Centaure.
Aller plus loin (liens disponibles en anglais seulement) :
Missions de voiles solaires :
- La mission japonaise IKAROS ancée en 2010.
- Les voiles LightSail 1 et LightSail2 lancées en 2015 et 2019 respectivement, ont été des missions sociofinancées bien réalisées.
- NEA Scout : La voile solaire lancée sur la mission Artemis I, mais les communications ont échoué.
Par Cassandra Marion

À l’aide de la fermentation de précision, nous pouvons préparer toute sorte de produits utiles, y compris des protéines animales, dans des systèmes semblables à ceux utilisés dans les brasseries de pointe.
Fermentation de précision : Des aliments sans la ferme?
Une technologie de l’alimentation novatrice fait des vagues à cause du potentiel qu’elle a de changer la donne en matière de durabilité : la fermentation de précision. Imaginez créer des produits alimentaires complets sans avoir besoin d’animaux ou de plantes... Science-fiction? Eh bien, cette technologie qui semble futuriste opère tranquillement sa magie depuis plus de 30 ans, produisant des ingrédients essentiels comme la présure (utilisée dans la fabrication du fromage), le stévia (un substitut naturel du sucre), des vitamines et même de l’insuline.
Maintenant, grâce à de récentes percées en agriculture cellulaire (lisez l’article de Trois choses sur le sujet), la fermentation de précision sort de l’ombre à titre de candidate sérieuse pour transformer la façon de produire non seulement les additifs alimentaires et les produits de santé, mais aussi les aliments à valeur élevée, comme les protéines.
Depuis des millénaires, les humains exploitent la puissance des microbes pour transformer la nourriture. Pensez au yogourt, au fromage, à la bière, au vin, à la sauce soya, au vinaigre, à la choucroute, au kombucha et même au pain et au tempeh. Tous ces aliments doivent leur existence à la bonne vieille fermentation. Lorsqu’on donne un environnement confortable et une source d’alimentation à certains microbes, ils libèrent de nouveaux composés pendant qu’ils mangent et se reproduisent. La fermentation de précision va encore plus loin. Ici, des scientifiques utilisent des techniques d’édition génomique, comme CRISPR, pour donner aux microbes (comme les bactéries, les champignons ou les algues) la capacité de générer de nouveaux composés. Par l’ajout d’une copie exacte d’un gène provenant de plantes ou d’animaux au code génétique des microbes, ils donnent essentiellement une toute nouvelle recette aux microbes. C’est comme moderniser le livre de recettes du microbe avec une recette gagnante pour produire, disons, des protéines du lait, des blancs d’œufs ou des molécules de saveur.
On élève les microbes dans de géantes cuves et dans des conditions étroitement contrôlées (température, mélange et nutriments, comme un hôtel cinq étoiles pour microorganismes). Les microbes grignotent la nourriture, suivent leur nouvelle recette et fabriquent le produit souhaité. Lorsqu’ils ont fini de « brasser », on les filtre pour s’en débarrasser et obtenir le produit pur. Bien qu’il s’agisse de microbes génétiquement modifiés qui font le travail, le produit final ne contient aucun matériel génétique. Alors, techniquement, ces produits ne sont pas classés comme étant des aliments génétiquement modifiés. Cela soulève des questions intéressantes sur la façon de les étiqueter, mais nous reviendrons une autre fois sur ce sujet.
La fermentation de précision produit déjà des choses incroyables!
- Blancs d’œufs : De la vraie albumine d’œuf (la principale protéine dans les blancs d’œufs) produite sans la participation d’un poulet. Le goût, la texture et les éléments nutritifs sont identiques.
- Protéines du lait : Certaines entreprises préparent des protéines du lait, comme la caséine et le lactosérum, sans avoir recours à des vaches.
- Colorants alimentaires naturels : Des scientifiques créent l’arc-en-ciel complet de colorants alimentaires de façon plus durable, et peuvent donc remplacer les colorants synthétiques ainsi que l’extraction à forte intensité de ressources naturelles des colorants naturels.
- Hème pour les viandes végétales : La molécule qui contient du fer est celle qui donne la saveur et l’apparence « viandeuses » aux hamburgers à base de plantes.
- Collagène et gras animal : Oui, même le collagène pour votre routine de soins de la peau ou le gras animal pour la cuisson.
Même s’il faudra encore bien des années avant de pouvoir créer des produits complexes, comme des steaks ou des viandes gastronomiques, la fermentation de précision a déjà fait preuve de sa valeur. Contrairement à l’agriculture cellulaire (qui dépend des cellules animales et demeure coûteuse), la fermentation de précision pourrait offrir une solution de rechange plus rapide, moins chère et plus durable pour des produits alimentaires à valeur élevée. De plus, le potentiel ne se limite pas à la Terre. Imaginez l’utilisation de la fermentation de précision pour produire de la nourriture pour des astronautes sur Mars! Sur notre planète, étant donné la croissance de la population, la diminution des terres agricoles et la hausse de la demande pour des protéines, cette technologie pourrait permettre de soulager la pression sur nos systèmes agricoles surmenés.
La fermentation de précision est un outil fascinant et prometteur dans la quête de la production alimentaire durable. Qu’il s’agisse de protéines non animales ou de colorants naturels éclatants, elle ouvre la porte à un avenir écoresponsable plus efficace et chaque outil potentiel mérite d’être exploré.
Par Renée-Claude Goulet
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