Avec l'annonce récente que James Peebles a remporté le prix Nobel de physique, il est intéressant de revenir sur l'histoire du département de physique de l'Université du Manitoba. En 2013, j'ai visité le département pour en savoir davantage sur son programme de spectrométrie de masse. Mes recherches portent sur certains aspects de ce ministère qui auraient influencé les études de Peebles dans les années 1950.

Il a été plus de cent ans depuis que les scientifiques britanniques ont développé des méthodes pour dévier les ions (particules chargées) de masses différentes afin d’étudier la composition des matériaux. Les scientifiques de l’U du M sont depuis devenus maîtres de ces effets ; Ils ont apporté des contributions importantes dans deux domaines de la spectrométrie de masse : la détermination des unités de masse fondamentaux, et l’analyse de grandes molécules biologiques. Des chercheurs, ingénieurs et fabricants d’instruments à l’échelle mondiale utilisent le produit de ces découvertes et technologies en physique, en chimie, en sciences de la santé, ainsi que dans divers domaines industriels.

Pourquoi Winnipeg? J’ai trouvé des réponses dans quelques instruments originaux, et bien sûr, auprès des gens qui les ont conçus, qui les ont fabriqués et qui les utilisent.

Le « Manitoba II » est le point d’ancrage des études en spectrométrie à l’Université du Manitoba; il s’agit d’un spectromètre de masse à haute résolution de la dimension d’une pièce, qui a établi la norme internationale pour déterminer les masses atomiques. Il est constitué d’un rail courbe électromagnétique d’un rayon d’un mètre suivi d’un gros électroaimant pour dévier et détecter les ions (particules chargées). Le physicien R.C. Barber a conçu le Manitoba II, qui comporte de nombreuses petites pièces de précision fabriquées dans l’atelier d’usinage du département dirigé par Bob Batten, un technicien de formation britannique. Il a remplacé le « Manitoba I» que l’Université du Manitoba a reçu au début des années 1960 de l’Université McMaster à l’arrivée du professeur H.E. Duckworth.

Manitoba II
Le Manitoba II, département de physique, l’Université du Manitoba

La pièce et l’instrument documentent plus de 40 années de labeur et de triomphe – des tablettes sont remplies de journaux, de pièces abandonnées, d’outils, de panneaux, de nombreuses feuilles de tableau, de documentation spécialisée, de documents, et de vieux tirés à part. L’instrument montre d’innombrables modifications, des inscriptions, des mises en garde, des traces de chaleur, et du ruban – des tonnes de ruban. « Il est vraiment fabriqué à partir de rien », explique le directeur du département de physique, Kumar Sharma qui était un étudiant du professeur Barber au début des années 1970 lorsque l’instrument a été fabriqué. L’équipe du Manitoba a fabriqué les pièces de l’analyseur électrostatique en collaboration avec la Canadian Westinghouse à Hamilton. L’acier inoxydable du boîtier a été découpé et plié à cet endroit et le soudage réalisé par un atelier situé à King Township, Ontario.

M. Sharma se rappelle que l’instrument était couvert de suie noire lorsqu’il est arrivé au laboratoire. On a dû l’électropolir pour éviter que des contaminants indésirables ne pénètrent à l’intérieur de la chambre à vide poussé. « C’est le meilleur vide avec lequel j’ai jamais travaillé », se rappelle M. Sharma, « rendu  possible grâce aux joints d’étanchéité métalliques maison ». La chambre à vide poussé a dû être fabriquée, tempérée et quelques surfaces aplanies.

Lab

De nombreuses carrières semblables à celles de M. Sharma se sont bâties autour de cet instrument. Le professeur Barber a été formé sous la supervision de H.E Duckworth, lequel a été formé à Chicago par A.J. Dempster (de la fameuse boulangerie de Toronto). M. Sharma travaille actuellement sur la prochaine génération de l’instrument au piège de Penning canadien (« Canadian Penning Trap » ou CPT) au laboratoire national d’Argonne à l’extérieur de Chicago.

À la fin des années 1970, la déviation des ions s’est transformée en vol direct lorsque Ken Standing et son étudiant postdoctoral, Brian Chait, ont conçu une méthode pour analyser de grosses molécules organiques à l’aide de la spectrométrie à temps de vol (TOF-MS). Le spectromètre à temps de vol avait été inventé plus tôt, mais MM. Standing et Chait ont conçu une méthode pour mesurer précisément le vol de grosses molécules produites par bombardement d’ions. Werner Ens s’est joint à M. Standing comme étudiant au doctorat au moment où cet instrument a commencé à fonctionner, et grâce à la participation de nombreux autres collaborateurs, il s’en est suivi une succession de percées qui ont mené à d’importants brevets et retombées dans l’industrie. Leurs travaux constituent un élément fondamental du champ émergent des protéomiques, à savoir l’étude de la quantité de protéines et de la structure des formes vivantes. M. Ens s’est joint à la faculté en 1987, et en 2010, MM. Standing et Ens ont remporté le prix d’innovation Manning pour leurs réalisations.

M. Standing attribue sa réussite à ses bons étudiants. « J’ai tendance à laisser mes étudiants à eux‑mêmes », explique‑t‑il. En fait, M. Ens se rappelle que son premier emploi a consisté à rebâtir un filament (pour l’ionisation de surface d’une source d’ions) à partir de rien. Une des premières journées où il travaillait dans le laboratoire, il a brûlé un filament que M. Chait avait passé des semaines à préparer et à tester. « Je n’étais qu’un jeune diplômé sans expérience », se rappelle‑t‑il. M. Standing est passé par cette approche pédagogique de façon honnête; au début des années 1950, son superviseur, le physicien Rubby Sherr de Princeton, est parti en congé et l’a laissé seul dans un des meilleurs laboratoires nucléaires au monde. « J’ai été chanceux de penser à faire quelque chose, et je l’ai fait ».

Le premier spectromètre à temps de vol de l’Université du Manitoba de 1979. Photo: Débarras au département de physique, Université du Manitoba.
Le premier spectromètre à temps de vol de l’Université du Manitoba de 1979. « Ce n’est qu’un tuyau » Ken Standing dit en plaisantant. Photo: Débarras au département de physique, Université du Manitoba.

La beauté de la collecte de données en physique est que les variables les plus abstraites telles que le temps et l’espace deviennent des éléments concrets, locaux et sensoriels. Dans les laboratoires de spectrométrie à temps de vol, j’ai étudié un vaste échantillon de matériel électronique qui a transformé les temps de vol des molécules en données numérisées accessibles. Au début des années 1980, M. Ens a consacré beaucoup d’énergie à l’élaboration d’un logiciel pour se raccorder à des convertisseurs numériques temporels – un élément essentiel de leurs innovations en mesure précise du temps.

Ken Standing
Ken Standing avec l’appareil « TOF3 » qui représente les principaux éléments de «TOF-MS» à l’Université du Manitoba.

Une production précise de vide est fondamentale en spectrométrie de temps de vol. Lorsqu’on visite le laboratoire, on entend continuellement le vrombissement de pompes à vide qui s’appliquent à créer avec précision des conditions de vide expérimentales. Ken Standing m’a emmené dans les coulisses de leur laboratoire pour voir le spectromètre de temps de vol original datant de 1979. J’avais de la difficulté à l’entendre et à l’enregistrer tellement les pompes à vide étaient bruyantes, chacune d’elles étant reliée à différents appareils dans le laboratoire.

TOF 3
Partie de « TOF3 » spectromètre construit à l’Université du Manitoba, c. 1994. Le TOF3 combiné trois innovations – injection orthogonale, techniques MALDI et de refroidissement par collision.

De nombreux facteurs ont contribué à l’élaboration du spectromètre de masse à l’Université du Manitoba – après la Deuxième Guerre mondiale, de solides recherches effectuées dans plusieurs domaines au département (p. ex., le nucléaire) ont attiré des professeurs et des étudiants non seulement de la région mais aussi de partout dans le monde; il y avait les bons fabricants d’instruments – « à un moment donné, on pouvait entendre plusieurs accents britanniques dans les ateliers d’usinage », se rappelle M. Standing; il y avait les liens créés avec les physiciens de Chicago grâce à MM. Duckworth et Dempster; il y avait l’influence marquante des Russes (des Soviétiques) importée par M. Standing à la suite d’une visite fortuite qu’il avait faite en vue d’une conférence possible; et il y avait un penchant pour l’entrepreneuriat qui a ouvert la porte à de fructueuses collaborations commerciales (AB SCIEX).

Enfin, il y avait des questions locales dérivant de l’agriculture. Au milieu des années 1970, MM. Standing et Chait ont utilisé le nouveau cyclotron de l’Université du Manitoba pour analyser les niveaux de protéines dans les grains. « Ils cherchaient de nouvelles applications pour le cyclotron », explique M. Ens. « C’est ce qui les a fait entrer dans le monde de la biologie, et ils ont commencé à voir que la spectrométrie de masse était peut‑être une meilleure façon d’examiner ces protéines ».

Références:

Connor, R. D. and University of Manitoba. Dept. of Physics and Astronomy. (2004). The Expanding World of Physics at Manitoba: A Hundred Years of Progress: Department of Physics and Astronomy, University of Manitoba. Winnipeg, Dept. of Physics and Astronomy, University of Manitoba

Hughes, Jeff. « Making Isotopes Matter: Francis Aston and the Mass-Spectrograph, » Dynamis: Acta Hispanica ad Medicinae Scientiatumque Historiam Illustrandam 29, (2009), 131–166

Nier, Keith A. “A History of the Mass Spectrometer,” Instruments of Science: An Historical Encyclopedia. Robert Bud and Deborah Jean Warner, editors. 1998. New York & London: The Science Museum, London, and The National Museum of American History, Smithsonian Institution, in association with Garland Publishing, Inc. Pages 552-56.

Sharma, K. S. (2013). « Mass Spectrometry—The early Years. » International Journal of Mass Spectrometry 349–350(0): 3-8.

Standing, K. G. (2000). « Timing the Flight of Biomolecules: A Personal Perspective. » International Journal of Mass Spectrometry 200(1): 597-610.